« Osez dire ce que vous appelez pomme »

Régis Renouard Larivière

 

 

            Ce texte résulte de notes de lecture prises à propos du Traité des Objets musicaux, de Schaeffer. Il propose une réflexion sur la notion d’objet sonore, et sur son rapport avec la musique. Les chiffres entre parenthèses renvoient aux pages du Traité (Éditions du Seuil, Paris, 1966) d’où les citations sont extraites.

Son et objet sonore

            Je ne peux pas fermer mes oreilles. Toujours j’entends. Les sons viennent jusqu’à moi, constamment, sans que je n’y puisse rien. A mes oreilles, pas de paupières. Je ne peux pas m’éloigner aussi facilement d’un son que je le fais d’une chose dont l’odeur me répugne ou m’écœure. Je ne peux pas non plus m’esquiver comme je le fais, instinctivement ou volontairement, face à quelqu’un qui va me frôler, ou à quelque chose qui menace de me heurter. Si je tente un tel retrait, c’est après, trop tard, lorsque j’ai déjà entendu le son. Mais je ne peux pas non plus le recracher comme un aliment aigre ou fétide. Le son est toujours déjà là, déjà reçu, déjà entendu.

            A y réfléchir, il y a quelque chose d’inquiétant à considérer cette ouverture toujours béante de l’ouïe, livrée sans protection au sonore. D’ailleurs, même préparé à l’audition, dans l’attente du son qui va être produit devant moi, je ne peux jamais savoir exactement ce que ça va faire : quel bruit va faire ce train lorsqu’il va passer devant moi, comment va sonner cet orchestre qui pour l’instant se prépare, quelle va être la voix de cet homme qui vient vers moi pour me parler ?

            La plupart du temps, je n’y fais pas attention. J’ai l’habitude qu’il y ait toujours du son, et je ne l’écoute pas, lui, mais seulement, à travers lui, ce qui le provoque : ce que Schaeffer appelle les indices.

            Dans le silence absolu d’une chambre sourde, je m’angoisse.

            Une porte claque soudainement, un volet bat brusquement dans la nuit : frayeur. Instant de son pur : dans l’écart minuscule qui se fait entre le son lui-même et la cause à laquelle, malgré moi et presque immédiatement, fût-elle une hypothèse, je le ramène — et qui m’apaise aussitôt, — et me fait sourire de cette frayeur première, —

            Mais que s’est-il donc passé ? Quelque chose a fait effraction, une fissure d’un instant s’est ouverte dans le monde où je suis. Il n’y a pas eu apparition, en fait, il n’y a rien eu, aucun quelque chose, nulle figure, nulle couleur, nul sens. Ce qui a fait irruption c’est une absence du monde, dont je ne peux rien savoir, seulement ceci : qu’elle est insoutenable.

            Hormis peut-être le toucher, et dans des circonstances beaucoup plus exceptionnelles, aucun de mes autres sens ne me permet une telle expérience. Lorsqu’un orage me surprend, ce n’est pas l’éclair qui me fait peur, mais le tonnerre. Et ce n’est justement pas lui qui est dangereux. Contemplant un paysage, les objets qui surgissent à ma conscience (là une maison, là un groupe d’arbres, plus loin un troupeau...) sont toujours déterminés par l’identité que je leur reconnais. Si je suis surpris par la vue d’un objet que je ne m’attends pas à voir là, ce n’est jamais la vision elle-même qui me surprend, mais la présence de l’objet qu’elle révèle. Les choses, dans la vision, ne surgissent que relativement à leur sens (à leurs indices). C’est au peintre que revient la tâche de les faire surgir autrement.

            Dans l’audition, en rupture avec le continuum sonore dans lequel je baigne toujours, peut au contraire surgir un son, qui, en tant que tel, me saisisse, avant que j’aie eu le temps de le ramener à une cause plausible. Ce surgissement, en-deçà de toute intellection, est une possibilité fondamentale de la perception du son.

            On entrevoit, à partir de là, à quelle puissance peut prétendre un art usant d’un tel véhicule. N’est-ce pas cette puissance a priori du son, comme s’il avait déjà en lui-même des pouvoirs sur nous, qui fait se méfier de la musique bon nombre de philosophes et de poètes, qui par ailleurs entretiennent un dialogue intime avec les peintres ?

            D’un autre côté, le décalage, la disproportion, l’imprévisibilité qui existe entre le son en lui-même et sa cause matérielle fait apparaître un autre aspect de sa perception, bien qu’il soit ordinairement occulté par l’habitude : le comique, qui n’est que l’envers de la frayeur de tout à l’heure. Avoir été ainsi bouleversé par ce qui, rendu à sa cause, se révèle n’être rien, quelque chose comme de l’air qui vole, un toucher sans substance, un corps sans corps, qui ne me menace nullement, qui ne présente réellement aucun danger, voilà qui est cocasse... Toutefois, ce n’est jamais le son lui-même qui produit le comique, mais le rapport de celui-ci avec sa cause matérielle (réelle ou imaginaire). Ainsi trouvera-t-on profondément comique, par exemple, de voir s’époumoner un pauvre instrumentiste dans un gigantesque instrument qui n’émet que des sons proportionnellement ridicules, ou cet autre déclenchant par de petits gestes secs et méticuleux de véritables cataclysmes sonores.

            Ce qui ressort de ces réflexions, c’est le rapport particulier que le sonore entretient avec la causalité. Il a une propension au flottement causal, comme s’il était détaché, en dehors, comme émis en plus, gratuitement. Ce qui fait qu’il nous semble beaucoup moins nécessairement relié à la matérialité vibrante et résonante qui le provoque que, par exemple, la forme et la couleur d’une pierre ne le sont à celle-ci.

            On peut dénombrer à la perception du son trois types de causalités. Nous venons de considérer les deux premières :

            La causalité matérielle, en langage schaefférien : celle du corps sonore qui produit le son. C’est largement la plus courante. Elle n’entend pas le son pour lui-même mais pour ce qu’il désigne. C’est le son trivial de la vie quotidienne. Elle n’est pas tant une perception du son que du sens à travers lui.

            La seconde est la plus rare. C’est le surgissement du son comme hors-sens et hors-monde. Elle se trouve, à l’inverse de la première, dans un rapport essentiel avec le sonore, bien que nous ne l’expérimentions que rarement, mais violemment.

            La troisième causalité de notre perception du monde sonore est celle qui nous permet d’entendre les sons pour eux-mêmes, à la fois dans le monde, et affranchis de leurs causalités matérielles : c’est ce qu’on appelle musique.

            Il a bien fallu, afin de pouvoir isoler cette causalité supérieure qu’est la musique, inventer un moyen d’échapper aussi bien au surgissement hors-sens qu’à l’incongruité des sources. Plutôt que de discuter à propos de chaque son pour savoir s’il ressortissait au discours musical ou de l’accident intempestif, la solution la plus simple parut être de scinder l’univers des sons en deux. D’un côté les bruits, laissés à leurs indices, de l’autre, les sons musicaux. C’est ce qui fut réalisé par l’invention des instruments de musique. Ils garantissent de l’incongruité par leur stylisation du son, qu’en même temps ils domestiquent, grâce à leurs limites naturelles acoustiques et à celles du jeu de l’interprète. Avec eux, assurés de ne pas être désagréablement surpris, nous voilà certains que c’est bien de la musique que nous entendons.

            Il y a déjà longtemps que, de cette assignation guindée, la musique a débordé, avec le développement de l’orchestre symphonique notamment. Quant à la voix chantée, elle ne s’y est jamais totalement conformée. Elle exprime toujours plus. C’est avec le chant et la voix que l’auditeur timoré de musique extra-européenne a le plus de difficulté. Il accepte plus facilement la guimbarde de la Taïga, ou la sanza africaine que les chants de gorges du Kazakhstan ou les vibratos irréguliers des déclamations du Nô japonais. Ce que nous renvoie cet Indien qui avouait n’entendre dans l’opéra occidental que des hurlements de coyotes. Bref, toujours ces problèmes d’incongruité.

            Mais c’est la possibilité nouvelle où l’on est de pouvoir enregistrer les sons et les fixer qui bouleverse définitivement cet état des choses. Contrairement aux inventions parallèles de fixation des images par la photographie et du mouvement par le cinéma, qui, en elles-mêmes ne nous font rien apparaître de vraiment nouveau, l’écoute des sons déplacés de leurs causes réelles et rendus à cette nouvelle sorte de cause, matérielle, unique et transparente qu’est le support magnétique va susciter une découverte. Cette écoute acousmatique des sons offre les mêmes garanties par rapport au sonore que celles que nous assuraient les instruments de musique : le support nous met “à l’abri” du surgissement, (probablement grâce à la limitation, tant humaine que technique, qui lui est inhérente), tout en occultant à notre vue ses causes matérielles. Il remplace bien, en cela, les instruments. Mais sa nouveauté radicale, comparé à eux, c’est que ces garanties n’entraînent aucune stylisation du sonore, et une domestication pratiquement nulle.

            La découverte réside en ceci que tout son, perçu dans ces conditions, se révèle pouvoir être écouté selon la causalité musicale. Tout son : n’importe lequel, est potentiellement musical. Cette découverte, qui est en même temps un émerveillement, Schaeffer la baptisa objet sonore.

Objet sonore et musique : l’objet

            Nous sommes au monde de telle sorte que nous sommes toujours déjà dans le monde. Nous ne pouvons pas poser le monde devant nos yeux et l’examiner comme nous le faisons d’un objet, indépendamment de nous qui y sommes. Plus encore : nous le sommes nous-mêmes, si bien que le monde n’existerait pas sans nous. Merleau-Ponty écrit : «La chose, après tout, a besoin de moi pour exister. Quand je découvre un paysage jusque-là caché par une colline, c’est alors seulement qu’il devient paysage (...). Le monde qui avait l’air d’être sans moi, de m’envelopper et de me dépasser, c’est moi qui le fais être» (1). Non pas bien sûr que les choses qu’il contienne dépendent de notre bon vouloir pour exister, mais en ce sens que rien ne relie entre elles toutes les choses que nous y voyons en tant que formant un monde. La pierre ignore l’arbre, qui ignore la montagne, qui ignore le ciel — car aucun d’eux ne possède, en lui-même un monde, au contraire de nous autres, les hommes. Il s’ensuit qu’il est rigoureusement impossible de déduire le monde des choses qui s’y trouvent. Car elles n’en sont pas la cause, mais bien plutôt la conséquence du fait que pour nous, il y ait monde, qui seul les tient ensemble comme choses-du-monde. La musique n’est pas autre chose qu’un synonyme de monde limité à l’univers des sons. Monde et musique sont tous deux premiers relativement à ce qu’ils contiennent.

            Dans cette perspective, la démarche de Schaeffer devient résolument étrange. Il considère la musique d’une toute autre manière, d’une manière à vrai dire tout à fait courante, comme conséquence du sonore. Et cela induit toute sa réflexion à partir de l’objet. Or, de même que la déduction du monde est impossible à partir des objets qu’il contient, celle de la musique l’est tout autant à partir des objets sonores, tel qu’il les conçoit. Deux objets sonores, mis ensemble, successivement ou simultanément, ne créent pas en eux-mêmes de la musique. C’est plutôt la musique qui les fait entendre, ainsi mis ensemble, comme musique.

Objet sonore et valeur musicale

            Qu’est-ce qu’une valeur musicale ? Schaeffer écrit que l’objet sonore est la synthèse de visées abstraites et concrètes sur le son. L’aspect concret, Schaeffer le nomme le caractère du son, l’aspect abstrait, la valeur.  (303) : dans une mélodie traditionnelle jouée à la flûte par exemple, les notes constituent les valeurs, alors que le timbre de l’instrument constitue le caractère du son.

            Cependant les valeurs ne sont entendues comme telles que relativement à la structure dans laquelle elles sont prises. Un bourdonnement de machine, invariant et continu, la tonalité du téléphone, ou celle que produisent tant d’appareils qui nous entourent, si l’on peut bien leur attribuer des valeurs (de hauteur par exemple), ne font pas pour autant de la musique. La musique n’apparaît que là où il y a structure d’objets. Ceux-ci faisant apparaître des valeurs selon le jeu de leur organisation dans cette structure.

            Donc, à proprement parler, ce qu’on appelle par habitude valeur musicale n’est justement pas une valeur musicale, mais tout au plus une valeur de fonctionnement de la musique. Si l’on peut faire de la musique avec des valeurs, cela ne veut pas dire que celle-ci réside dans ces valeurs. Pas plus que ces valeurs elles-mêmes ne résident substantiellement dans les sons. C’est toujours a posteriori qu’on les identifie, qu’on les reconnaît. Leur analyse et leur détermination ne répond qu’à la question du de quoi est faite la musique. (Quant à envisager les hauteurs comme valeurs musicales absolues, cela paraît encore plus étonnant alors que, dans certaines limites, la transposition d’une mélodie, qui les modifie toutes, produit le même effet musical que son état initial.)

            Mais pour Schaeffer, la valeur reste  (303). Il s’agit donc, dans l’objet sonore de viser et de découvrir les potentialités musicales qui s’y trouvent : de le considérer  (349).

            Une double tradition de pensée pèse ici.

            Historiquement, la musique a toujours été pensée en Occident en termes de valeurs. Elle est censée pouvoir se réduire à des quantités, au point d’y être même identifiée. C’est le cas, en apparence, de la musique pure, qui tant fascine Schaeffer. La musique n’est pourtant pas moins pure aujourd’hui ou dans d’autres traditions que chez Bach. Cette pureté ne concerne que le système de valeurs qui préside à sa composition, dont la perfection nous dit davantage de choses de l’époque où il fut conçu, que de l’essence de la musique.

            Mais ce réductionnisme historique est renforcé par la démarche scientifique, que pratique Schaeffer, dont l’un des axiomes est la réduction du complexe au simple. Ce sont là les Seconde et Troisième règles de la méthode cartésienne. D’où la recherche du  (281). Comme s’il fallait réduire les sons afin d’avoir la certitude qu’il y ait de la musique. La certitude : souci cartésien par excellence.

            Malgré les différences et les oppositions entre Schaeffer et Boulez, ils se retrouvent là sur le même terrain. La fameuse critique de Boulez à l’encontre de la musique concrète : de manquer de précision est parfaitement fondée dans cette optique. Ce n’est en fait pas un manque de précision musicale qui lui est reprochée, mais un manque de précision de ses valeurs. Car pour lui (comme pour d’autres), la musique n’est pas envisageable autrement que comme système de valeurs. On peut même dire qu’elle est système de valeurs, et que, celles-ci établies, la musique, pour ainsi dire, suit. L’essence et le mystère de la musique, pour Schaeffer aussi, est celé dans les valeurs. Son questionnement, qui lui est propre, est celui de leur renouvellement. Il n’y a donc pas, dans le Traité, de remise en cause fondamentale de cette pensée des valeurs, mais au contraire leur renforcement, et même le projet de leur généralisation à un domaine plus large que celui de la tradition qui les assigne au trièdre de référence : hauteurs, durées, intensités. C’est l’étude de l’objet sonore, qui, à partir de critères d’écoute déterminés, devra pourvoir à ce renouveau, dans l’avenir besogneux de la Recherche.

            Penser de cette façon rend l’objet, en tant que concept, parfaitement inutile, ou tout au moins accessoire. C’est même une manière de le perdre de vue au profit d’une vision dualiste (valeur et caractère, — ou tout aussi bien corps et âme) en le décomposant en deux parts inégales, l’une détentrice du musical, l’autre comme excipient. Le mystère de la musique devient mystère du son, et celui-ci ramené de fait au rang de matériau receleur, mis à la question, sommé de “déclarer ses valeurs” (2) — la musique comprise implicitement comme cryptée en lui. Cette manière de voir étant d’autant plus tenace qu’elle est implicite.

            S’il y a bien un mystère qui est aussi une merveille : qu’il y ait de la musique, rien ne nous permet de croire que celui-ci réside dans le son (même isolé comme objet). Rechercher des valeurs musicales dans l’objet, cela équivaut à chercher à connaître la distance entre deux villes à partir de leur topologies respectives. Absurde. L’avènement à la musique qui se déploie à travers les sons n’est pas déterminable, mais seulement localisable, à partir des sons isolés qui participent de cet avènement, dont ils ne sont que les points d’appuis, les traces. Vouloir ainsi “serrer” la musique à partir de sa matérialité seule, à savoir les sons, et contraindre ceux-ci à des valeurs, et la musique à un jeu entre ces valeurs, (dont le parangon reste l’Art de la Fugue, musique à lire), ne peut se faire qu’au prix d’une épuration maximale de la sonorité, l’illusion étant de croire atteindre ainsi une épuration du musical lui-même, là où l’on ne fait qu’en épurer un accès, possible parmi d’autres. Que la musique mette “en lumière” de tels jeux en tant que tels ne signifie pas que ces jeux soient eux-mêmes la musique. Le croire revient à confondre la lumière avec ce qu’elle éclaire. Musiques de foires et musiques de cirques continuent d’exister malgré tout. La musique n’est peut-être dans le son qu’à la façon dont le temps est dans l’horloge.

Sens et communication

            Les notions de sens et de communication, que Schaeffer, par comparaison avec la linguistique, applique à la musique, sont, elles, non pas véritablement réductrices, mais impropres. Ces déterminations restent d’ailleurs très vagues : la musique communiquerait d’une certaine façon particulière quelque chose qu’il faudrait bien appeler un sens faute de mieux, et dont on ne sait pas grand-chose.

            Ce qui fait la différence entre la langue des linguistes et la musique, c’est justement qu’il est possible de la considérer et de l’examiner à l’aide de telles notions. L’un des caractères de la langue est en effet de communiquer du sens. On l’utilise dans ce but quotidiennement.

            Mais la musique, elle, n’a aucune utilité.

            Il n’est toutefois pas certain que l’essentiel de la langue réside dans son utilité. Il existe des façons de communiquer du sens qui se passent d’une chose aussi complexe que le langage. Les gestes, les regards suffisent souvent. Les corbeaux ont un système de communication très efficace qui n’est pas une langue. A l’inverse, la science moderne, qui ne se suffit plus des langues, fait ses communications en langage mathématique. Enfin, on voit aujourd’hui avec l’anglais international à quel abâtardissement et à quel éclatement parvient une langue réduite à sa seule dimension de communication.

            Ce dépassement de l’utilité de la langue, nous le rencontrons dans la poésie. Le mot dans la poésie, précisément parce qu’il n’y fonctionne que secondairement comme sens et communication, peut être comparé à l’objet sonore dans la musique. Il s’y affranchit de l’utile d’une façon rigoureusement identique à l’objet sonore par rapport aux indices. Analyser le mot comme un couple signifiant-signifié, toute exacte que soit cette analyse par ailleurs, n’est d’aucun secours pour l’entente d’un poème. Les mots émergent en poésie comme les objets émergent en musique, à la faveur de leurs écarts et de leurs différences entre eux. C’est cet écart, cette nouvelle dimension, que l’on appelle poésie, ou musique. La poésie ne dit rien d’autre qu’elle-même, mais par tous les moyens linguistiques et syntaxiques, et à propos de n’importe quoi. Elle peut aussi bien parler de Napoléon que des fourmis, de l’être aimé ou du café qui fume dans sa tasse ou encore de la poussière des chemins. Et lorsqu’on cherche à la soumettre à un usage, (ce qui lui est un péril plus fréquent que pour la musique, dû aux signifiés que toujours gardent en eux-mêmes les mots, au contraire des sons de la musique) : poésie nationale ou révolutionnaire, poème de la Résistance, éducation de la jeunesse ou culture personnelle, ou tout ce qu’on voudra d’autre — elle le transcende, ou y succombe.

            Dans un récent ouvrage, Jacques Roubaud, paraphrasant Mallarmé, écrit que la poésie .

Toute fleur est fleur.

Aucune poésie n’est poésie.

Mieux : toute rose est fleur. Aucun poème n’est poésie.

Le plus que l’on peut dire d’un poème est qu’il touche à la poésie.» (3)

            Poésie et musique sont une seule et même chose. Partout dans le texte ci-dessus nous pouvons remplacer “poésie” par “musique”. Seuls leurs moyens diffèrent. Il n’existe pas, à ma connaissance, de Traité des objets poétiques. On peut présumer qu’un tel ouvrage ne pourrait pas parvenir au cœur de la poésie, et qu’il nous laisserait, ainsi que le fait le Traité des objets musicaux pour la musique, cette impression bizarre de courir après elle “sans jamais parvenir à l’attraper” (selon l’expression qu’employa un jour René Char, à propos du livre de Caillois, Approches de la poésie.)

Recherche et musique

            Toutes ces réflexions portent-elles à faux ? Sont-elles non avenues ? Ce n’est pas là le projet du Traité. Son auteur le déclare en toutes lettres : il est simplement parti à la recherche  Il ajoute pourtant aussitôt :  (665).

            Le but ultime de l’entreprise est donc bien d’atteindre en fin de compte à la musique elle-même. L’état existant du Traité est celui d’une physiologie du son musical. Il devait être suivi de deux autres parties, l’une traitant des organisations musicales, l’autre, couronnement de l’ouvrage, du sens de la musique. . Soit. Il reste que le caractère aporétique du Traité est à méditer. La question est de savoir s’il est seulement possible, par un tel chemin, d’aboutir un jour au but qu’il se propose.

            Le statut de la musique dans le Traité est très curieux : à la fois présupposée comme postulat, but à atteindre, et moyen de la Recherche. Elle occupe une place assez comparable à celui d’une sorte de métaphysique. Elle est envisagée comme une interdiscipline permettant de recouper et de vérifier les disciplines spécifiques qui ont rapport à elle, visant  (31). Car non seulement la Recherche doit fournir une connaissance de la musique — qui rendra compte des œuvres passées, présentes, et de  (351) — mais elle est en même temps connaissance par la musique. Cette connaissance nouvelle, s’appliquerait d’ailleurs éventuellement à des domaines extra-musicaux. Surprenantes propositions ! Peut-on à la fois qualifier la musique et s’en servir comme ce qui qualifie ?

            Cet étonnant détournement de la musique comme principe de connaissance interdit de la considérer en elle-même, de ne jamais poser la question de savoir ce qu’elle est. A la fois sol et horizon, où donc pourrait-on se placer pour l’apercevoir ? Le Traité peut être lu, relativement à cette question de l’essence, comme une véritable machinerie dilatoire. La Recherche opère une interposition, revendiquée comme indispensable, entre l’homme et la musique. Il y a interception, confiscation, et réquisition au profit d’un questionnement scientifique, dans l’espoir que ce parasitage lui permette de répondre à ses propres questions — qui ne sont pas des questions musicales. Écho à l’évincement des poètes de la Cité préconisé par Platon : Musiciens, qui ne savez pas ce que vous faites, recherchez !

            La Recherche ainsi engagée ne peut déboucher que sur un nouveau système, c’est-à-dire nécessairement à un système de valeurs. Qu’elle n’y soit pas parvenue ne tient pas seulement à l’ampleur de la tâche, mais à l’illusion profonde que représente ce projet. La sortie de tout système, dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui, n’apparaît comme manque qu’à ceux qui comprennent cette absence comme licence au n’importe quoi (ce n’importe quoi se muant inévitablement à son tour en nouvelle valeur). Il y a des conformismes au non-système, comme il y en a aux systèmes. Tout système musical du passé a toujours éclaté de l’intérieur, sous la poussée de la musique. Cela correspond à leurs natures respectives. Même le système indien, considéré comme principe avant de l’être comme moyen, évolue. Il est dangereux d’interpréter le non-système de notre époque comme attente d’un nouveau système à venir. C’est vouloir lire l’avenir avec la part caduque du passé. Ce manque de système est, sans doute, une promesse de liberté et de vérité musicale sans précédent.

            Mais revenons sur cette question de l’essence de la musique qui paraît impossible à Schaeffer. La musique reste pour lui mystérieuse et inconnaissable. Qu’elle paraisse telle, c’est un fait. Il faudrait savoir si c’est bien elle-même qui est ainsi ou si plutôt, à travers elle, perce un mystère plus large qui n’est autre que celui de notre existence en général. Si tel est le cas, est-il légitime, voire seulement possible, d’aborder la question à partir du sonore ? Peut-il véritablement nous éclairer ? Est-il possible de parler de la musique comme la science parle de la matière ? Le fait que la musique soit faite de sons nous autorise-t-il à penser que la musique soit elle-même dans le son ? En ne les posant pas, le Traité répond implicitement par l’affirmative à ces questions. Que son investigation du sonore de la musique puisse, au passage, apporter une grande quantité de concepts et de descriptions parfaitement convaincantes et utiles, cela ne fait pas de doute. De plus sa rigueur nous libère des scientistes, qui dans ce domaine sont légions.

            Le fond du problème reste qu’il n’est pas possible, à partir de l’étude des causes matérielles et formelles de la musique, (le son et l’analyse des œuvres musicales — à laquelle le Traité n’accède même pas), de parvenir à saisir et à comprendre ce qui constitue ses causes efficientes (le rôle du compositeur) et finales (dans quel but compose-t-on et écoute-t-on de la musique ?). Et ce, pour deux raisons. D’abord parce qu’elles sont précisément des causes, et sont à ce titre à traiter en même temps que les deux autres. Elles ne peuvent pas en être déduites. Et c’est bien pourquoi la musique a cette situation particulièrement floue dans le Traité. La seconde raison, corollaire de la première, c’est que ces causes-là n’ont pas de rapport avec le son. Soumettre une réflexion sur la musique à une réflexion sur le sonore, c’est ne pas voir qu’elle n’est pas sonore, et que par conséquent elle ne réside pas dans le son. Si la musique était dans le son, la physique acoustique en rendrait parfaitement compte. C’est ce point de départ qui oblige Schaeffer à isoler le son de la musique, et à ne pas vouloir considérer l’immédiateté de la musique à la perception, — ou tout au moins de considérer cette immédiateté comme douteuse, et invoquer la nécessité de l’interposition d’une Recherche fondamentale.

            Le compositeur n’existe pas dans le Traité autrement que potentiellement métamorphosable en chercheur, (ou comme fournisseur de matière à étudier). Quant à la finalité de la musique elle n’est évoquée qu’à l’aide de cette notion de sens, avouée insuffisante et hors de portée.

            Le leurre le plus insidieux du Traité n’est pas tellement de ne pas répondre à ces questions, mais de suggérer pouvoir y parvenir à la fin de la Recherche. Le problème de la finalité de la musique est en quelque sorte rendu dépendant de l’achèvement de cette Recherche. Entre-temps, tous les bavardages sont permis ! Alors que c’est la nature même de la démarche scientifique qui lui interdit de pouvoir jamais envisager ce questionnement essentiel. On ne peut l’atteindre qu’en sautant dans une pensée philosophique. Ce saut ne dépend d’aucun résultat expérimental. Pour le dire avec une image : on ne comprendra jamais ce qu’est le mouvement en démontant une automobile.

            Mais cette collusion de la recherche scientifique avec la musique nous est tellement familière que nous ne la remettons jamais en question. Elle va de soi. Au delà du fait qu’elle ne puisse rien nous dire de ce qu’est la musique, mais seulement l’annexer à son profit, comme la psychanalyse peut parfois le faire de la littérature, ou la linguistique de la langue, on peut se demander pourquoi cela arrive à la musique plus qu’aux autres arts. Émettons l’hypothèse, déjà suggérée plus haut, que son évidence sensuelle (combien de légendes et de contes sur ses pouvoirs magiques et les transes qu’elle provoque !), conjuguée au véhicule sonore, avec ses possibilités propres de surgissements et d’effrois, la font particulièrement redouter, et chercher à la contenir , — ce à quoi le discours rationnel de la science semble parfaitement convenir aujourd’hui. On peut considérer la connaissance scientifique en elle-même comme un progrès sur le mythe. Elle n’en constitue pas moins, pour ce qui concerne la musique, qu’un mythe d’un nouveau genre.

Objet sonore et musique : le chant de l’objet

            Ce qui est remarquable dans l’objet sonore, c’est qu’à rebours de la réduction phénoménologique qui le fonde comme tel, il est lui-même relativement à la musique, tout le contraire d’une réduction. C’est ce qui fait sa différence avec la note du solfège traditionnel. A la manière de ces petits papiers japonais (dont parle Proust dans le célèbrissime épisode de la madeleine) qui, d’informes, se déplient dans l’eau en faisant apparaître une maison ou une fleur, l’objet, révélé dans l’écoute acousmatique, s’y déploie lui aussi et s’augmente pour ainsi dire à la musique.

            Cette découverte aurait pu être faite depuis toujours. Le voile de Pythagore aurait pu suffire : elle n’est pas essentiellement dépendante du support magnétique, qui cependant la favorise grandement. A l’inverse, nous aurions pu vivre longtemps au voisinage des magnétophones sans l’apercevoir, et nombreux sont encore aujourd’hui ceux qui ne l’aperçoivent nullement. Il se trouve que c’est à cette occasion qu’elle fut faite, et que c’est Pierre Schaeffer qui en est l’inventeur. Son “coup de génie” est double : là où un autre, peut-être, en aurait conçu un poussif Traité des sons sans causes, ou des sons en soi, il a immédiatement reconnu la musique.

            Que l’objet sonore soit constamment contourné, qu’il serve à désigner tout et n’importe quoi, que son auteur en ait conçu de la rancœur et en ait éprouvé une tristesse de Pygmalion, on l’entend dire. Pour ma part, je n’en sais rien, n’ayant pas connu l’homme. Ces vulgarisations sont courantes. Mais les réflexions qui précèdent tendent à montrer, qu’en ce qui concerne l’objet, la démarche du Traité lui-même inaugure son galvaudage.

            De l’émerveillement et de l’étonnement provoqués par sa découverte, on passe directement à la préoccupation de son utilité, ( ), de sa fonction, et de ce qu’il  (358). Antérieurement aux nombreux dualismes dont use le Traité pour le déterminer et le soumettre, la question de sa structure propre en tant qu’objet sonore musical n’est pas posée. A savoir : qu’à son exactitude d’objet est toujours indissolublement liée une vérité musicale. En même temps qu’objet, et bien davantage qu’objet, ce qui le rend possible pour la musique, et libre pour elle, c’est son être musical, ce qu’on pourrait nommer son chant.

            Le Traité, (qui est bien un traité des objets musicaux), s’efforce a priori et constamment de dissocier la musique de l’objet. Toute sa réflexion se développe même dans cette faille, que paradoxalement, par ses multiples apports et détours, elle agrandit sans cesse, s’y enfonçant comme un coin dans du bois. Il y a une ivresse jubilatoire à ce déploiement incessant, à se dérapage magistral, qui pourrait bien être son principe littéraire (4). Cette dissociation le conduit à n’avaliser comme musical que l’objet convenable. Les limites de ce convenable sont au demeurant très imprécises, en réalité purement fonctionnelles au discours, et musicalement administratives.

            On ne peut pas isoler l’objet sonore de son chant ou être musical sans, par cet isolement, perdre la musique en route. Les objets ne sont pas là d’abord, comme sonores, pour ensuite devenir, par des vertus de construction, des objets musicaux. Ils ne sont pas autre chose que de la musique, à la façon dont les briques sont autre chose que la maison qu’elles servent à construire. De même que le son est toujours déjà là comme surgissement ou comme indice, il est aussi, déjà là comme musique avec l’objet. D’ailleurs, sa manipulation, ou son insertion dans une structure le fait ( , remarque Schaeffer) disparaître en tant qu’objet. Il en devient un autre, qui peut-être nous convient mieux, mais n’est pas plus musique que le précédent.

            L’objet sonore ainsi compris nous met d’emblée dans un rapport au musical qui nous préserve en même temps de tout “romantisme” et de toutes les tentatives d’y échapper par calcul des conditions de la musique. Ces deux conceptions n’en sont qu’une seule. Charger les sons d’intentions sentimentales, ou les charger de connaissances acquises sur eux, ou ailleurs, cela ressort d’un rapport identique du compositeur face au monde sonore : un rapport de  (5) sonore, comprise comme domaine objectif qu’il s’agit de contraindre à des intentions et des visées subjectives. L’objet nous place dans un rapport plus originel avec le phénomène musical. Dans son avènement immédiat à la musique, il n’est pas un objectif que je vise, moi, sujet, sur lui. Il est évidence de cet avènement lui-même.

            On pourrait en fait très bien rebaptiser l’objet schaefférien du vieux mot de mélodie. A condition de le revivifier et de l’entendre comme désignant une unité de teneur musicale. Ce qui correspond à son sens etymologique d’articulation qui chante (mélos, membre, articulation, aidein, chant). La pensée de l’objet sonore, c’est la mélodie généralisée à tous les phénomènes sonores, le musical de tous les sons. On peut comprendre le désarroi de certains devant une telle générosité ! Qu’ils se remémorent l’anecdote du critique disant à Debussy : je comprends bien, vous tordez le cou à la mélodie ?, et Debussy de répondre : .

            L’objet sonore, pris dans son unité originelle, non coupé de son chant, peut rendre compte des musiques passées, présentes et futures. C’est l’une des propositions du Traité. Mais il ne peut pas le faire dans le sens d’une prévision, grâce à un système à inventer dont il serait la particule élémentaire. Cela est une utopie. Il est bien, si l’on veut, cette particule élémentaire de musique, mais comme transparente à elle, inutile à décomposer, car ne détenant en substance, musicalement parlant : rien. Il n’est qu’une fenêtre par laquelle nous percevons. Il ne peut être réduit à une valeur sans perdre son identité d’objet sonore musical. Sa particularité, sa nouveauté foncière, c’est de prendre en compte comme ressortissant à l’immédiateté de sa musicalité originaire, à la fois le silence qui le précède et celui qui le suit — mais encore le silence qui “habite” en lui comme absence de tout son autre que lui-même. Il s’agit, en somme, de substituer à l’objet, fruit d’une phénoménologie du sonore, un objet musical qui soit le principe d’une phénoménologie de la musique même.

            Le lieu véritable de la musique, là où elle se produit et où a lieu son apparition, est dans l’écart des sons entre eux. Et cet écart, cet espace différentiel, est toujours une variation autour de celui qui, fondamental, préside à toute musique : l’écart entre son et silence. Le plus chétif, le plus humble des objets, suscite inévitablement au moins cet écart fondateur. Toute musique provient du silence et retourne au silence. Elle est une modalité du silence, notre possibilité de l’entendre. C’est là que toujours bute la pensée positive de la science — à moins qu’elle n’aperçoive même pas l’écueil. Elle ne peut envisager le silence que négativement, comme absence de son. Comme un rien qui est un non-quelque-chose. Elle ne peut positivement rien en dire, car elle ne peut saisir l’écart ni comme objet, ni comme valeur, ni comme quantité. C’est pourquoi, de la musique en soi, elle ne peut, par nature, rien dire. La musique n’est aucune quantité (6) .

            Si l’on peut bien chercher la musique dans l’écart en soi, chaque objet est à chaque fois un écart particulier, qui constitue, comme nous l’avons dit, son être musical, son chant. L’objet n’est pas potentiellement producteur de ce chant : il l’est. De telle sorte, qu’au fond, l’objet n’existe pas sans lui. Il n’y a pas d’objet sans chant. C’est avec lui que le compositeur travaille, autant qu’il est travaillé par lui.

            Pour cette chose que l’objet chante à chaque fois, (par exemple telle douceur ineffable, tel ravissement inattendu, tel passage inquiétant, telle fluidité déconcertante, etc...), il n’est pas l’intermédiaire par lequel cette chose s’exprime, grâce à la musique. Il n’est pas une représentation, ou une image de cette chose par le chant. Mais plutôt sa présence au chant, authentique, irréductible et unique. C’est ce qui fait l’absolue précision musicale de l’objet.

            Ainsi que Rilke parle, à propos du simple goût d’une pomme, oblitéré dans notre vie de tous les jours par l’habitude, de cet affût, de cet accès au monde, à travers lui et à partir de lui — ainsi en est-il aussi, pour nous, musiciens, des objets sonores :

                        Pomme pleine, poire et banane,

                        Groseille... Tout cela déverse dans ta bouche

                        des paroles de mort et de vie... Je pressens...

                        Lisez-les sur le visage d’un enfant,

                        qui goûte et les garde. Cela vient de loin.

                        Cela perd-il lentement son nom dans votre bouche ?

                        Là où n’étaient que des mots coulent des découvertes,

                        libérées avec surprise de la chair du fruit.

                        Osez dire ce que vous appelez pomme.

                        Cette douceur, qui d’abord se condense

                        pour, avec douceur dressés dans le goût,

                        parvenir à la clarté, à l’éveil, à la transparence,

                        devenir chose d’ici, qui signifie et le soleil et la terre — :

                        O expérience, sensation, joie —, gigantesque !   (7)

 

N O T E S

 

(1). Maurice Merleau-Ponty, Sens et non-sens.

(2). Sur la question du matériau en musique, cf. l’article lumineux de Michel Chion : Le ma­tériau en question. In Ars Sonora Revue N° 2, Novembre 1995 ; (repris de L’Art des sons fixés, Ed. Metamkine/Nota Bene/Sono Concept, 1991).

(3). Jacques Roubaud, Poésie, etcetera : ménage. Stock, 1995, (p. 87 sq.).

(4). Sans nier son aspect scientifique, le Traité est aussi une sorte de “roman”. Hormis les pages “littéraires” qui y sont nombreuses, c’est surtout le choix, souvent remarqué par les commentateurs, d’une narration diachronique, qui justifie cette impression. C’est cet aspect qui rend d’ailleurs sa lecture scientifique si difficile. Ne pourrait-on le comparer avec cette autre recherche, celle du temps perdu, dont il ne fait pas que se rapprocher par ce mot commun, mais surtout par ce centrage mono-idéique sur l’objet sonore, qui rappelle celui de la mémoire involontaire chez Proust, et qui ont toutes deux des vertus voisines d’émerveillement ? A ceci près, que là où Proust referme son livre, celui de Schaeffer reste béant.

(5). Descartes.

(6). Au sujet de l’impossibilité de mesure du silence, cf. le concept de bruit négatif élaboré par Michel Chion, in Le promeneur écoutant, Éditions Plume, Paris, 1993, (p 22 sqq.).

(7). Rainer Maria Rilke, Sonnets à Orphée, I, 13. Traduction J.-F. Angelloz. Aubier-Montaigne, Paris, 1943.

 

B I O G R A P H I E

 

Régis Renouard Larivière est né le 3 décembre 1959, à Paris.

1984. Stage de composition électroacoustique ADAC-GRM avec Philippe Mion et Jacques Lejeune. Décide brusquement de se consacrer à la composition acousmatique.

1986. Fonde son propre studio de composition. Travaille depuis cette date dans deux directions : les musiques de scène (danse ou théâtre), et musiques de concert.

Enseigne la musique électroacoustique au CFMI (Centre de Formation des Musiciens Intervenants à l’école) de Poitiers depuis 1990.

Multiples réalisations dans les studios du G.R.M. (Studio 116 de la Maison de la Radio), de 1987 à 1995.

Producteur d’émissions à Radio-Classique de 1992 à 1994 (en particulier émissions de musiques traditionnelles et contemporaines).

Membre du bureau de l’association Ars Sonora depuis 1995.

 

M U S I Q U E S

 

De 1984 à 1994, plusieurs études et musiques de scène pour la danse et le théâtre.

Aux Enfants, (1987), Ouverture, (1988), Le Rôdeur de Portes, (1989), Les Soulèvements, (Commande Ina-GRM, 1991).         

Katapult, (1993), musique de scène pour un spectacle de Nadine Rémy créé au Centre d’Action Culturelle de Saint-Cyr l’École.

Bromios, (Commande Ina-GRM, 1994), Futaie, (Commande Ina-GRM, 1996).

La plupart de ces pièces ont été créées au cycle de l’Ina-GRM, et ont fait l’objet de radiodiffusions sur France-Musique et France-Culture, notamment.