Entretien avec Denis Dufour (première partie)

réalisé par Jonathan Prager

 

 

            Denis Dufour est un des plus originaux et éclectiques compositeurs de sa génération. Indépendant, fécond et talentueux, il est l’un des quelques rares à officier avec autant de brio à la fois en musique acousmatique et en musique instrumentale (presque une centaine d’œuvres à ce jour, tous genres confondus). Il a bien voulu m’accorder en février dernier ce long entretien dans lequel il expose, en détail, les principaux aspects de son cheminement professionnel depuis 1976, date de son entrée à l’Ina-GRM et début de sa carrière. Un entretien pendant lequel il brosse lui-même le tableau d’une œuvre musicale exemplaire et déjà très conséquente, bien qu’encore relativement mise à l’écart… Il me semblait donc nécessaire d’accorder un temps de parole suffisamment important (c’est, je crois, la première interview aussi longue qui lui soit consacrée) à une personnalité débordante d’énergie dont les activités s’étendent à de nombreux domaines : de la composition musicale à la pédagogie (plus de quinze ans d’enseignement), en passant par la formation d’ensembles instrumentaux et surtout la direction du festival international d’art acousmatique Futura. Il a consacré la plus grande part de sa vie à un soutien continu de l’art acousmatique. Sa vision de la situation actuelle de la musique contemporaine (opposition instrumental/acousmatique, définition de la terminologie, fréquentation du public, etc.) est à la fois simple, abordable et surtout directe. En marge des habitudes, Denis Dufour est une personnalité forte qui enseigne la musique de notre temps par l’école de la vie plutôt que par la technique, mais c’est surtout un style unique, riche, vivant et mûr que l’on retrouve dans des œuvres “ d’une ferveur rigoureuse et iconoclaste ”, et qui a fait de “ l’univers formel de la musique sur support le lieu d’une nouvelle théâtralité ”.

            Dans cette première partie de l’entretien j’ai choisi de prendre comme point de départ l’incontournable débat sur les appellations du genre acousmatique (toujours d’actualité, cinquante ans après les débuts de la musique concrète) pour aboutir naturellement à l’avènement et au devenir du festival Futura.

            Voilà presque cinquante ans que Pierre Schaeffer inventait la musique concrète. Depuis, de nombreuses appellations ont vu le jour pour dénommer ce genre nouveau. Et certaines personnes te disent “chef de file” de l’appellation art acousmatique : d’où vient cette casquette qu’on te fait porter depuis déjà plusieurs années ?

            Elle vient d’une chose relativement simple. J’ai créé, dès la fin de l’année 1980 au C.N.R. de Lyon une classe de composition qui s’intitulait “classe d’acousmatique”, la première en France à porter ce nom. Dans cette même ville j’ai organisé des concerts par le biais d’une association que j’avais créée, Acore. Ces concerts ne portaient d’ailleurs pas de nom particulier. Or, comme on pouvait y entendre des œuvres de musiques sur support ainsi que des œuvres instrumentales (mais plus rarement), cela posait problème. Des réflexions et des remarques venaient, car les gens présents pour l’acousmatique n’avaient pas obligatoirement envie d’entendre de l’instrumental, et vice-versa. Ce qui montrait bien que le public n’était pas tout à fait le même dans les deux cas. Membre de l’Ina-GRM, j’avais tout naturellement choisi d’utiliser le terme acousmatique, suivant la tendance de l’époque. Pour moi ce mot désignait un genre à part entière et non une esthétique ou une école, voire la seule musique de François Bayle, comme certains le pensaient. Le Cycle Acousmatique du G.R.M. existait depuis 1978, et on parlait déjà beaucoup de “musique acousmatique” au Groupe des Musiques Vivantes de Lyon (G.M.V.L.). “Electroacoustique” était moins employé, et par ailleurs dans un sens plus général. Il n’y avait pas beaucoup de conflits sur les termes à cette époque (d’autre part, l’expression première de “musique concrète” n’avait pas encore été resituée comme pouvant resservir de nom générique). J’envisageais ce terme (et je pense toujours de même maintenant) par rapport au sens premier qu’il revêt, désignant ainsi toute musique composée sur support pour être entendue au travers de ces projecteurs sonores que sont les haut-parleurs. A l’issue de ces concerts je devais répondre aux habituelles questions : “ Qu’est-ce que ça veut dire, acousmatique ? ” ou bien “ Pourquoi n’y-a-t’il rien à voir dans vos concerts ?... ” Les réponses étaient simples et facilement convaincantes. Mais on m’opposait souvent : “ Ce n’est pas de la musique, ce que vous faites ! Il n’y a pas d’instruments, pas de hauteurs ni de mélodies reconnaissables, pulsées, etc... ”. Las de devoir toujours répliquer à cet argument, pas forcément gênant mais souvent inutile, je me suis demandé comment le détourner et le contourner. J’ai alors décidé de parler de “Concerts d’acousmatique”, évitant ainsi le mot “musique”, qui d’ailleurs ne me semblait pas toujours approprié, puisque certaines œuvres sortaient un peu du domaine musique pour aller dans le domaine radiophonique, sans être de la radio, ni vraiment de la musique ; finalement en étant de l’acousmatique. Cette nouvelle appellation permettait aussi d’être beaucoup plus clair dans la définition du concert lui-même, de ce qu’il apportait. Néanmoins “acousmatique” seul ne me semblait pas suffisant, peut-être parce que c’est un mot qui apparaissait un peu technologique (la terminaison en ique), mais aussi parce qu’il n’était pas très parlant à l’époque et qu’il manquait encore de poésie pour certains. J’ai donc proposé de lui associer le mot “art”, formant l’expression art acousmatique, et programmant alors les Concerts d’art acousmatique. Pour moi c’était évident : c’est de l’acousmatique puisque le mot est dedans, ce n’est pas de la musique si les gens le désirent (même si je pense que ça en est la plupart du temps). De plus, certaines œuvres peuvent aussi s’apparenter à de la musique d’ameublement, ou encore à l’environnement sonore, ce qui permet alors d’intégrer les installations sonores, qui ne jouent pas forcément toujours le jeu de la musique. L’expression réglait un certain nombre de petits problèmes de terminologie élémentaire pour ceux qui sont en dehors du milieu, qui n’ont pas la connaissance et la culture de cette musique concrète, acousmatique. En même temps elle redonnait sa valeur artistique à ce terme un peu obscur d’acousmatique. Le titre Concerts d’art acousmatique montrait qu’on était toujours dans le rite musical, même si ce n’était pas de la musique comme on l’entendait traditionnellement. Pour moi, cet ensemble de mots rassemblait tout ce qu’il fallait pour définir cette nouvelle musique.

            Comment as-tu alors situé les musiques mixtes par rapport à l’art acousmatique ?

            J’ai toujours placé ces musiques du côté de la musique instrumentale : elles en étaient donc théoriquement exclues. Mais, pour des raisons financières et d’organisation, j’avais dû faire jouer quelques musiques mixtes (produites dans ma classe de composition instrumentale du C.N.R. de Lyon) dans le cadres des Concerts d’art acousmatique. Il aurait été difficile et coûteux d’organiser un concert spécifique pour ces quelques rares œuvres-là. Il y avait donc problème et même mécontentement d’une partie du public, puisqu’il y avait tromperie sur le contenu du concert par rapport à son intitulé. A partir de là, j’ai travaillé à organiser d’autres concerts pour faire jouer les pièces instrumentales, en mettant en place sur Lyon une saison de six concerts par an : trois d’art acousmatique et trois de musique instrumentale (jusqu’à ce que la direction du Conservatoire m’interdise en 1994 les concerts instrumentaux). Les musiques mixtes, qu’on pourrait qualifier d’ “électroacoustique” (au sens large), trouvaient ainsi leur place. Pour moi, c’est le comportement propre à la musique instrumentale qui est en action dans ces œuvres-là, c’est pourquoi je préfère les appeler “ musiques instrumentales ”, afin d’éviter un trop grand nombre de définitions et de dénominations pour un seul concert. J’ai par ailleurs intitulé ces concerts-là “Musiques à réaction” : cela permettait d’englober toutes les formes de musiques instrumentales.

            Voilà donc pour la petite histoire des dénominations. Mais je pense que tu ne devais pas être le seul à y avoir pensé…

            Bien sûr. Et donc, par la suite, quand j’ai commencé à parler d’art acousmatique, F. Bayle est venu me montrer un écrit qu’il avait produit, plusieurs années avant, dans lequel il parlait de l’idée d’un nouvel art qu’il proposait déjà d’appeler “art acousmatique”. C’était donc une notion qui existait avant moi, et d’ailleurs je n’avais pas spécialement cherché à innover, ni à me distinguer ou à fonder une école, car c’est beaucoup plus le côté pratique qui m’a guidé vers cette appellation. On peut aussi retrouver celle-ci dans des écrits du G.M.V.L., dont l’un d’eux s’intitule Vers un art acousmatique (collection Live, 1990).

            Pensais-tu faire autant de remue-ménage en appelant enfin un chat un chat ?

            Non, évidemment, c’est en toute innocence que j’ai mis cette appellation en avant, et uniquement pour des concerts que j’organisais. Mais peu de temps après Michel Chion m’a demandé de me justifier par écrit sur ce terme, dans une revue ou dans un livre. Lui avait plutôt préféré reprendre l’expression “musique concrète” et m’a alors assimilé à l’appellation “art acousmatique”. J’ai ainsi été promu “chef de file” malgré moi, car d’autres personnes ont suivi cette appellation, ne serait-ce que les élèves que j’ai pu avoir au C.N.R. de Lyon et qui ont été forcément formés à cette notion, même si tous ne s’en réclament pas. Certains ont repris le mot de “musique concrète”, ou bien “musique électroacoustique”, et certains ne veulent même pas faire de différence entre l’acousmatique et les autres musiques.

            Cet entretien est donc en fait une première réponse à la demande de Michel Chion…

            En effet. Il est vrai que je n’en ai jamais trop senti jusque là ni l’utilité, ni même tellement les moyens, parce que la motivation de cette démarche, plus naïve que longuement réfléchie, n’était pas d’ordre idéologique, ni esthétique, ni philosophique, mais seulement pratique : trouver un intitulé qui distingue clairement les concerts où il y a présence d’instrumentistes de ceux où on projette les œuvres fixées sur support. Car pour moi, c’est simple, l’acousmatique englobe toutes les musiques faites et fixées sur le support audio, quelqu’en soient les sources (acoustiques, électroniques, numériques), les moyens et les méthodes. Mon argumentation n’était donc pas d’une richesse suffisante qui justifiait un écrit ! De plus, le mot “acousmatique” désigne la façon dont l’œuvre est projetée en concert, “musique concrète” faisant plutôt référence à la démarche du compositeur. Il est vrai que l’expression “musique concrète” s’est retrouvée dans tous les dictionnaires du monde. Le mot est aussi historique, il a marqué les gens, et il existe vraiment depuis le début. Effectivement, comme le prouve Chion, “acousmatique” n’est pas aussi présent dans les dictionnaires. On pourrait donc le suivre vers l’adoption d’un terme déjà connu, utilisé, inscrit. Pourquoi pas ? D’autre part, Jean-François Minjard, Robert Curtet et moi-même avons intitulé le festival Futura : Festival international d’art acousmatique, auquel nous avons rajouté ensuite les arts de supports : cette question du support nous semble être plus fédératrice que celle de musique. Il y a en réalité plus de liens entre les arts de support (vidéo, cinéma, arts plastiques, etc.) et l’art acousmatique qu’entre ce dernier et la musique. Voilà mon avis, et je sais que ce n’est pas ce que pensent certains. Mais l’expérience que j’ai eu des gens que j’ai rencontrés et des discussions que j’ai pu avoir m’a montré, et l’histoire même de la musique concrète le montre très bien aussi, que le monde des arts de support semble plus enclin à s’associer et à comprendre ce qu’on fait en acousmatique que le monde musical habituel.

            Et on commence à entendre parler de plus en plus souvent d’acousmatique, aussi bien par écrit que dans le vocabulaire des gens, et cela un peu partout.

            Oui, je l’ai moi-même repéré dans des catalogues d’éditeurs qui éditent des compositeurs travaillant en instrumental comme en acousmatique. Mais j’ai aussi vu le mot mentionné dans pas mal de livres, revues, dictionnaires de la musique (ce que l’on doit principalement à M. Chion)... Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’est pas totalement inconnu. D’autre part il se traduit plutôt bien dans les principales langues étrangères : tous les courriers que nous recevons pour Futura sont sans ambiguïté là-dessus : le mot est utilisé. Lors du premier appel d’œuvres, il y a quatre ans, nous avions inclu dans les envois une définition de l’art acousmatique, et ce dans plusieurs langues. Nous recevons très peu d’œuvres qui ne correspondent pas à la situation acousmatique (sur 150 à 200 pièces reçues chaque année, tout juste 3 ou 4 sont des musiques instrumentales ou mixtes). La chose semble donc bien assimilée, d’autant plus que les habitudes concernant ce genre de festival auraient pu être d’envoyer des musiques mixtes puisque le festival de Bourges en programme. On nous oppose parfois que le mot “acousmatique” est compliqué, difficile à prononcer, qu’on l’orthographie mal (certains disent comprendre musique “acoustique”), etc. Là encore, l’expérience prouve le contraire : la proportion d’erreurs de ce genre dans la masse des documents journalistiques ou autres que nous avons pu recevoir depuis le début du festival est relativement infime. Ce qui me fait penser que le problème n’est pas si épais qu’on veut bien le dire. Dans un département comme la Drôme, où le mot était quasiment inconnu avant que nous commencions le festival, on s’aperçoit qu’il est prononcé sans aucune peine, comme n’importe quel mot nouveau que quelqu’un apprend dans la langue qui est la sienne et qu’il finit par intégrer dans son propre vocabulaire. Ce mot “acousmatique” n’est d’ailleurs absolument pas écorché par les élus : des conseillers généraux, régionaux, des maires l’ont prononcé dans divers discours, et pas uniquement lors des inaugurations du festival. C’est toujours un faux procès que de penser que les gens ne pourraient pas comprendre, ne pourraient pas prononcer ou se tromperaient toujours : c’est avoir une piètre opinion des gens, (dont, ne l’oublions pas, nous faisons nous-mêmes partie !). Il est évident que lorsque le mot est dit clairement et défini clairement il est ensuite retenu clairement et prononcé clairement. C’est ce que l’on appelle la pédagogie et l’apprentissage, on apprend des choses nouvelles tous les jours. Par conséquent, je ne vois pas pourquoi le mot “acousmatique” n’aurait pas pu être appris comme les autres mots.

            Parlons maintenant du festival international d’art acousmatique et des arts de support Futura. L’histoire commence en quelque sorte avec le collectif de compositeurs Quark, que tu fondes en 1984 avec la collaboration de Jean-François Minjard et quelques autres. Puis il y aura quelques années plus tard les fameuses Rencontres de Crest sur l’Art Acousmatique (1989-1994). Le festival Futura se présente un peu comme l’aboutissement de ton évolution professionnelle…

            Un aboutissement, certainement pas ! Certes, il s’agit d’un long cheminement pour arriver à Futura, mais aussi pour arriver à d’autres choses encore qui se créeront : je n’ai pas épuisé mes envies ni mon énergie concernant l’art acousmatique en général. L’histoire débute en fait beaucoup plus tôt. Membre de l’Ina-GRM depuis 1976, j’y travaille dans de nombreux domaines, en commençant bizarrement par la musique instrumentale avec le Trio GRM+ que j’ai fondé à l’initiative de F. Bayle en 1977, et qui a pris ensuite l’appellation d’Ensemble instrumental électroacoustique TM+, puis Ensemble TM+ depuis une dizaine d’années. L’ensemble aura eu un parcours allant du plus expérimental au moins expérimental. Je l’ai quitté en 1987, dix années après, à partir du moment où son orientation m’intéressait beaucoup moins, s’éloignant considérablement de ce qui pouvait le rattacher à l’Ina-GRM. Auparavant j’avais aussi été chargé d’un travail d’expérimentation sur les nouvelles machines : j’ai collaboré avec Jean‑François Allouis sur les problèmes d’interface de Syter, afin que la machine puisse répondre aux besoins du compositeur. Il fallait se placer constamment non du côté du technicien qui conçoit mais de celui qui va l’utiliser. J’ai donc été le premier à me servir de Syter en direct, avec Pli de Perversion/2, une pièce électroacoustique pour violon, synthétiseur et le dispositif (créée à Paris dans le cadre de l’I.C.M.C. le 22 octobre 1984). J’ai aussi beaucoup travaillé sur les accès de jeu, d’une part à l’intérieur du Trio GRM+ mais aussi lors du travail en studio. J’ai assisté quelques compositeurs, notamment Guy Reibel pour Granulations-Sillages (1976) et dans une moindre mesure François Bayle pour Tremblement de terre très doux (1978). Parallèlement à cette activité, je suis chargé d’un travail sur l’analyse du répertoire par le biais de relevés graphiques.

            Tu es d’ailleurs à l’origine de “partitions d’écoute” de quelques classiques du répertoire acousmatique, qu’on a pu voir dans les ouvrages traitant du sujet…

            Oui, on peut citer l’Etude aux Objets de Schaeffer, les Vibrations Composées de Bayle, le Requiem de Chion, Luminétudes de Malec, Novars de Dhomont… Tous ces relevés graphiques, je les ai fait chez moi, sans l’aide d’aucune machine. J’ai seulement dessiné les partitions avec un petit logiciel de dessin sur le minuscule ordinateur MSX que je possédais à l’époque ! Seul le relevé de Dhomont a été réalisé sur l’Acousmographe, qui en était encore à ses débuts. Là encore, comme pour Syter, j’ai testé ce nouvel outil, faisant part de mes remarques, dans le but de l’améliorer et de l’adapter davantage à nos besoins. Encore à l’état de prototype, ce fut difficile, voire décourageant de continuer à travailler sur ce logiciel dont les bogues incessants m’avaient parfois fait perdre des journées entières de labeur ! Je n’ai d’ailleurs pu achever que la moitié de Novars, préférant attendre une version du logiciel plus performante. Dominique Besson a ensuite poursuivi le travail pratiqué sur l’Acousmographe, reprenant très largement l’ensemble de mes travaux.

            Cet ensemble d’activités parisiennes te donne alors envie de favoriser le développement de cette réflexion en province, en particulier dans la région Rhône-Alpes où tu enseignais et où tu vis actuellement.

            Avec des élèves ou d’anciens élèves de la classe qui souhaitaient pouvoir se rencontrer et discuter, nous avons fondé une association appelée Quark, qui existe toujours (mais en sommeil pour l’instant). Au début nous avons organisé des concerts sur Lyon, en plus des concerts Acore liés à la classe du Conservatoire. Nous avions d’ailleurs mis en place, à l’image du Trio GRM+, un trio de synthétiseurs, formé de Jean‑Marc Duchenne, Jean-François Minjard et Jean‑Claude Vitau. Puis le collectif s’est beaucoup plus orienté vers la réflexion, réflexion qui s’est poursuivie avec les Rencontres de Crest sur l’Art Acousmatique. Celles-ci ont réuni, dès 1989, un ensemble de gens que nous convoquions autour d’un sujet donné. Nous avons en fait commencé cette année-là avec une discussion autour de l’appellation du genre. Il y avait entre autres Michel Chion, Christian Zanési, Christine Groult et Francis Dhomont pour mettre en question les dénominations “art acousmatique”, “musique acousmatique” et “musique concrète”. Sans aboutissement très précis, cette discussion a donc quand même eu lieu.

            Vous recommencez seulement deux ans plus tard, en 1991, puis 1992, 1993 et 1994. Les rencontres sont alors stoppées : le festival Futura occupe nécessairement une place plus importante, et ce dès 1993…

            Heureusement cette réflexion est reprise depuis bientôt un an grâce à l’initiative de Philippe Blanchard, qui a organisé dans la région Rhône-Alpes une Loge des compositeurs, prenant en quelque sorte le relais des Rencontres de Crest. Je crois qu’il est nécessaire que la réflexion puisse côtoyer la création et la production qui sinon s’étiole un peu, comme on le voit dans les endroits où il y a peu d’échanges. Ces rencontres, principalement organisées avec J.‑F. Minjard, ont ensuite abouti au festival Futura, parce qu’il y avait, sur Crest, un professeur de musique très actif, Robert Curtet, qui trouvait dommage de ne pas profiter sur le plan local de la présence d’un compositeur acousmate vivant et bien réel. C’est un peu sous son impulsion que nous avons mis en place le festival. Mais au départ mon projet était de faire un festival beaucoup plus large, un festival d’ “art” en général, où il y aurait eu théâtre, musique, cinéma, etc.

            Un projet plutôt ambitieux… Comment en êtes-vous alors arrivé au Festival international d’art acousmatique ?

            Nous nous sommes plus fixé sur l’idée de l’art acousmatique car l’autre projet demandait énormément de moyens pour s’entourer de compétences réelles dans les différents domaines, et l’art acousmatique est plus le nôtre. Nous avons donc pensé le festival tel qu’il est aujourd’hui dès 1992, et nous l’avons lancé réellement en 1993. Au début nous avions choisi la dénomination de Festival d’art acousmatique, qui venait naturellement après les concerts d’art acousmatique que j’organisais sur Lyon à ce moment-là. Contrairement aux premiers concerts Acore, la création du festival avait quelque chose de “pur et dur” : c’était de l’acousmatique et rien d’autre. D’autre part l’idée était de proposer de l’acousmatique tous azimuts, donc en dehors de toutes considérations d’écoles, de pays, etc. L’ambition de faire des appels d’œuvres dans le monde entier a conduit à l’appellation “international”. C’est vrai que j’étais très heureux de constater qu’on faisait des œuvres acousmatiques dans des styles que je ne connaissais pas trop à l’époque. On sait que la vitrine de l’acousmatique en France n’est pas très ouverte. Il y a peu de concerts en fait : le Son‑Mu de l’Ina-GRM est la seule saison de programmation des musiques électroacoustiques vraiment soutenue et ne peut donc pas faire entendre toutes les tendances, toutes les esthétiques. Le G.M.V.L. produit aussi quelques concerts en faisant des choix dans une certaine direction esthétique. Et à part cela, seulement quelques concerts isolés en différents endroits de France…

            …ainsi que le festival Synthèse de l’Institut de Bourges…

            …Mais c’est un cas à part car ce festival se situe plus par rapport à l’idée, en filigrane, d’un "forum" de compositeurs où sont jouées toutes les musiques électroacoustiques. Le choix se porte en fait plus sur l’origine, le contexte du compositeur, l’école qu’il représente, etc. que sur l’œuvre elle-même, afin d’avoir une représentation très large de tout ce qui ce fait. Avec Futura, nous avons préféré faire une sélection uniquement basée sur les œuvres mêmes, toutes tendances confondues. Nous avons programmé, entre autres, des compositeurs dont nous n’aimons pas les musiques, disons-le, mais auxquels nous reconnaissons un certain talent au niveau du style, de la réalisation, de l’aspect innovant, osé, etc. Ainsi, dès la première édition du festival, qui a eu réellement lieu en 1994 (il n’y a eu qu’une préfiguration en 1993), nous avons programmé des gens qu’au premier abord nous avions rejetés à l’écoute de leurs œuvres. Je ne les jugeais un peu idiotes, je me disais : “ Ah non, vraiment, il exagère ! ”, etc. Mais elles me trottaient dans la tête, elles ne m’avaient pas laissé complètement neutre. Du coup, en les réécoutant, je me suis aperçu que je ne les aimais pas forcément, mais qu’elles avaient quelque chose, un caractère très particulier. Je me suis dit : “ Il faut aussi faire entendre ces œuvres. Moi, je n’aime pas, mais ce n’est pas n’importe quoi, c’est quelque chose de sérieux, cela peut intéresser d’autres gens puisque nous sommes tous différents, nous avons tous des sensibilités différentes. Donc n’empêchons pas de faire entendre aux gens certaines musiques que moi-même je n’aurais pas forcément envie d’entendre. ” La programmation s’est faite la plus ouverte possible, en éliminant les musiques très élémentaires. Avec Minjard, l’idée de Futura, au départ, était de montrer une ample vitrine des goûts, des styles et des tendances de l’art acousmatique dans le monde, tout en conservant selon nous une certaine qualité, quitte à ce que cela fasse réagir. Nous n’avons pas du tout joué la carte du confort en ne prenant que les gens bien connus et bien installés, reconnus dans le milieu acousmatique. Nous avons plutôt souhaité faire entendre et faire venir dans ce festival, à côté de personnalités reconnues, celles dont on sentait qu’en venant là et écoutant d’autres musiques, cela pourrait peut-être leur ouvrir d’autres horizons… L’idée du “brassage pédagogique” vis-à-vis des compositeurs nous semble important. Mais cela n’est pas allé sans risques lorsque nous avons donné carte blanche, sur ce critère, à certains compositeurs.

            Il y a ensuite trois aspects dont j’aimerais t’entendre parler. Tout d’abord, le festival étant basé à Crest (Drôme), quelles ont été les raisons du choix d’un tel emplacement, et quels sont les projets futurs sur ce plan là ? Ensuite, l’image qu’on retient des dernières éditions de Futura, c’est plutôt un foisonnement d’univers très différents qu’est venu enrichir l’adjonction des arts de support (par rapport au projet original), la dimension internationale du festival s’ajoutant à cette richesse. Et enfin le plus évident à mon avis, ce qui fait le clou du festival c’est évidemment la fameuse “Nuit Blanche”, cet événement qui est devenu l’emblème, le symbole de Futura, une expérience qu’on ne retrouve pas ailleurs, qui est réellement unique.

            Futura à Crest, on pourrait presque dire que c’est un malentendu, vu le maigre soutien (16 000Fr !) de la ville et l’absence du Conseil Général. Nous avons choisi ce lieu pour plusieurs raisons. Bien sûr parce que j’y habitais moi-même. Mais principalement parce que, Crest étant une ville de petite taille, on pouvait y envisager un festival pas trop éclaté, permettant aux festivaliers de se déplacer d’un lieu à un autre à pied. La ville possède un nombre suffisant de monuments et des salles très diversifiées. Par contre, concernant le suivi et l’accueil, j’avoue que cela a été très décevant. La préfiguration que nous avons faite en octobre 1993 a été un très grand succès, beaucoup de gens s’en souviennent, ça a bien marqué, mais apparemment cela n’a pas servi de tremplin pour la suite. C’est même allé plutôt en diminuant au fur et à mesure. Malgré une préfiguration et deux éditions (1994 et 1995) où nous avons donné énormément de nous-mêmes, et pour lesquelles nous avons obtenu des coproductions de tous les groupes électroacoustiques de la région ainsi que de l’Ina-GRM ; et malgré le soutien moral de la nouvelle mairie qui est déjà beaucoup plus fort qu’avant : nous avons dû amorcer une forte réduction du projet. Certes, l’édition de 94 était quelque peu austère dans sa présentation, mais très foisonnante ! Il y avait concert sur concert, c’était comme une sorte de grande démonstration sur la vitalité du genre. En 95 nous avons rajouté la vidéo au cinéma déjà présent l’année d’avant : c’était la version idéale (dans un premier temps), en fait la bonne version de ce que nous aurions voulu faire du festival. Mais avec un budget déjà très faible. Et puis en 96, nous avons dû réduire car 95 avait sollicité une énergie et une bonne volonté considérables, ainsi qu’un bénévolat conséquent de la part de beaucoup de groupes et de personnes. D’autre part mobilisant plus d’argent que prévu, il a fallu régler un déficit qui s’est reporté sur 96…

            Ce qui n’empêche pas de dire que Futura est loin d’être le festival le plus coûteux de France…

            Certainement. Nous sommes arrivé à le faire “pour pas cher”, mais au prix de quels efforts, aussi ! Comment atteindre nos ambitions premières et la dimension d’un festival international avec seulement 150 à 200 000Fr selon les années, là où il faudrait plus d’un million ? C’est grâce à la confiance immédiate de la Drac Rhône-Alpes et de la Sacem que nous avons pu mettre en place Futura, et nous espérions que la dynamique engagée et le travail en réseau, national comme international, convaincraient davantage les collectivités locales (ville, département et région)… Hélas, malgré une image de Futura rapidement reconnue (envoi de l’information à un fichier de près de 10 000 adresses), une reconnaissance médiatique conséquente (et notamment européenne grâce aux reportages de EuroNews en 5 langues), les élus locaux n’ont pas dû trouver d’intérêt électoral majeur à une manifestation de ce genre ! Il faut aussi savoir que personne n’est payé dans l’organisation. Et non seulement personne n’est payé, mais on y dépense de l’argent personnel. Depuis le début, j’ai moi-même mis plusieurs dizaines de milliers de francs dans l’aventure. La version 96 a du éponger le déficit de 95 : suppression du cinéma et de la vidéo, durée resserrée, etc. En plus des concerts nous avons tout de même conservé la Nuit Blanche, qui prend place dans un lieu un peu magique, étrange et grandiose, la Tour de Crest. Il est vrai que c’est peut-être un peu l’emblème, à Crest, de ce festival : s’il ne devait rester qu’une seule chose, ce serait certainement ça. Ce n’est d’ailleurs pas une expérience totalement unique puisque j’ai souvenir d’une nuit organisée par Michel Redolfi aux Thermes de Strasbourg, dans le cadre du festival Musica, et que d’autres nuits ont émaillé divers festivals et manifestations depuis longtemps.

            Mais Futura va plus loin en renouvelant le concept tous les ans : du coup, ce n’est plus un concert lié à un compositeur, mais un concert de toutes les musiques acousmatiques du monde…

            Oui, c’est effectivement toutes les musiques acousmatiques, car on avait confié à chaque fois à un compositeur la programmation de cette Nuit Blanche afin qu’il programme non pas ses propres œuvres mais celles qu’il connaît. L’intérêt de cette démarche fût de permettre à tout le monde de découvrir des œuvres dont on n’avait pas connaissance. La programmation de Dieter Kaufmann en 95 fut assez exemplaire, on put y entendre de nombreux compositeurs autrichiens avec qui nous avons pu établir des contacts. La sensibilité du compositeur guide sa programmation, et le thème de la Nuit Blanche est suffisamment serré pour éviter d’être trop systématiquement “tous azimuts”, cela oblige à chercher une bonne cohérence par rapport à une situation un peu extrême comme celle-ci.

            Peux-tu justement détailler le déroulement de ce véritable marathon de dix heures ?

            La Nuit Blanche, c’est une projection continue d’œuvres acousmatiques qui démarre à 9 heures du soir et se termine à 7 heures du matin. Elle a lieu en haut de la Tour de Crest, c’est-à-dire dans une immense salle en pierre et en charpente, donc sous les toits. Celle-ci possède une architecture particulière, du fait qu’il s’agit des anciennes terrasses qui recueillaient les eaux de pluie : le sol est en pente, incliné vers une rigole. Il y a en fait plusieurs pentes, et tout cela fait de cette salle un lieu multiforme, très différent des grands rectangles des salles de concert traditionnelles, et qui confère à cette expérience, qui a lieu à environ 50 mètres de haut (c’est la plus haute tour médiévale de France), un charme unique et étrange. Puis nous y installons des matelas et des chaises, et les gens viennent soit pour la nuit entière soit pour le début. Certains écoutent plutôt assis, comme à un concert, pendant une heure ou deux puis s’en vont, les autres passent la nuit, somnolent, sont réveillés, se rendorment, etc. le tout dans une atmosphère très calme. On peut bien sûr se lever, se promener, sortir, revenir, discuter. Il y aussi à boire et à manger… C’est un événement : certains se font la nuit complète, sans bouger, dans leur duvet, comme une espèce de rite. Il est vrai que cette formule, telle que nous la proposons, fonctionne très bien. J’ai toujours pensé qu’il y avait, dans l’art acousmatique, des “musiques à somnoler”, c’est-à-dire des musiques qui portent, dans une petite somnolence, au rêve et à l’imagination, et dans laquelle on est bien. Il y a toute une partie du répertoire acousmatique qui ne joue pas sur les ruptures fortes, sur des à-coups, des surprises tonitruantes, ce sont des musiques qui se prêtent très bien à cette situation d’écoute. Mais cela ne veut pas dire que la Nuit Blanche n’est faite que de musiques sans reliefs. Cela permet dans la programmation d’avoir des moments très diversifiés. On peut ainsi composer des Nuits Blanches en usant bien du répertoire, et aussi faire entendre des musiques qu’on écoute rarement en concert car très distendues, mais qui ont quand même un petit quelque chose, un intérêt. On en accepte d’autant mieux la durée qu’on sait qu’on est là jusqu’au petit matin.

            Concernant l’implantation du festival à Crest ?

            Je ne vais pas dire que c’est un échec, mais c’est une déception quand au soutien. Même si on a pu accroître très légèrement les aides (notamment du côté du Conseil Régional en 1996), ce n’est pas vraiment gagné ni très facile car le budget total reste faible. Il ne tient qu’à notre énergie de vouloir continuer ou non, car faire un tel travail sans contrepartie financière, c’est quand même difficile. De plus, le bénévolat et l’enthousiasme de certains collaborateurs des débuts se sont progressivement dissipés.

            Futura 97, alors ?

            Les appels d’œuvres ont eu lieu à la fin de l’année dernière en indiquant différents endroits. Depuis deux ans que j’enseigne à Perpignan il m’avait été demandé par Daniel Tosi, directeur du Conservatoire, d’y transférer le festival Futura, en même temps que ma classe de composition. Malheureusement, la mairie a changé à ce moment là, et elle a voulu remettre tous les compteurs à zéro. Il y a eu dès lors moins de facilités pour ce que faisait déjà Tosi, et donc encore moins pour lancer une nouvelle action. Par contre j’ai pu apprécier un accueil très chaleureux envers l’art acousmatique, que Tosi programmait déjà dans son festival Aujourd’hui Musiques avec le concours de l’Institut de Bourges ou de l’Ina-GRM. L’acousmatique y est donc bien présente. Futura est un peu plus présent à Perpignan depuis que j’y enseigne, par le biais de concerts que l’on a appelé “Futura en saison”, c’est-à-dire hors festival. Il y en a eu trois la première année, et six pour la saison actuelle. Pour Futura 97, il va y avoir quelques journées de concerts à Crest. Nous n’appelons plus trop cela “festival” pour le moment car il faudrait une certaine envergure, selon moi. Il est vrai qu’il y a des festivals qui se font avec trois journées de concerts bien traditionnels et des compositeurs bien reconnus… Mais je ne trouve pas que ce soit vraiment des festivals. Toujours est-il que nous avons prévu des programmations acousmatiques et nous souhaitons réintégrer cette année vidéo et cinéma. Comme les diminutions de budgets continuent depuis l’année dernière, nous avons préféré, plutôt que d’éliminer des catégories artistiques, restreindre les lieux et dispositifs de projections acousmatiques (comme cela avait déjà été fait en 96) et aussi limiter l’équipe d’organisation. Nous avons décidé de nous rabattre sur la Tour de Crest pour toutes les journées Futura 97 qui se dérouleront du 24 au 28 septembre.

            Dans laquelle on retrouvera la fameuse Nuit Blanche…

            Oui, bien sûr. Sur Perpignan, nous tentons une autre expérience du même genre qui ne sera pas une deuxième Nuit Blanche et que, pour le moment, nous avons appelé Acousma-Rave, en référence aux soirées rave que l’on rencontre dans le monde de la techno. On voit d’ailleurs en ce moment que la techno et l’acousmatique font bon ménage par l’intermédiaire de Pierre Henry et aussi de Pierre Schaeffer (souvent qualifiés de “pères” de la techno ou de “premiers DJ’s !...). L’idée de cette soirée que nous allons lancer modestement en ballon d’essai le 30 avril (à l’auditorium John Cage du C.N.R. de Perpignan) serait de projeter des œuvres acousmatiques dans une situation où on s’immergerait dans un bain sonore, plutôt que la situation de concert où on se concentre sur l’écriture de l’œuvre elle-même. Nous cherchons dans le répertoire acousmatique des œuvres qui mettent évidemment plus en avant le processus sonore que le processus d’écriture, au sens traditionnel, qui ne demandent pas obligatoirement une écoute attentive. D’autre part le public sera debout et libre de bouger, comme on le fait dans les soirées raves ou space… Le but étant d’essayer de voir si le répertoire acousmatique, qui est bel et bien vivant et qui possède des musiques rythmées, pulsées, planantes et dont le son est très présent, très soutenu pendant longtemps, proposant donc une expérience sonore, s’il peut fonctionner avec un public qui sera vraisemblablement intermédiaire entre le public techno et le public de l’acousmatique.

            L’autre but étant de susciter un répertoire particulier, adapté à cette occasion.

            Oui. Nous avions lancé l’an dernier, à cet effet, l’Acousma-Dance. Nous avons reçu quelques œuvres, mais dans l’ensemble, cela n’a pas été très concluant, bien que certaines pourront être données dans l’Acousma-Rave. Nous n’avons pas reçu d’œuvres qui aient vraiment “la pêche”, ce qui nous a un peu déçu, vu que le répertoire comporte nombre d’œuvres qui n’ont rien à apprendre de la musique techno ou de la musique pulsée, en général. Il y a vraiment des acousmates qui ont un sens du rythme indéniable, et pas forcément chez les plus jeunes… Nous avions donc pensé recevoir des musiques dance très rythmées, vraiment pleines de son en force, de beaux sons comme on sait les faire dans l’acousmatique, des sons pleins, entiers et vivants. On s’est alors retrouvé avec des choses souvent très maigrichonnes, bizarrement. Nous pensions tout de même chercher dans le répertoire existant, mais si le projet n’a pu être réalisé c’est surtout à cause des restrictions budgétaires de 96. Ce qui était finalement une bonne chose quand on a appris que la ville de Crest avait été soulagée de savoir que cet événement n’aurait pas lieu : ils en avaient une crainte énorme ! Alors qu’à Perpignan la soirée est très attendue (y compris par les élus et la mairie qui trouvent l’idée très originale et très intéressante), on nous a demandé des renseignements à passer dans la revue de la ville, distribuée dans toutes les boîtes aux lettres ! Cela permet de voir un peu les différences d’état d’esprit…

            Les perspectives de Futura ?

            Futura continue. Ce ne sera peut-être plus sous la forme, que nous avions imaginée avec Jean‑François, d’un grand festival international sur dix jours où on brasserait beaucoup sur les arts de support, où il y aurait aussi des rencontres… Peut-être que ce sera Futura présent dans plusieurs endroits avec un savoir-faire, une programmation et un dispositif qui pourra tourner, peut-être dans plusieurs lieux, dans plusieurs villes, dans plusieurs pays… Je ne sais pas encore quelle allure prendra le festival pour les éditions à venir. Pour le moment nous continuons. Nous allons même associer aux Journées Futura des jours de colloques, séminaires et rencontres autour de sujets touchant à l’art acousmatique pour essayer, avec des penseurs et des philosophes, de développer la réflexion autour de ce qu’apporte la perception acousmatique, ce jeu sur le virtuel et les métaphores, d’une part, et le répertoire d’autre part. Une précision : Futura a toujours été conçu pour faire entendre des œuvres et non pas mettre en avant des esthétiques ou des écoles. De plus, Futura n’a jamais joué la carte du technologique. Il est vrai qu’il existe quelques festivals des “arts électroniques” ou bien des “arts virtuels”, etc. qui mettent en avant cette donnée. Si nous avons joué sur l’idée d’ “arts de support”, ce n’est pas tant pour faire entendre des œuvres qui utilisent la modernité absolue, le dernier cri de la technologie, que pour réunir des arts aux pratiques voisines : art vidéo, cinéma, photo et même art plastique. Nous voulions mettre en avant l’idée de fixation : fixation du son, fixation de l’image, fixation de la matière pour des œuvres n’existant que par et avec leur support.

            Pour des raisons de longueur, l’entretien a été scindé en trois. Les deux autres parties seront consacrées aux quinze ans d’expérience pédagogique (de Lyon en 1980 à la classe de Perpignan aujourd’hui), au  cheminement musical de l’œuvre, depuis Bocalises (1977) jusqu’à Bazar Punaise (1996) et à la récente fondation (décembre 1996) de Motus Editions.

                                                                              ©1997 Jonathan Prager pour l’interview