R  E  V  U  E     N ° 6                S  E  P  T  E  M  B  R  E      1  9  9  7

E D I T O R I A L

 

 

            Combien de fois n’a-t-on pas entendu dire que le compositeur de musique électroacoustique aimait à s’enfermer dans sa tour d’ivoire (en l’occurrence son studio), restait volontiers à l’écart des autres pratiques musicales, voire des autres modes d’expression artistique, que sa pensée était historiquement coupée des époques précédentes. Cette sixième publication de Ars Sonora prouve précisément le contraire — ou continue à le faire, car cet aspect n’a pas cessé d’être souligné depuis les débuts de notre revue.

            Denis Dufour montre par exemple qu’une activité d’enseignement peut être double, s’orienter tantôt vers l’acousmatique, tantôt vers l’instrumental, chacune devant garder dans ce cas sa spécificité, loin de tout principe d’exclusion. Tout au long de ses propos, D. Dufour insiste précisément sur l’attitude globale du compositeur vis-à-vis du monde musical qui, loin de s’arrêter à la fabrication de l’œuvre-objet proprement dit, se charge de multiples implications sociales, économiques, ce dont l’étudiant en composition doit très rapidement prendre conscience.

            L’expérience électroacoustique est constituée de multiples facettes qui ne peuvent plus s’ignorer ou se combattre les unes les autres. nous n’en sommes plus à l’époque des chapelles ou des clans, même si des affinités au sein de certains groupes de compositeurs sont indéniables. C’est pourquoi il est important d’observer comment s’articulent aujourd’hui les rapports entre les différentes approches des musiques sur support, depuis les racines de l’investigation concrète jusqu’aux recherches sur ordinateur ; ainsi Robert Normandeau nous apporte-t-il un éclairage des plus précieux sur cette dialectique entre le virtuel et le concret qui s’opère dans la conscience de nombreux compositeurs des nouvelles générations.

            Avec le romancier allemand Alfred Döblin, nous plongeons une nouvelle fois dans « l’archéologie » de l’appréhension acousmatique des sons. Ce texte dialogué, qui remonte à 1910, écrit avant même les premiers manifestes futuristes italiens de Russolo et Marinetti, contient des intuitions pour le moins prophétiques qui témoignent d’une conception du son rêvée par bien des compositeurs, quels que soient les moyens technologiques utilisés. A travers un tel texte, on comprend à quel point l’enjeu déborde toute considération strictement technique.

            Mais il s’avère également nécessaire de revenir à une approche plus réaliste du phénomène musical, ce que font Marcel Frémiot et Lucie Prod’homme dans leur dossier sur les U.S.T. (Unités Sémiotiques Temporelles), outil favorisant notamment de nouvelles modalités d’analyse, aussi bien en ce qui concerne les œuvres électroacoustiques qu’instrumentales. En supplément à ce numéro 6 de Ars Sonora Revue est d’ailleurs présentée une analyse, par Pierre Malbosc, du quatuor Ainsi la nuit de Henri Dutilleux, qui représente une brillante démonstration des possibilités offertes par la théorie des U.S.T.

                                                                                   Jean-Yves Bosseur