Entretien avec Denis Dufour (troisième partie)

réalisé par Jonathan Prager

 

 

            L’avènement du festival Futura et l’expérience de l’enseignement étaient les thèmes centraux respectifs de la première et de la deuxième partie de cet entretien. Dans cette troisième et dernière section nous abordons enfin l’œuvre musicale de Denis Dufour, plus particulièrement dans le domaine acousmatique, son style et vingt ans d’évolution, depuis Bocalises (1977) jusqu’à Ebene Sieben (1997).

            Tu continues d’agir de façon très soutenue pour faire vivre la musique de notre temps, qu’elle soit instrumentale ou sur support. Tu as mis en place un certain nombre d’organisations en ce sens. Et tu es professeur de composition depuis 1980, nous avons d’ailleurs cité un nombre impressionnant de compositeurs issus de ta classe et qui sont maintenant dans le métier ou qui débutent dans le milieu. Pour finir, parlons un peu de toi et de ta propre carrière, du commencement jusqu’à Motus, la maison d’éditions musicales que tu viens de mettre en place…

            Soit. Je me suis intéressé à la musique classique relativement tôt dans mon milieu familial. J’ai été celui qui a été le plus attiré par la musique savante et son côté un peu complexe, par sa richesse. J’ai donc assisté à des concerts de musique symphonique à partir de l’âge de 13-14 ans. À la même période j’ai commencé à apprendre le violon, ce qui est relativement tard pour apprendre un instrument. Dès cet âge-là je me suis trouvé des accointances avec la composition musicale. Je voulais être compositeur. Je ne sais pas à quoi ça tient ni d’où ça vient mais je l’ai voulu à ce moment-là et j’ai commencé à écrire vaguement des petites partitions, mal écrites, certainement pleines de fautes puisque je savais tout juste lire la clé de sol. Quand on a envie de faire des choses il semble qu’on possède une sorte d’intuition, de cognition étrange. Ce parcours a donc commencé ainsi. J’ai pris des cours de violon et ensuite des cours d’alto. J’ai eu du mal à convaincre mes parents, comme c’est souvent le cas, que je voulais être compositeur. C’est pourquoi je suis rentré au conservatoire en parallèle à des études universitaires de mathématiques. Il avait d’abord fallu que je passe le bac, je ne suis donc arrivé au conservatoire qu’à l’âge de 19 ans. En 2 ans, de 1971-72 à 1973, je me suis plongé dans une espèce de frénésie, de boulimie, j’ai appris toute la musique, le solfège, l’harmonie, le contrepoint, l’histoire de la musique, l’analyse, l’histoire de l’art… J’ai continué d’étudier le violon mais je plafonnais car j’avais commencé trop tard. D’ailleurs, je ne suis pas tellement instrumentiste dans l’âme. Tout ça je l’ai appris très vite. J’ai passé mes prix, mes médailles, tout ce que je pouvais passer le mieux possible dans ce laps de temps.

            Très vite je me suis dirigé vers Paris sur les conseils de personnalités lyonnaises qui m’avaient dit qu’il ne fallait pas que je traîne là, que je n’apprendrai pas grand-chose vu ce que je voulais faire… J’ai donc été présenté à Ivo Malec. Je l’ai rencontré en 1974 et il m’a dit de m’inscrire à une classe qui s’appelait “classe d’électroacoustique”, musique que je ne connaissais pas du tout. J’avais alors une culture très sommaire de la musique contemporaine, même si j’avais commencé à acheter quelques partitions à Lyon après avoir entendu en concert une ou deux œuvres, ce qui était rare. Pour l’anecdote, cette musique a commencé à m’intéresser et à me passionner à partir du moment où j’ai entendu une pièce symphonique de Penderecki en concert. Au début, ce n’était pour moi que du bruit, un peu n’importe quoi, ça me faisait sourire. Puis un jour, sur France-Musique, j’ai eu le sentiment que j’avais déjà entendu le morceau qui passait. Il sonnait toujours bizarre, mais ce qui m’étonnait c’était que je reconnaissais l’œuvre entendue au concert. Et quand l’annonce a été faite il s’agissait bien de cette œuvre-là. Ça m’a mis la puce à l’oreille : de ce que je croyais être n’importe quoi, un travail de fumiste, comme beaucoup de gens pensent à propos de la création contemporaine en général, c’était devenu quelque chose de reconnaissable. Et si c’était reconnaissable pour moi cela voulait dire que ce n’était pas “n’importe quoi”, parce qu’on ne reconnaît pas le “n’importe quoi”… À partir de là, je me suis documenté, j’ai acheté la partition… Ça m’a passionné de voir que l’on pouvait faire cette musique étrange sans faire “n’importe quoi”. C’est certes un peu naïf mais c’est comme ça que les choses se sont amorcées ; je ne sais pas pourquoi j’ai aimé cette musique tout de suite sans qu’on m’y ait spécialement forcé.

            Je suis donc arrivé à Paris en 1974. “Classe d’électroacoustique”, je ne savais même pas ce que cela voulait dire, j’ai même fait répéter le mot à Malec ! Puis je me suis renseigné, j’ai acheté le Traité des objets musicaux que j’ai lu sans rien comprendre et j’ai écouté un disque ou deux de Pierre Henry que mon frère possédait. Tout de suite j’ai essayé de bricoler quelques sons avec son magnétophone (c’était un Philips grand public) pour me préparer un peu, pour essayer de voir ce qu’on pouvait faire : j’ai alors enregistré des sons à la maison de campagne, la scie électrique, des choses comme ça que j’ai ralenti ou accéléré et coupé… J’ai fait ainsi quelques petits essais. Et puis je me suis inscrit à cette classe. Et à ma grande surprise j’ai été admis à la “classe d’électroacoustique” de Guy Reibel et Pierre Schaeffer au CNSM de Paris, ce qui est étrange vu la culture que j’avais et mon niveau général de solfège et de connaissance musicale !

            Suivais-tu les cours de composition instrumentale d’Ivo Malec en même temps ?

            En auditeur seulement car je ne pouvais accéder à cette classe dont le niveau d’entrée était bien trop élevé pour moi. Pendant les 2 ans de la classe de musique électroacoustique, j’ai également continué de suivre des cours de solfège et d’harmonie afin d’essayer de me mettre au niveau. J’ai échoué deux années de suite au concours et je suis finalement rentré en composition, par chance, juste après la classe d’électroacoustique, ce qui fait que je n’ai pas eu de temps mort. La troisième fois était donc la bonne. La classe de Reibel et Schaeffer m’a complètement ouvert et m’a enseigné en même temps quelque chose qui était dans ma nature. Je n’ai eu aucune difficulté à rentrer dans cette façon de travailler qu’est la “démarche concrète”. Je me suis aperçu à ce moment-là que j’avais toujours fonctionné inconsciemment de cette façon dans ma propre vie. Je pouvais enfin faire ce que je savais pouvoir faire et non plus apprendre des choses qui m’étaient totalement étrangères ou impossibles, en bachotant jusqu’à ce que j’y arrive. La “démarche concrète” m’était totalement adaptée : aller dans la direction qui est la mienne, là où je sais construire, travailler avec mes propres moyens, ma propre morphologie, ma propre esthétique, tout en étant complètement dans le musical. Je n’avais pas à passer par le filtre d’une technique, d’une technologie trop marquée, trop codée. Et il n’y avait pas non plus de culture requise : en somme cela correspondait exactement à tout ce que je voulais. Je m’étais toujours dit, depuis tout petit, que je ne travaillerais jamais dans un bureau, ni à des horaires fixes comme tant d’autres que je voyais autour de moi. J’étais très heureux de ça.

            Ensuite j’ai suivi la composition instrumentale avec Malec pendant trois ans. Et les choses se sont enchaîné assez facilement : pendant ma première année de composition instrumentale j’ai été assistant de la classe de Reibel et Schaeffer pendant un an au CNSM, dès ma sortie en 1976. C’est d’abord pour assumer ce poste que j’ai été admis au sein du Groupe de Recherches Musicales. En effet, j’avais été remarqué par François Bayle grâce à mes productions réalisées pendant la classe, vraisemblablement pour une certaine poésie qui se dégageait de quelques exercices que j’avais fait en première année. La classe était très liée au GRM, elle se déroulait dans ses locaux et ses studios, et les compositeurs du groupe venaient écouter de temps en temps les réalisations des élèves. Il y avait un lien très direct.

            Lors de ma première année d’électroacoustique on travaillait encore sur l’objet sonore, c’était l’ “ancienne” pédagogie, pourrait-on dire. Mais pendant ma deuxième année, Guy Reibel a commencé à instaurer la notion de “séquence-jeu” ; et quand j’ai été assistant, nous avons solidement mis au point cette notion avec lui et quelques autres. J’étais totalement impliqué à ce moment-là. Et c’est parce que j’ai reçu les deux apprentissages que j’ai introduit plus tard, dans ma propre pédagogie, des énoncés d’exercices sur les objets sonores comme sur les séquences-jeu. Il m’a semblé plus riche de faire bénéficier de ces deux méthodes, car cela montrait deux facettes possibles de la composition et de l’écriture acousmatiques.

            Après cette année d’assistanat au CNSM, François Bayle me propose ensuite de créer un ensemble instrumental, un trio de synthétiseurs qui s’appellera le Trio GRM Plus, créé en octobre 1977, avec Laurent Cuniot et Yann Geslin. Cette formation s’est développée pendant plusieurs années dans le cadre du GRM. Nous disposions d’un certain confort puisqu’il ne s’agissait pas d’un ensemble instrumental indépendant : au début nous avions des locaux ainsi qu’un soutien matériel qui n’était pas négligeable. J’ai fait partie de cet ensemble jusqu’en 1987, peu de temps après avoir changé sa dénomination en 1984, date à laquelle d’autres instrumentistes nous ont rejoints : dès lors le Trio GRM Plus devient Ensemble instrumental électroacoustique TM+. Lorsque nous avons complètement abandonné l’aspect expérimental, j’ai quitté l’ensemble, laissant la totale direction à Laurent. J’étais beaucoup moins intéressé par l’interprétation des œuvres du répertoire ou des œuvres de compositeurs instrumentaux peu ou pas du tout formés au sons électroniques et à l’électroacoustique en général. Je me retrouvais devant des partitions trop traditionnelles, et je ne me sentais pas l’âme d’un instrumentiste traditionnel.

            Grâce à TM+ tu auras tout de même suscité un répertoire d’œuvres “live electronic” spécialement composées pour l’ensemble.

            Assurément. On a suscité un répertoire, on a même suscité une stylistique qui n’a pas été très appréciée au début. Mais le problème venait plus du fait que le trio était fondé dans le cadre d’un groupe plutôt orienté musique acousmatique et qui n’aimait finalement pas trop nos élucubrations instrumentales à base de sons de synthé un peu pauvres à l’époque : nos réalisations étaient par conséquent très minces, très pauvres en sons… Mais riches en modalités de jeu parce que nous inventions à ce moment-là le jeu sur synthétiseur. Nous essayions de trouver comment en jouer, car il n’y avait pas de claviers sur les synthés de recherche, il n’y avait rien, et tout cela nous a forcé à fabriquer des accès de jeu diversifiés. Cela formait un tout, du travail de recherche expérimentale à l’élaboration d’œuvres adaptées à cette situation. Nous étions donc entre deux eaux : d’un côté le milieu de l’acousmatique qui n’appréciait que modérément ce genre de chose, tellement moins riche en sonorités qu’une œuvre sur bande, et d’un autre le milieu de la musique instrumentale était tellement accroché à l’instrument traditionnel, aux notes etc., qu’il ne savait ni écrire pour nous, ni concevoir des sons de synthé qui ne fassent pas les rythmes et les notes habituels. Nous étions un petit peu en porte-à-faux et ça n’a pas été commode. Le répertoire n’a pas été immense, par contre le travail a été très soutenu. Nous avons vraiment beaucoup recherché, avec sérieux, persévérance et concentration. Nous sommes finalement arrivés à susciter un style, des musicalités… et quelques suiveurs : il y a eu un groupe à Lyon pendant deux ou trois ans, un autre à Paris ainsi qu’un ensemble toujours en activité, celui de Pascal Gobin et Michel Pascal à Nice qui continue de travailler en partie dans cette optique-là. Je pense que le peu de répercussions pourrait s’expliquer par une musicalité trop particulière, qui demandait trop de travail pour ceux qui voulaient écrire. Les œuvres devaient se situer entre l’improvisation et l’écriture, il fallait déterminer des modes de jeu, définir des sonorités, etc. En fait c’était un comportement général que les compositeurs n’avaient finalement pas trop envie d’adopter.

            L’époque du Trio GRM Plus, c’est bien sûr l’époque de ton premier succès acousmatique, Bocalises

            Bocalises est en fait ma première pièce après être sortie de la classe du conservatoire en 1976. Cette première œuvre a fait une jolie petite carrière, elle a marqué. C’est une pièce que je trouve un peu austère et un peu trop démonstrative des possibilités de travail en studio. Elle se situe dans la lignée des pièces un peu “pures” de la musique acousmatique de ces années-là, les années 70. Bocalises m’a mis sur les rails. Ensuite d’autres œuvres ont suivi, j’ai pris des tournants qui on fait que certains ont été un peu désolé de voir que je ne faisais plus Bocalises éternellement. Mais de toute façon je pense qu’on retrouve complètement dans mes œuvres récentes ce qui était déjà dans celle-là. On retrouve une façon de faire, une stylistique beaucoup plus enrichie, plus orchestrée qui donne parfois l’impression d’une confusion ou d’une nonchalance, comme j’ai pu l’entendre dire, mais qui relève en fait d’un même type d’écriture toujours aussi serrée, toujours aussi travaillée à laquelle j’ai rajouté d’autres couches de sons et de sens, de symboles, de logique, de structure. J’ai souhaité augmenter les niveaux d’écoute, de lecture. Ce qui fait que Bocalises apparaît aux oreilles comme quelque chose de réussi, c’est qu’elle est en fait très directe, on entend “tout” tout de suite… Pour moi c’est un peu “premier degré”, un premier degré qui marche, certes, mais cela ne m’a plus suffi. J’ai voulu rajouter quelques étages à l’édifice…

            Et tu crées la classe de composition du CNR de Lyon au début des années 80.

            Oui, je la crée très naturellement et très naïvement dans la suite de ce que j’avais fait à Paris quand j’étais assistant de Reibel. Originaire de Lyon il me semblait normal qu’il y ait une classe d’électroacoustique dans cette ville. Il est vrai que je ne me suis jamais posé la question des difficultés éventuelles ; j’ai mis cette classe sur pied très simplement, avec l’appui logistique et moral du GRM. Et également grâce à un directeur plutôt “à l’ancienne”, pas forcément porté sur la création contemporaine mais assez intéressé par le prestige de ce genre de classe et qui savait donner sa confiance. Il faut dire que le Ministère de la Culture soutenait beaucoup ces initiatives à cette époque. Michel Decoust, alors inspecteur de la musique, a favorisé beaucoup la création de studios en France, de groupes de musique électroacoustique et de classes dans les conservatoires. C’est apparemment un heureux concours de circonstances qui fait que j’ai pu créer cette classe sans trop de difficultés, même si ça a pris un peu de temps (nous avions monté les dossiers dès 1978-79). Mais une fois les aides du Ministère, de la Ville et de la Région réunies, la classe s’est mise en route très rapidement et j’y ai enseigné de 1980 à 1995, année où j’ai pris la direction de la classe de composition du conservatoire de Perpignan.

            Pendant tout ce temps tu composes un grand nombre d’œuvres acousmatiques et instrumentales.

            Oui, d’ailleurs beaucoup plus d’œuvres instrumentales car il y a une reconnaissance sociale et officielle beaucoup plus importante que pour la musique acousmatique. Ce qui veut dire plus de demandes, plus de commandes et plus de possibilités d’être joué. En somme on pourrait dire que je suis la loi du marché, c’est-à-dire que je compose en fonction de la demande. Il y a un fort pourcentage de musiques instrumentales ou mixtes à mon catalogue, environ deux tiers, bien que j’ai composé énormément d’œuvres acousmatiques ces derniers temps, car il semble que la demande dans ce domaine commence enfin à s’accroître, et je trouve davantage d’occasions de concerts.

            Après Bocalises, la Messe à l’usage des vieillards (1987) est ton second succès, dix ans plus tard. On connaît paradoxalement plus Dufour pour ses “tubes” acousmatiques alors que sa production instrumentale est plus importante.

            Il y a deux raisons à cela. Je suis étiqueté acousmatique ou électroacoustique et non instrumental. Plusieurs fois il m’est arrivé qu’une personnalité du milieu de la musique instrumentale, entendant une de mes œuvres (instrumentale) en concert, me félicite et m’encourage à continuer de composer pour les instruments croyant qu’elle entendait là ma première tentative dans ce domaine ! D’autre part, j’ai peut-être une personnalité acousmatique plus lisible tout de suite, car plus libre, moins codée. Concernant la Messe on a pu dire que c’est un “tube”, mais c’est vraisemblablement surtout parce qu’elle est sur disque. Je crois que si cette pièce a eu du succès c’est grâce au premier mouvement qui a quelque chose de poétique et de touchant psychologiquement. C’est peut-être dû à cette utilisation des voix de personnes âgées, de leur fragilité, de leur mise en scène…

            …ce qui n’était pas très courant jusque là.

            J’avais toujours pensé que l’acousmatique pouvait “donner la parole” à ceux qu’on ne peut pas voir et entendre sur scène, les bébés, les vieillards, ceux qui sont justement trop jeunes, à la retraite, trop vieux, ou encore trop fragiles. L’acousmatique peut se déplacer vers ces gens-là. Cette Messe à l’usage des vieillards a vraiment quelque chose d’innovant pour mon style, d’innovant dans la simplicité. J’ai voulu rendre hommage à des gens qui sont un peu ignorés. Mais cette idée, qui n’est qu’une idée de départ, n’est évidemment pas au centre de l’œuvre. Par la suite ce que j’en ai fait correspond aussi vraisemblablement au goût du moment, on y retrouve quelques citations de musiques de tous les jours, quelques éléments naturalistes, quelques sons évocateurs, figuratifs… En somme un aspect un peu radiophonique, plutôt dans la tendance actuelle.

            Cette pièce semble d’ailleurs avoir influencé pas mal de compositeurs depuis. J’irais même jusqu’à dire qu’elle a lancé un style.

            Peut-être. Il est vrai qu’on entend pas mal de grand-mères dans les musiques acousmatiques, depuis. Des grand-mères qui racontent leurs souvenirs. Seulement dans la Messe, les vieillards ne racontent pas leurs souvenirs, puisque c’est un texte écrit par Tom Aconito, mais j’ai joué le jeu un peu “réaliste” des souvenirs. Si c’est une pièce qui a vraiment marqué, j’attends vraiment d’avoir sorti d’autres disques pour connaître les réactions, car j’ai une production tout de même assez multiforme, avec des styles et des approches de l’art acousmatique très divers.

            Mon style en musique instrumentale est moins connu parce que, étiqueté acousmatique très longtemps, j’ai eu un mal fou à faire admettre au milieu musical en général que je faisais de l’instrumental. À Paris les ensembles spécialisés pour la musique contemporaine jouent très peu ma musique, qui l’est davantage à d’autres endroits où elle passe plutôt bien, où elle est entendue et considérée.

            Et un an plus tard tu remets ça en 1988 avec les Douze mélodies acousmatiques, qui sont dédiées à Michel Chion. Ces mélodies sont devenues depuis une pièce phare du catalogue Dufour. Mais ce qui m’intéresse plus, c’est l’année suivante, 1989, car elle marque selon moi un tournant dans l’évolution de ton style et dans les directions que tu as explorées jusque là. En effet, tu abordes, avec Notre besoin de consolation est impossible à rassasier (sur un texte de Stig Dagerman) à la fois la longue durée (plus d’une heure) et cet usage de la voix qui t’est devenu si particulier depuis…

            J’ai fait un certain nombres d’œuvres relativement longues, j’estime savoir manier la forme longue. Il s’agit ici de ma première pièce de cette durée qui soit d’un seul tenant, et basée sur un texte. L’idée du texte vient de Tom Aconito avec qui je travaille très souvent. Cet écrivain m’avait suggéré de mettre cette œuvre de Stig Dagerman en musique. Le projet ne m’a pas réjoui tout de suite, car au début ça me semblait très difficile de garder compréhensible d’un bout à l’autre un texte aussi long, et dont le contenu ne m’était pas très familier… C’est une œuvre que j’ai mis beaucoup de temps à composer, trois années exactement, je reportais le concert prévu à chaque fois. Du coup, entre temps, j’ai composé les Douze mélodies acousmatiques.

            Cela faisait déjà plusieurs pièces que je travaillais avec la voix, comme Psaume d’Adam, Messe à l’usage des enfants, Messe à l’usage des vieillards, sans parler d’une petite dizaine d’œuvres instrumentales avec voix.

            Mais les deux messes sont basées sur des textes plutôt poétiques. Alors que Notre besoin... marque le début d’une période de théâtralisation de textes mis en musique…

            Effectivement, les textes de la Messe à l’usage des vieillards sont des poèmes en prose. Il s’agit bien d’un texte littéraire qui n’est pas poétique au sens traditionnel. Il y a une poésie du sens, une poésie sur les sonorités, sur chaque mot… Plus tard il y a donc eu les Douze mélodies acousmatiques qui utilisent un peu de voix. Notre besoin... est évidemment l’œuvre où la voix est la plus présente, la plus travaillée, parce que le pari était de durer une heure et dix minutes avec une voix unique, celle de Tom Aconito lisant le texte. Il m’a fallu réellement développer nombre de ressources pour arriver à faire une œuvre qui soit variée pendant toute cette durée.

            En général, lors des prises de sons de voix, j’enregistre tout ce qui est avant et après la lecture du texte, c’est-à-dire tous les défauts, les fragilités, les faiblesses qu’ensuite je recycle, que je réutilise, que j’incorpore au texte. Par ailleurs, j’ai toujours tenté d’expérimenter de nouvelles façons de travailler avec le support qu’est la bande magnétique (Notre besoin... a été composée entièrement sur magnétophones). J’ai cherché des astuces, des choses un peu inhabituelles, un peu étranges. J’ai inventé des façons de faire assez nombreuses dans cette pièce. Comme le fait d’enregistrer la voix du récitant en lui demandant de varier sa vitesse d’élocution en même temps que son registre : en partant de l’aigu avec une lecture rapide pour descendre progressivement la voix dans le grave tout en ralentissant la lecture. Une fois captée sur la bande, je faisais subir à cette voix une variation de vitesse, mécanique cette fois-ci, allant du plus lent au plus rapide. L’inversion du processus permettait d’obtenir une étrange mutation de la voix dont l’élocution redevenait régulière, mais dont le timbre se modifiait de façon continue. Flèches aussi, mais avec les moyens numériques cette fois-ci, utilise les ressources du jeu entre le direct et le différé, où la voix est produite en fonction des transformations qui lui seront appliquées. Il y a aussi la bande froissée en petites boulettes que je redéploie devant les têtes du magnétophone pour créer des sonorités un peu “effritées”, érodées. Je joue évidemment aussi sur diverses saturations, sur différentes sortes de micros, différentes sortes de qualités de prises de son…

            Différentes qualités d’espace aussi…

            …Oui, j’ai repris par des micros le son original reprojeté dans une ou plusieurs salles, en jouant bien sûr sur la qualité des “projecteurs”, sur les types de haut-parleurs. Il y a donc eu tout un travail très expérimental de production des sons qui était très présent, très marqué, dans cette œuvre là. C’est une pièce que j’aime particulièrement. Elle n’a pas eu un franc succès parce que c’est une pièce qui prend des partis pris trop entiers, autant sur le plan de la diction que sur le plan même du travail des sons, et parce qu’elle est peut-être trop complexe. Par conséquent elle a eu des difficultés à se faire admettre lorsqu’elle est sortie en disque et a plutôt été descendue par la critique. Laissons passer du temps et reparlons-en dans quelques années ! C’est vrai qu’elle a quelque chose de particulier…

            Pour moi c’est cet aspect un peu monumental. Mais le choix du texte est aussi un facteur important, tout comme le choix dans la manière de le dire, le rapport entre les deux.

            C’est finalement ça qui a dû créer la gêne. J’ai une musicalité et une façon de procéder un peu “jusqu’au-boutiste”. Jean-Christophe Thomas a caractérisé cette manière par sa formule du « Pourquoi pas », c’est-à-dire que je mets ensemble des choses qui ne sont pas faites pour aller ensemble, un peu comme si je me disais : « Pourquoi pas ça avec ça ? ». La première fois que Thomas a évoqué cette manière, je n’en étais pas vraiment conscient, mais c’est vrai que c’est ainsi que je fonctionne, ça m’a mis en phase avec la façon dont je procédais : faire une œuvre non pas comme je l’entendrais dans ma tête avec des sons que je tenterais de reproduire, de retrouver, à force de prises de sons, de transformations, de recherches sur le synthé, mais plutôt composer avec des sons que je trouve comme ça, là, sous la main, qu’ils soient faits par moi-même ou non… Ensuite je tente par tous les moyens de les raccorder au projet que j’ai préalablement élaboré. Et je me dis alors : « Pourquoi pas ces sons-là dans ce projet-là ? » Puis je vais trouver un autre son qui n’ira pas du tout avec ce que je viens de réaliser et je vais alors orienter tout mon travail pour qu’il s’articule avec les autres. La plus grande part de mon énergie consistera à trouver des solutions pour faire aller ensemble des choses non forcément prévues pour cela, bien que le projet soit très défini à l’avance et que le résultat final lui corresponde.

            À partir de la deuxième moitié des années 80 tu entames une collaboration avec l’écrivain Tom Aconito. Un rapport très étroit qui se révélera très fructueux. Car c’est bien Aconito qui va te suggérer un grand nombre d’œuvres avec texte ou d’après un texte, quand ce n’est pas lui qui en est l’auteur, voire le récitant ! Cette collaboration est devenue systématique…

            Elle est même plus que systématique. Elle va bien plus loin que le fait de m’écrire des textes que je mets en musique. En fait, depuis quelques années déjà il m’écrit la conception des œuvres. C’est-à-dire que je lui expose globalement le cadre de la demande, la thématique générale, la durée approximative, le calibre de l’œuvre. Alors je lui demande de me trouver le titre et le concept, et il écrit une ou deux pages sur l’œuvre à venir. Ce texte ressemble d’ailleurs souvent à un article d’un critique virtuel qui aurait entendu l’œuvre. Et je me base donc sur ce texte pour composer la pièce. Je pourrais presque dire que c’est lui qui “compose” sur le papier, et moi qui réalise ! Parfois il me décrit même les sons ou les matériaux sonores. Avec la structure, il lui arrive éventuellement de définir précisément les différents mouvements. Ce qui est intéressant c’est qu’il connaît très bien ce que je fais et écrit en connaissance de cause. De temps à autre il imagine des projets très éloignés de ce que je compose “naturellement” afin de me forcer à aller dans des directions où je ne vais pas d’emblée, qui ne sont pas mon style habituel. J’aime beaucoup cette contrainte-là et depuis nous travaillons ainsi quasiment systématiquement. Le résultat reste évidemment mon œuvre, mon style, mon écriture… Cette méthode de travail a dû commencer en 1989-90.

            Et concernant les pièces précédentes ?

            Avant nous avions travaillé ensemble sur quelques œuvres. Par exemple il m’avait aidé sur la réalisation technique des Douze mélodies acousmatiques et de Notre besoin... . Il était aussi intervenu pour des enregistrements de L’Apocalypse d’Angers et pour la mise en forme générale de la Suite en trois mouvements.

            Faisant partie de cette collaboration il y a Flèches, composée en 1993, sur un poème éponyme de Tom Aconito, et dont tu es toi-même le récitant. Cette pièce est pour moi comme un morceau de musique pop, non pas tant au niveau de la forme mais plutôt au niveau littéraire, dans son apparente naïveté et dans son aspect très direct, comme le sont souvent les paroles des chansons pop. Cette pièce est intéressante car elle marque le début de l’ère du Dufour numérique. Tu commences alors à composer essentiellement avec les ressources de l’ordinateur. Il s’opère alors dans ton écriture acousmatique un changement de sonorité qui, là encore, influe sur ton style.

            J’avais déjà produit deux œuvres avec les moyens numériques du studio 123 de l’Ina-GRM : Le Lis vert (1983) et Le Labyrinthe de l’amour (1984). Cette même année, j’avais aussi composée Pli de perversion/2, la première pièce instrumentale utilisant les diverses transformations numériques en temps réel de Syter. J’ai commencé à travailler chez moi dès 1984 et je n’ai d’ailleurs pas cessé depuis. Avant je composais dans les studios du GRM. J’ai créé mon propre studio en venant sur Crest, et en 1992 j’ai acquis du matériel informatique. Flèches est la première pièce qui m’a permis d’apprendre l’ordinateur, dont je ne savais qu’à peine me servir. Quant aux logiciels !...

            Auparavant tu travaillais traditionnellement…

            Je travaillais sur des magnétos, en effet. J’ai toujours travaillé avec du matériel relativement réduit, c’est-à-dire que j’ai longtemps travaillé sans réverbération, sans boîte d’effets. En fait lorsque j’avais besoin de réverbération, je la travaillais dès la prise de son, en enregistrant mes sons dans une pièce réverbérante, en cherchant des endroits qui aient des espaces particuliers. Les réverbérations artificielles je les ai eues beaucoup plus tard. Le nombre de magnétophones a également augmenté petit à petit. Au début j’en avais trois ou quatre, un synthé ou deux… Progressivement le parc de matériel s’est étoffé, mais avec toujours peu de moyens de transformation. En 1992 j’ai acquis un système Sound Tools que j’ai appris à faire fonctionner en composant Flèches. Je n’ai pas évité les erreurs de connections et de fréquences d’échantillonnage qui on aboutit à des transpositions qu’il a bien fallu intégrer ensuite dans l’œuvre ! Est-ce que le style change, je ne sais pas, en tout cas la sonorité a certainement changé. Ce qui en fait une pièce un peu particulière c’est qu’elle sonne avec cette couleur numérique caractéristique due aux transformations et que je n’ai pas cachée. Ce fut donc mon apprentissage de l’ordinateur : je n’ai pas vraiment lu le mode d’emploi, j’ai avancé, tâtonné et j’ai appris. Mais mes pièces suivantes se séparent progressivement de cette couleur, parce que d’une part je sais mieux me servir de l’ordinateur que je maîtrise mieux, et que d’autre part je réintègre de temps à autre les magnétophones.

            Après Flèches, Chrysalide et Où est maintenant la forêt ? (trois pièces composées en 1993), tu abandonnes presque totalement la composition en 1994, avec l’avènement de Futura et avec toutes les autres activités que tu mets en place. Offrande ou l’être achevé (là encore sur une idée et un texte de Aconito) est la seule pièce millésimée 1994 de ton catalogue. C’est dire si tu es absorbé… Puis tu te remets à travailler petit à petit en 1995 : Golgotha, Allégorie, et le triptyque Exil, Hélice, Elixir. En 1996, c’est Bazar punaise, qui est en quelque sorte un Notre besoin... n° 2, sur un texte de Aconito lu par Robert Curtet et plusieurs autres personnes. Je considère cette pièce comme le deuxième monument de ton œuvre acousmatique.

            Bazar punaise dure plus de 40 minutes. J’ai arrêté de composer en 1994, non pas par volonté, mais parce qu’il a fallu s’occuper du festival Futura qu’on avait monté un an plus tôt. La mise en place d’un festival d’art acousmatique était passionnante. Peut-être que j’y ai dépensé trop d’énergie… De plus je co-créais dès 1992 un ensemble instrumental sur Lyon, nommé Les Temps Modernes. Après l’avoir administré et coordonné pendant plusieurs années, je compte passer prochainement la main. Les œuvres que je compose à ce moment-là sont plus empreintes d’expression. Celle de Notre besoin... est indéniablement forte mais surtout liée à l’écrit de Dagerman, alors que les œuvres de 1995 représentent une expression qui m’est peut-être plus personnelle, c’est-à-dire à la fois plus abstraite et plus marquée. J’y mets encore plus de moi-même et joue davantage sur les sentiments et l’émotion.

            Ce n’est certainement pas un hasard si toutes les musiques composées cette année-là ne sont plus basées sur des textes.

            Je tiens à rompre de temps en temps avec les œuvres avec texte, parce que je ne voudrais pas m’enfermer dans une spécialité. J’ai eu aussi des demandes dont le contexte ne se prêtait pas aux œuvres avec texte.

            Pour en revenir à Bazar punaise, ce qui est étonnant c’est l’impression d’une espèce de patchwork de choses éparses, prises à droite et à gauche comme quelqu’un qui feuilletterait son carnet de voyage…

            C’est en fait le principe même de l’écriture de Tom Aconito pour ce projet. Il a réuni divers éléments de ses multiples carnets, et il a réécrit le texte à partir de ces morceaux. C’est effectivement un bazar, une boîte dans laquelle on a rangé toutes sortes d’objets hétéroclites. Bazar punaise est une pièce qui va dans le sens de ce que je fais souvent, quelque chose d’un peu foisonnant, d’un peu divers, un peu tous azimuts. Elle me correspond relativement bien même si mes musicalités sont parfois d’un seul bloc et radicales. En même temps c’est vrai que j’ai une certaine tendance à aimer créer des diversités, des chocs de diversités. Dans Bazar punaise on les a totalement, c’est certain.

            À la même période tu reçois à nouveau pas mal de commandes instrumentales, en particulier pour l’Ensemble Orchestral Contemporain du Grame (Lyon) avec Litanies pour les vierge, et pour le festival Aujourd’hui Musiques à Perpignan avec l’imposante œuvre pour piano Avalanche.

            Ma productivité en musique instrumentale dépend inévitablement du temps que je passe à trouver ces possibilités, à faire des demandes, à proposer, à frapper aux portes. J’ai tellement organisé et j’organise tellement de choses, que parfois cela me laisse tout juste le temps de composer. Et une fois que j’ai composé je n’ai même plus le temps d’aller proposer mes compositions. À cette époque j’ai commencé à réorganiser la répartition de mon travail. J’ai eu tendance à faire beaucoup pour les autres, à faire beaucoup de concerts, un festival, des ensembles, à mettre en place un dispositif de projection du son dédié au répertoire acousmatique, etc. Je ne m’y retrouvais plus forcément moi-même. Je réussissais à assurer ma propre composition dans les trous qui restaient mais la promotion de mon travail était plus problématique, je n’en avais pas toujours vraiment le temps. Et je m’y suis un peu plus attelé. C’est par période. Actuellement je n’ai à nouveau plus le temps. C’est malheureusement très variable. Je me dis parfois que si je ne m’occupais ni de festival, ni d’ensemble, ni d’acousmonium privé, ni de réunions de ceci ou de cela (car tout cela me coûte beaucoup d’argent, beaucoup de temps), que si je laissais tout tomber, excepté l’enseignement et mon travail à temps partiel à l’Ina-GRM, je vivrais assurément plutôt bien, avec pas mal de moyens et pas mal de temps ; je composerais tout le reste du temps !... Je ne sais pas bien ce qui me pousse à vouloir organiser comme ça tant de choses. Concernant Futura et l’acousmatique, si j’ai fait le festival c’est parce que je trouvais qu’il y avait un vide et que ça manquait furieusement. Concernant Les Temps Modernes, il n’y avait pas d’ensemble instrumental sur Lyon dédié à la musique des compositeurs vivants ; donc j’ai cherché là aussi à combler ce manque.

            On arrive à la fin de l’année 1996. Très peu de temps après la création de Une abeille et une perle, en novembre à Perpignan lors du festival Aujourd’hui Musiques 96 tu achèves la mise en place de Motus éditions. Tu parlais des difficultés que tu avais pu rencontrer lors de ta carrière pour promouvoir ta propre musique : c’est entre autre pour remédier à cela que tu crées Motus…

            Motus, c’est le nom donné à mon studio. Et puis je l’ai constitué l’an dernier en association pour gérer un certain nombre de choses que je gérais moi-même à titre privé, car je ne souhaitais plus que tout passe sur mon compte bancaire personnel. Cette association, volontairement non subventionnée, gère donc financièrement et juridiquement mon studio de composition, tout le matériel informatique (bureautique, graphisme, bases de donnée, etc.), les publications CD et livres, mon dispositif de projection du son (peut-être le dispositif privé le plus important à l’heure actuelle, plus imposant et plus au point que certains dispositifs de pas mal de groupes électroacoustiques), le véhicule de transport de cette sono. Il est nécessaire de la faire tourner, cela veut dire qu’il faut la louer, même à petit prix. Il faut aussi la proposer aux organisateurs de concerts qui payent parfois fort cher des locations de sono standard et qui peuvent donc trouver là un outil complètement spécialisé, “clés en main” (technicien et interprète à disposition) pour beaucoup moins cher !

            D’autre part en marge de la multitude de disques de musique acousmatique et instrumentale, il y a quelques compositeurs non encore publiés que je trouve intéressants, laissés trop longtemps dans l’ombre et que je souhaite faire connaître. Grâce à Futura, j’entends des œuvres de toutes provenances et de tous styles, certaines très différentes de celles que j’avais pu écouter en France jusque là. S’il y a en France un certain académisme dans l’acousmatique, j’espère ainsi peu à peu contribuer à ouvrir le champ d’écoute… C’est pour ces raisons que j’ai décidé de monter une collection de livres-CD, Motus/Acousma pour l’acousmatique et Motus/Aujourd’hui pour l’instrumental, largement documentés et illustrés, quelque chose d’assez luxueux. Bien sûr, cette collection éditera également mes propres œuvres qui n’ont pas vraiment trouvé de débouchés dans d’autres collections, à raison d’un livre-CD de moi pour deux d’autres compositeurs.

            Tu commences d’ailleurs avec un premier disque acousmatique qui va sortir au mois de mars…

            Où est maintenant la forêt ?, c’est son nom. Il est un peu parallèle dans la collection, car ce sont des réalisations qui ont été faites dans le cadre d’ “ateliers de pratique artistique” dans un collège de la Drôme par des élèves de 4 ème et de 5 ème depuis trois ans. Mais de façon plus importante Motus a pour projet de sortir prochainement deux livres-CD acousmatiques : l’un consacré à Georges Gabriele, compositeur lyonnais, avec Polysson, Perséphonie, Elise (sortie en janvier 1998) et un autre avec deux de mes propres pièces, Dix portraits et Douze mélodies acousmatiques (sortie en novembre 1997). Puis est prévu un livre-CD sur Beatriz Ferreyra… Le premier livre-CD de musique instrumentale sera consacré à un duo flûte et piano avec des œuvres de Dubedout, Leroux, Giner, Tosi et moi-même, les suivants consacrés à Franck-Christoph Yeznikian, puis à moi-même avec Avalanche, etc.

            D’autre part Motus, parfois associé à Futura, propose des concepts de concerts acousmatiques afin de faire tourner le dispositif de projection associé à un interprète, dans le but de mettre en avant cette notion d’interprétation et de promotion d’un répertoire propre à chaque interprète.

            Et il y aussi un secteur édition de partitions prévu, je crois…

            Pour l’instant il ne s’agit que de l’édition de mes propres partitions instrumentales. Par contre, dès que l’occasion se présentera Motus éditera des livres.

            Addenda de janvier 1998 :

            Depuis cet entretien, Denis Dufour a composé Le mystère des tornades pour hautbois, harpe, alto, violoncelle et bande, commande de Radio-France et cinq œuvres acousmatiques : Fanfare, sa première œuvre multiphonique 8 pistes (1), et Ebene Sieben, créées respectivement en mars et en juin au cycle Son-Mu 97 de l’Ina-GRM, Le petit oiseau va sortir, Lux tenebrae (pour la nuit Acousma-rave de Perpignan) et Beethov’étonne qui est son opus 99 !

            Par ailleurs, après avoir organisé la quatrième édition de Futura à Crest en septembre 1997, il a négocié avec le Grame le transfert à Lyon du festival, associé ainsi avec Musiques en Scène pour 1998. Il organisera en août et en octobre deux événements Futura à Crest dans la Tour, conservant, entre autres, la traditionnelle Nuit blanche. Cet ensemble de manifestations montre sa volonté de marquer, à sa façon, le cinquantenaire de la musique concrète. D’autre part, il a repris une activité soutenue au sein de l’Ina-GRM, maintenant dirigé par Daniel Teruggi. Aussi a-t-il pris la décision de revendre sa grande propriété de Crest pour revenir s’installer sur Paris, qu’il avait quitté en 1984, afin, dit-il, de réduire les incessants trajets qu’il effectue chaque semaine entre Crest, Perpignan et Paris. Il pense aussi que le rapprochement avec la “capitale”, dans un pays pourtant en pleine décentralisation ( ?!), lui permettra de se réinsérer dans un milieu musical qui oublie facilement ceux qui vivent loin. Il dit, par exemple, n’avoir plus eu de commande d’Etat depuis 1988, malgré des demandes formulées chaque année. D’autre part il a passé la main pour la charge d’administrateur de l’ensemble instrumental Les Temps Modernes, ainsi qu’il le dit dans l’entretien.

            On le voit, l’objectif du compositeur Denis Dufour est de réduire ses multiples activités pour se recentrer sur son travail au GRM et au conservatoire de Perpignan, tout en assurant la direction de Futura et de Motus.

[(1) : Cf également, au sujet de Fanfare, l’article de Denise Garcia, « Le concert multiphonie : l’espace différencié », page 99]

                                                           © 1998 Jonathan Prager pour l’entretien

 

Denis Dufour : catalogue des œuvres

 

Légendes :

a          =          acousmatique (stéréo, a4 = 4 pistes, a8 = 8 pistes)

b          =          musique orchestrale

c          =          musique de chambre (de 2 à 10 instruments)

d          =          musique d'application (danse, théâtre, etc.)

g          =          grand effectif (au delà de 10 musiciens)

i           =          installation sonore

l           =          musique “live electronic” (transformation électronique ou numérique)

m         =          musique mixte (œuvre pour instrument et bande)

o          =          opéra

p          =          œuvre avec texte

s          =          musique soliste

t           =          théâtre musical

v          =          musique vocale

 

1976

opus 1  Etude de composition /1                   a

1977

opus 2  En sursaut                                           cv

opus 3  Le Crin s'ébruite                                 c

opus 4  Objet-danse                                        d

opus 5  Boucles                                                s

opus 6  Concerto                                              bs

opus 7  Bocalises, petite suite                      a

1978

opus 8  Bocalises, grande suite                   a

opus 9  Trio                                                       cl

opus 10           Souvenir de Pierre /1             c

opus 11           Pli de perversion /1                c

1979

opus 12           Je voulais parler des oiseaux               cmtv

opus 13           Cueillir à l'arbre un petit garçon            cl

opus 14           Le Cercle dans tous ses états              d

opus 15           Rond de jambe                                         a

opus 16           Un petit qui t'aime                                    cm

opus 17           La Douceur a des cils                            cv

1980

opus 18           J.a.ch.H.16                                         cl

opus 19           L'Apocalypse d'Angers                     mp

opus 20           La Galerie                                           cm

1981

opus 21           Dune                                                   c

opus 22           Suite en trois mouvements            a

1982

opus 23           Rêve lisse                                            c

opus 24           Lèvres servile                                      gv

opus 25           Entre dames                                        ap

1983

opus 26           Le Lis vert                                           a

opus 27           Suite bleue                                          a

opus 28           Vendredi, jour de liberté                   d

opus 29           Six mélodies                                       cv

opus 30           Colloque                                             a

1984

opus 31-a        Dix portraits                                        cm

opus 31-b        Dix portraits                                        a

opus 32           Quatuor “Non parmi les anges”     cv

opus 33           Pli de perversion /2                           cl

opus 34           Paysage                                              ms

opus 35           Le Labyrinthe de l'amour /1             a

1985

opus 36           La Cour des immortels du désir        d

opus 37           (Première) Lettre à Pinocchio             c

opus 38           Fantaisie soluble                                   c

opus 39           Le Pistolet d'or                                        c

1986

opus 40           Exactement le contraire                        d

opus 41           Deux cartes postales                            a/d

opus 42           Psaume d'Adam                                    ap

opus 43           Tandem oblique                                     c

opus 44           Messe à l'usage des enfants               a4p

1987

opus 45           Musique à coudre                                a

opus 46           Messe à l'usage des vieillards          a4p

opus 47-a        Nuit d'hiver                                             ct

 et 47-b           Nuit d'hiver                                               c

1988

opus 48           L'Homme au masque de craie          bv

opus 49           Etude pour synthétiseur                       s

opus 50           Douze mélodies acousmatiques       a

opus 51           Grenouille écarlate                                s

opus 52           Cosmophonie                                         c

opus 53           Noël toxique                                             ap

1989

opus 54           Notre besoin de consolation

                        est impossible à rassasier                    ap

opus 55           Tulipe                                                        ms

opus 56           Jeu délicieux                                            cv

opus 57           Tu sa' ch'i' so                                           cv

opus 58           Cet été sur la plage                                mps

1990

opus 59           Hérisson cathédrale                             c

opus 60           Chanson pensive                                  c

opus 61           Alpage                                                      lps

opus 62           Le Labyrinthe de l'amour /2                 cm

opus 63           Duel                                                          c

1991

opus 64           Torrents du miroir                                 gv

opus 65           Tom et la Licorne                                  o

opus 66           Interruption                                             cpt

opus 67           Charge maximale                                 ap

opus 68           Légende                                                 a

opus 69           Crapaud brillant                                    s

1992

opus 70           Salamandre                                           c

opus 71           Collection de timbres                           mps

opus 72           Souvenir de Pierre /2                            c

opus 73           Cannibale                                               lps

opus 74           Archéoptéryx                                           c

opus 75           En effeuillant la marguerite                 spt

opus 76           Ataraxie                                                   g

1993

opus 77           Flèches                                                   ap

opus 78           Chrysalide                                              a

opus 79           Où est maintenant la forêt ?                ap

1994

opus 80           Offrande ou l’être achevé                    ap

1995

opus 81           Golgotha                                                 ap

opus 82           Avalanche                                               s

opus 83           Allégorie                                                  a/i

opus 84           Litanie pour les vierges                       gv

opus 85           Exil                                                           a

opus 86           Hélice                                                      a

1996

opus 87           Elixir                                                         a

opus 88           Bazar punaise                                       ap

opus 89           Nuage de Pierre                                    a

opus 90           “Excusez-moi, je meurs”                      c

opus 91           Une abeille et une perle                       a

opus 92           3 transcriptions d’après Rameau       c

opus 93           Variations sur un thème de François Bayle            s

1997

opus 94           Fanfare                                                 a8

opus 95-a        Le Mystère des tornades                  cm

opus 95-b        Le Mystère                                            c

opus 95-c        Les Tornades                                      a

opus 96           Le Petit oiseau va sortir                     a

opus 97           Ebene Sieben                                      a

opus 98           Lux tenebrae                                        a

opus 99           Beethov’étonne                                   a