Pour un art des sons vraiment fixés

par Jean-Marc Duchenne

 

 

            A. Esthétique et comportements

            1. Rappels et généralités

            Je voudrais tout d’abord renvoyer le lecteur à un texte déjà ancien écrit par Patrick Ascione dans le deuxième numéro de « L’espace du son » de la revue Lien. L’essentiel des questionnements que devrait se poser tout acousmate est là, avec en plus des formules d’une justesse qui ne peut qu’ébranler qui n’a pas déjà réfléchi à ce problème.

            Aussi, dans le présent article, je ne ferai souvent que répéter, à ma manière, des propositions déjà présentées ailleurs. Ce qu’on pourra trouver ici en plus, c’est d’une part un approfondissement des notions importantes nécessaire pour bien comprendre ce qu’est et permet la pratique “multiphonique” (tout du moins selon mon point de vue !), et peut-être plus encore, les implications et retombées qu’elle engendre dans les attitudes globales face à la création acousmatique et son rapport avec le public. Car si le résultat de telles réalisations parle de lui-même (lorsqu’il est intéressant et correctement rendu — il n’y a pas ici plus de garantie de réussite qu’ailleurs !...), l’affranchissement de la fameuse “interprétation”, tout en bousculant des habitudes déjà bien ancrées, ouvre à l’acousma un champ d’applications qui l’aidera peut-être à continuer son développement et sa diversification.

            L’objet de cet article n’est évidemment pas la diffusion du répertoire existant mais la position de l’acousmate aujourd’hui, ses responsabilités…

            a) Les termes

            Le multipiste, c’est le support. La multiphonie, c’est ce que l’on entend. On peut très bien utiliser un multipiste sans composer/écouter en multiphonie (la quasi-totalité des cas, le multipiste étant mixé à l’écoute et sur le support final).

            Si la multiphonie s’oppose à quelque chose, ce n’est pas à la stéréophonie prise en tant que format de réalisation et d’écoute : c’est à l’idée selon laquelle on peut changer ce qui a été patiemment réalisé, fixé sur un support en fonction de l’écoute qu’on en avait, en tentant de l’adapter à de nouvelles conditions de perception et en ajoutant — tant mal que bien — de nouveaux paramètres plus ou moins déduits de l’écoute stéréophonique de proximité.

            C’est autant l’incohérence de la démarche que le fait de se priver du moyen de contrôler ce qui de toute façon fait partie de ce qui est entendu : autant le gérer plutôt que le laisser à l’abandon…

            La sono-fixation mono et stéréophonique a permis à l’acousmate de fabriquer ce qu’il entendait là où il le faisait, la fixation multiphonique lui permet de réaliser ce que le public va entendre, ...là où il sera.

            La multiphonie c’est aussi considérer que tout dispositif (nombre et position des haut-parleurs par rapport à celui qui écoute) propose, lorsqu’il est intégré à la démarche de création, un rapport au son, à l’écriture et au public qui lui est particulier — et est irremplaçable. C’est considérer que TOUT ce qu’on entend est objet de composition ; c’est tirer la leçon de l’histoire des tentatives de fixation de la musique : temps, polyphonie, orchestration, puis le son lui-même et enfin l’espace. À chaque fois il y a accroissement de la complexité et de la diversité.

            Pour la description de l’espace, je ferai usage de certains termes introduits par Michel Chion, adaptés pour la circonstance.

            L’espace interne est celui qui est inscrit sur le support auquel s’oppose l’espace externe qui vient se greffer autour des sons lors de leur projection sur haut-parleurs. On pourrait parler aussi d’espace composé et d’espace conjoncturel. On se rend tout de suite compte que dans le cas d’une réalisation multiphonique l’espace interne prend la place de ce qui était externe dans le cas d’une œuvre “stéréo diffusée”. Il devient également nécessaire de distinguer à l’intérieur du premier “l’espace réel” de “l’espace virtuel”. Ces deux termes sont hélas sérieusement connotés mais sont malgré tout les plus justes pour désigner la différence entre la localisation de la source de projection et des jeux qu’elle permet et l’image d’espace, capturée ou fabriquée.

            b) Comment ?

            Comment cela se passe-t-il ? L’acousmate réalise son œuvre en “espace réel”, sur autant de canaux qu’il est nécessaire selon son projet, en reproduisant à l’échelle dans le studio les conditions d’écoute prévues. La réalisation se construit à partir “d’objets multiphoniques ” (§ 7) intégrant position, mouvements et espace virtuel au sein de cet espace global .

            Il découle directement de ceci qu’il n’est plus nécessaire “d’interpréter” ce qui se trouve inscrit sur le support puisque tout ce qui doit être entendu est déjà réalisé. Qui plus est, toute tentative d’en changer l’équilibre ne parviendrait qu’à le détruire. C’est l’œuvre elle-même qui est présentée à l’auditeur, sans le secours d’un médiateur. Elle doit s’imposer toute seule, ce qui donne une importance supplémentaire aux conditions d’écoute.

            Il n’y a plus diffusion, il y a composition ; c’est l’aboutissement logique de la démarche concrète et de la sono-fixation.

            Cette attitude représente en fait celle qu’aurait dû adopter l’acousma dès le début si les moyens techniques l’avaient permis et si le poids de la tradition musicale n’avait pas influencé certains choix. Ce qui était un palliatif nécessaire a été érigé en principe, mais il faudrait s’interroger sur les tentatives périodiques de valoriser le rôle de l’interprète et pourquoi elles échouent irrémédiablement... L’interprète c’était le bonimenteur des premiers temps du cinéma. Celui qu’on chargeait, parce qu’on suppose que la chose présentée n’est pas assez explicite, du rôle de médiateur, celui qui vient justifier le spectacle, le rendre intelligible pour un type de manifestation qui ne lui est pas encore adapté.

      c) Pourquoi ?

      Deux points de départ, souvent, à la décision multiphonique :

      — Je rêve de choses que je ne peux réaliser : indépendance des différentes couches, rendre la composition plus lisible, des trajectoires précises, être le responsable de ce que les gens vont entendre, etc.

      — La diffusion stéréo ne marche pas bien : je n’ai jamais assez de temps pour répéter, je n’arrive pas à reproduire les gestes que j’avais imaginés, ça ne marche que pour ceux qui sont situés près de celui qui diffuse, le public ne comprend pas ce que fait l’interprète, etc.

            C’est peut-être maintenant une des solutions pour se sortir de ces deux dangers : la phagocytose instrumentale (« les machines sont assez puissantes pour faire ça en temps réel, donc le travail sur la fixation n’apporte plus rien » !...) et le spectacle à tout prix,— où l’acousma, parce qu’il propose une représentation intérieure et individuelle se retrouve à contre courant.

            d) Jusqu’où ?

            On assiste de temps à autre à des concerts dit multiphoniques dans lesquels quelqu’un interprète la diffusion.

            Pour moi, trois raisons (non exclusives) à cela :

      — L’acousmate n’a pas su (pu, osé, voulu…) aller jusqu’au bout : la chose fixée n’est pas aboutie et nécessite encore pour être pleinement audible des adaptations

      — Le format choisi (disponible, imposé…) est trop limité dans ses possibilités par rapport aux velléités compositionnelles et sonores de l’auteur ainsi que le potentiel du dispositif qu’il trouve (4 ou 8 pistes par exemple), il convient donc de poursuivre, compléter ce qui ce qui a été amorcé

      — L’œuvre est aboutie (spatialement parlant) mais on se croit obligé (pour le spectacle, pour la vraisemblance…) de faire un peu de figuration.

            Pourquoi l’acousmate s’arrêterait-il en chemin, quel gain y aurait-il ? Aucun. On ne peut qu’édulcorer, défigurer, se priver de richesse et d’expression potentielle.

            La seule action envisageable (et quelquefois nécessaire) est analogue à la mise au point du projectionniste au cinéma : un léger contrôle, linéaire, sur l’intensité globale si le support ne tenait pas toute la dynamique voulue.

            e) Et la stéréo ?

            Il faut reconnaître que tant que l’on reste à l’intérieur de l’espace stéréo on est dans le domaine de l’image. Une scène fictive est créée face à l’auditeur, situant ses “personnages” sur un seul plan réel horizontal mais pouvant simuler la profondeur. Peinture, photographie, cinéma : tout conduit à centrer l’écoute dans le champ de la vision. Dès que l’on rajoute un troisième haut-parleur, cette situation parfaite est déséquilibrée : il faut se poser la question de savoir où, pourquoi, comment ce nouvel espace va se justifier, et par rapport à quoi. Ensuite, qu’on ait huit enceintes ou quarante, le problème reste le même (c’est simplement plus facile à gérer !). Les images ne seront plus seulement des à-plats avec de la perspective, elles pourront posséder un corps qui ne sera plus seulement virtuel, leur volume les apparentera plus à des sculptures que des peintures. Ce petit grain de sable que représente l’enceinte supplémentaire fait complètement basculer les références spatiales de l’écoute, (qui ne s’inscrit de toute manière pas dans l’espace visuel) et est responsable des difficultés qu’ont tous les systèmes qui proposent d’ajouter de l’espace à des œuvres réalisées pour d’autres dispositifs (et pas seulement en acousma : qu’on pense au Dolby-stéréo du cinéma ou même de la stéréo à la télé : il s’agit bien de problèmes liés à la conception même de la nature de l’image sonore). Il faut là aussi réapprendre à écouter, retrouver la latitude de l’écoute, “naturelle” (omnidirectionnelle) dans le domaine de l’artifice.

            On voit que l’enjeu, au-delà de la question d’espace où la multiphonie est souvent réduite, est bien le statut de l’œuvre acousmatique et ce que représente cet art : un simple courant musical condamné à faire quelques concerts et produire des CD ? Ou quelque chose de plus vaste regroupant les notions d’art radiophonique ou de plastique sonore ?…

            2. L’état des lieux

            On sait que l’acousma en France s’est très tôt posée le problème de l’écoute publique des œuvres sur support (en fait, dès le premier Concert de bruits de 1948). Pour un art qui se fait avec les oreilles ceci semble en effet la moindre des choses ! Mais, à part quelques tentatives ponctuelles (Henry, Stockhausen, Reibel...) dont le mérite n’est pas à sous-estimer, les acousmates ont été sans cesse écartelés entre la conscience de l’originalité de leur propos (et des moyens associés à mettre en œuvre), et le poids de la tradition musicale. Je renvoie ici à l’analyse de Patrick Ascione dans l’article déjà cité.

            Je rappellerai néanmoins quelques points :

            L’acousmatique, dans ses manifestations extérieures et jusqu’à présent, ne s’est jamais globalement libérée du modèle musical savant européen :

            Prédominance de l’implantation frontale dans les dispositifs.

            Individualisation des timbres des haut-parleurs en tessiture et en “pupitres”.

            Rare utilisation des plans en hauteur sinon comme remplissage, lointains ou faire-valoir (et ce n’est pas si souvent un problème technique)...

            Seules alternatives à cela, des conceptions cinétiques basées sur le cercle ou ses dérivés. Quelle indigence et, on pourrait le croire, quel manque d’imagination !

            Que ce soit surtout le modèle orchestral qui prédomine, cela se comprend aisément puisqu’à la fois il amplifie l’écoute stéréophonique du studio et qu’au niveau du visuel il se présente comme une reconstitution spatiale des différents pupitres timbraux que le mélomane connaît. L’auteur s’y retrouve et pense que le public aussi. Si ce système, parfaitement représenté par l’acousmonium du GRM, a fait ses preuves dans “l’adaptation” des œuvres stéréophoniques à la dimension d’une salle de concert, revendiquer et généraliser ces points m’apparaît plus comme une survivance d’anciennes habitudes que comme le résultat d’une réflexion fondamentale liée à des observations concrètes en situation de réalisation et de diffusion.

            Si les tentatives de gérer l’espace dès la composition ne sont pas nouvelles, il faut reconnaître que les dispositifs techniques permettant une réalisation avec autant d’efficacité et de souplesse que la stéréophonie ne sont apparus que récemment. Et même sur ce point, nombreux sont ceux qui attendent encore (ou qui se cachent derrière...) LA machine qui permettra de tout faire. Mais voilà, ces machines, imparfaites, existent (§ 8) et sont même d’une redoutable efficacité. Seulement, petit problème, il faut remettre en cause beaucoup de choses...

            Il faut néanmoins reconnaître que l’élimination du problème de l’espace réel, ou tout du moins son déplacement, ont pu avoir un effet bénéfique pendant une certaine période : le nombre de paramètres sur lesquels jouer est tellement vaste que cela a pu éviter une dispersion qui aurait pu être néfaste à la constitution d’un “langage” sonore réellement original.

            La situation actuelle, peut-être grâce à la mise sur le marché de systèmes qui gèrent facilement (à défaut d’efficacement) 8 canaux, semble montrer à la fois une tendance, une curiosité vers la multiphonie, et une perpétuation de la diffusion stéréophonique. Coincés entre l’évidence de l’intérêt d’une telle démarche et l’attentisme (pour ne pas dire la légèreté) général, les acousmates mettent le gros orteil dans l’eau. Allez-y, elle est moins froide quand on s’y baigne totalement !

            Ce n’est pourtant pas une question de moyens (un studio multiphonique coûte moins cher maintenant qu’un studio analogique stéréo il y a dix ans). Peut-être, comme dit plus loin, est-ce l’incertitude des débouchés ?

            Certains essaient de ménager la chèvre et le choux en veillant à la compatibilité stéréo de leurs travaux multiphoniques ou s’orientent plutôt vers la “diffusion assistée” qui, elle, ne remet absolument rien en cause, ne faisant que souligner la difficulté qu’il y a à rajouter de l’espace sur quelque chose de déjà cohérent... ou l’inanité de le faire sur quelque chose qui ne l’est pas !

            Sur ce dernier point je serai sans pitié (!) : si la diffusion manuelle peut encore se justifier pour des raisons pratiques ou économiques, si elle offre au moins le mérite de pouvoir s’adapter instantanément et facilement à n’importe quelle circonstance, les “aides à la diffusion” ne sont pour moi que joujoux technologiques dépassés : si l’on veut travailler sur l’espace d’une manière efficace il faut prendre le problème à sa source. La diffusion manuelle fait croire que l’on peut marcher sur l’eau, la diffusion assistée donne des béquilles (!) alors qu’il suffit de construire un bateau…

            3. Adéquation entre réalisation et conditions d’écoute : définir,             choisir !

            Le vrai choix qui se pose donc aujourd’hui à l’acousmate en fait de technique et d’attitude de composition est finalement celui-ci : composer l’espace interne (celui inscrit sur le support) au mieux et avec le maximum d’efficacité, ou vouloir modifier ou ajouter quelque chose à l’œuvre lors de son audition publique.

            Les différences justifiant un choix éventuel ne se situent donc pas tant dans le résultat (et pourtant !), que dans le fait de considérer comme logique et nécessaire l’intégration de ce travail à la même étape de création que les autres, comme l’aboutissement ou la généralisation du principe de fixation (et de tout ce qu’il apporte), car faisant appel aux mêmes types de choix et d’actions.

            Cela entraîne l’obligation de définir une implantation et un type de lieu plus ou moins précis (donc de se poser la question !) ainsi que l’inutilité/impossibilité d’une interprétation en direct devant le public (cf. plus haut). Finalement : (relative) fixité contre variabilité.

            Finie donc la composition “dans l’absolu ” (c’est-à-dire en fait pour l’écoute idéale du studio), l’œuvre à la destination indéterminée, il faut définir ce qu’elle est réellement : objet d’écoute individuelle, grand spectacle, expérience, etc.

            La restriction apparente que posent les œuvres multiphoniques - elles ne peuvent s’adapter à n’importe quel dispositif et n’importe quel lieu- représente en fait une valeur ajoutée, tout comme la fixation de l’instrumentation entre les périodes baroque et classique en musique a permis à l’écriture orchestrale d’atteindre les sommets du début du XXème siècle.

Détermination rime ici avec diversification. C’est le résultat commun de toute précision, de toute fixation : fixez un paramètre et vous pouvez jouer avec, l’explorer, et vous vous rendez compte qu’il est beaucoup plus vaste et multiple que ce que vous en connaissiez.

            Il est alors normal que les implantations soient quasiment aussi variées que les œuvres elles-mêmes ! La multiplicité des formats d’écoute et de réalisation (nombre de voies et disposition de celles-ci par rapport aux auditeurs) loin d’être alors une contrainte passagère dont il faudra vite se débarrasser pour aboutir à une formule standard est réellement quelque chose de positif : en fait un merveilleux moyen pour élargir et enrichir encore le potentiel de l’expression acousmatique.

            La tendance “ octophonique ” actuelle représente en cela un danger : outre que ce format montre vite ses limites (essayez de composer dix symphonies sur seulement huit notes !), il serait terriblement réducteur (même si c’est plus confortable) de se reposer dessus et ainsi de perdre tout le potentiel de cette démarche.

            Si les chances de faire tourner une œuvre, dans l’état actuel des systèmes de diffusion (haut-parleurs différenciés avec comme conséquence le nombre réduit d’enceintes de qualité, difficulté relative à trouver couramment des systèmes multipistes compatibles), des mentalités et de toute manière au vu de la quantité de manifestations consacrées à l’acousmatique (!), peuvent être significativement réduites par cette contrainte supplémentaire, cela conduit par contre à trouver des solutions de présentation peut-être plus adéquates que ce qui est proposé généralement. Une salle spécialisée comportant un large dispositif avec un système de routage décent solutionnerait bon nombre de cas mais reste encore une utopie et surtout risquerait d’enfermer la production dans un goulot... Plus réaliste et certainement plus générateur de formes et d’expressions nouvelles, c’est tout le domaine des séances, expositions, “installations”... qu’il reste à investir avec la même rigueur et les mêmes exigences que le concert traditionnel.

            Il n’y a donc pas de meilleur format (nombre de voies réelles de réalisation-diffusion) : 1, 2, 8, 12, 16, 21 ou 45 voies... Ce qui compte c’est qu’il soit conçu avec l’œuvre, nécessaire, et non plaqué après coup. Un support standard, nécessaire pour permettre une circulation des œuvres, ne peut être alors que modulaire (à partir d’unités huit pistes par exemple).

style='font-size : 72.0pt'>  4. Les principales “formules” de présentation.

            a) L’écoute domestique.

            La plus évidente finalement, c’est bien sûr l’écoute domestique et on a vu l’engouement actuel pour les techniques visant à en améliorer ( ?) le rendu (stéréo élargie, 24 bits, etc.). Elle a comme corollaires la perception stéréophonique (la quasi-totalité des cas pour l’instant), ou tout du moins la projection stéréo (ce qui n’est pas pareil !) dans un espace généralement petit et acoustiquement plutôt mat et permet une écoute très concentrée (cas de l’écoute Hifi domestique)... Ou au contraire très distraite et dans n’importe quelles conditions ! C’est en quelque sorte une bouée jetée à la mer, l’auteur étant contraint de faire confiance en l’auditeur potentiel…

            Moyen privilégié pour toucher de près l’auditeur individuel, trace matérielle semble-t-il durable de l’œuvre avec laquelle il peut se confondre : le CD — s’il est conçu comme un médium original, pose quelques problèmes originaux.

            Présente-t-il l’œuvre ou l’image de l’œuvre ?

            Le cas de l’acousma (comme d’ailleurs des musiques réalisées en studio) est assez insidieux : si le disque représente l’œuvre elle-même, celle-ci doit avoir été réalisée pour lui ou tout au moins y trouver sa meilleure présentation (finalement le cas de la majorité des œuvres réalisées en studio traditionnel). Là, il peut être la simple copie de l’original.

            Dans tous les autres cas, ce repiquage constitue un non-sens, ou au minimum une trahison à l’esprit de l’œuvre et une falsification pour l’auditeur (ou alors c’est sa diffusion sur acousmonium qui ne va plus).

            Il me semblerait, dans ma naïveté, plus normal que le CD soit l’enregistrement de la diffusion de l’œuvre, réalisée d’une manière professionnelle, s’entend. C’est en tout cas nécessaire et irremplaçable pour les œuvres multiphoniques pour lesquelles les tentatives de “réduction” sont aussi hasardeuses que le sont les “diffusions” stéréo... (cela n’empêche pas bien sûr quelques réussites).

            Ce qui se passe en fait, car les critiques de cette démarche ne manquent pas, c’est que ça n’a jamais été étudié avec ne serait-ce que le dixième du sérieux présenté pour l’enregistrement d’un quatuor à cordes. Le témoignage de Robert Normandeau (cf. son CD : « Tangram ») montre en tout cas que c’est possible...

            Le support CD possède encore un atout supplémentaire, c’est l’indexation des plages ainsi que les différents modes de lecture présents sur à peu près toutes les platines : programmation des plages, répétitions, ordre aléatoire, etc. Ceci apporte une nouvelle manière de concevoir et d’écouter l’objet-disque (cf. Redolfi, Lacroux, etc.).

            L’écoute au casque représente une variante très intéressante de l’écoute domestique (pas seulement d’ailleurs) par l’individualisation de l’espace qu’elle crée et certains effets d’écriture spatiale qui ne fonctionnent qu’en écoute binaurale...

            Enfin, il convient de suivre de très près les systèmes de diffusion domestiques multicanaux, pour l’instant associés à l’image. Si techniquement le matriçage est très limitatif quant aux possibilités spatiales et à la qualité du signal, le DVD, le développement du “ home theatre” montre que l’espace, quelles qu’en soient les causes, est un élément porteur pour le public. Il serait dommage que les acousmates, étant les gens les plus compétents pour se confronter à ce type d’écoute et de production, passent à côté... Gageons que dans quelques années l’écoute domestique ne sera plus stéréo mais hexaphonique !

            Et puis, ne pas oublier le CD-Rom qui peut, pourquoi pas, être acousmatique : il n’y a après tout qu’à trouver les raisons et les moyens de l’interaction !

            b) Les séances.

            La séance représente pour moi la meilleure solution pour les œuvres (multiphoniques) basées sur un parcours temporel traditionnel (forme “chronologique”). La séance à heures fixes permet en effet de résoudre le problème du manque d’interprète pouvant être ressenti dans la présentation du concert, la référence aux habitudes du cinéma étant suffisamment connue et explicite pour s’imposer d’elle-même : on vient pour ÉCOUTER.

            Elle résout également celui de l’affluence du public — elle a lieu qu’il y ait une ou cinquante personnes sans “traumatisme de la salle vide” (puisqu’il y a d’autres séances) — tout en permettant d’investir aussi de petits lieux et des types d’implantation plus diversifiés. On a également plus de chance de toucher un large public en multipliant les créneaux horaires possibles, sans oublier la possibilité (enfin) d’écouter un même programme plusieurs fois si on le désire. Rappelons que rien (RIEN) dans l’acousma n’oblige les œuvres à n’être diffusées qu’une seule fois (si ce n’est la présence d’un interprète et de la formule-concert...).

            Cette formule convient particulièrement bien aux programmes constitués d’une seule œuvre, quelle qu’en soit la durée (quitte à en alterner plusieurs). Des programmations regroupant des œuvres différentes de plusieurs acousmates est bien-sûr possible : ce n’est plus là qu’un problème de “générique sonore” à inclure dans la séance permettant à l’auditeur de savoir où il en est.

            Les intérêts de la formule-séance sont en fait tels qu’ils pourraient presque justifier à eux seuls de passer à la technique multiphonique pour sa projection autonome !

            c) Les installations.

            Attention : il s’agit bien ici de manifestations dans lesquelles c’est le son qui est “mis en scène”, non les moyens de sa production. Plutôt que d’ “installations sonores”, comme il est d’usage de les appeler il conviendrait de parler plus justement, et de façon à les démarquer, d’ “installations acousmatiques”.

            L’installation (ou exposition) a le mérite de représenter une situation extrêmement claire par rapport au concert : la dimension plastique de l’acousma est ici mise en évidence puisqu’il y a déplacement du temps sur l’espace. Je parle bien, ici, de la formule-installation qui ne saurait être réduite à ce qu’on appelle couramment par ce terme : une œuvre peut être conçue pour ce type d’écoute sans pour autant posséder obligatoirement un caractère événementiel ou “décoratif”.

            C’est l’installation qui permet l’investigation de dispositifs et les rapports au public les plus riches et variés : là, tout et possible spatialement et le public est généralement libre dans sa circulation.

            La contrainte c’est bien sûr la gestion du temps, à laquelle il existe une infinité de réponses possibles.

            L’installation objective l’œuvre acousmatique, place l’auditeur-visiteur face à elle, elle met l’accent sur le caractère individuel de la perception acousmatique en même temps qu’elle rend possible un nouveau type de rapport avec certaines formes d’interactivité (§ 9).

            Elle pose de manière nouvelle les problèmes de forme c’est-à-dire ici de gestion de la durée et de capture de l’attention, détourne la représentation globale au profit de l’instant, toutes notions habituelles mais avec ici des règles du jeu particulières.

            Par rapport à l’écriture spatiale, on a là une multitude de possibilités, de terrains d’expériences (dans tous les sens) et c’est bien évidemment la mobilité du public, plus ou moins orientée, qui va imposer (et permettre) des recherches originales. Car il ne s’agit nullement d’une formule mineure, bien au contraire, puisqu’elle représente un terrain d’expérience d’une richesse exceptionnelle ; et si l’acousma n’est plus expérience quelque part...

            d) Le concert.

            Le concert traditionnel, manifestation généralement unique et objet d’un rassemblement important, synchronisé et ritualisé (applaudissements, etc…) bénéficie de l’habitude et du respect dus à son passé prestigieux. Il est aussi associé à la notion de spectacle, sinon de rencontre.

            L’acousma ne présente pas des individus de chair et d’os mais des images de sons, des simulations de réalités : quelle différence ! Si spectacle il y a (et il y a !), celui-ci ne se situe donc pas du tout au même niveau que l’autre car les auditeurs ne pouvant plus s’extérioriser vers l’interprète, ce sont les êtres sonores, les acousmêtres, qui vont venir à eux, au-dedans, du moins si on leur donne les conditions favorables pour les y laisser entrer...

Malgré tout, si je dois reconnaître la légitimité d’un interprète, c’est bien ici (tout en trouvant que le concert n’est guère adéquat à l’acousma, n’étant qu’une formule empruntée à une tradition). Trois siècles ont fini par légitimer le seul art sonore d’avant l’acousma — la musique — et il est encore difficile d’échapper à son aura.

            Dans ce cas, autant jouer le jeu, et la diffusion manuelle, avec le mystère qui l’entoure mérite bien une petite mise en scène. Tant qu’on laissera croire au public qu’il vient assister à un concert de musique, il faudra bien assumer.

            Contrairement à la séance qui constituerait le moyen standard et divers de diffusion en public, le concert devrait être au contraire quelque chose d’exceptionnel : que ça mérite au moins de demander à deux cents  personnes (par exemple) de venir toutes en même temps assister à une représentation acousmatique. Et le programme, plutôt qu’un collage conjoncturel d’œuvres n’ayant rien à faire entre elles, assumer cette gageure...

            e) Quelques problèmes types.

            Une des difficultés de programmation des œuvres multiphoniques tient dans la non-standardisation (nécessaire) des implantations et du routage liée au manque de souplesse de la connectique des systèmes de diffusion courants (pas de matriçage, ou pas sur suffisamment d’entrées par exemple).

            Cela ne pose problème que dans le cas de programmations du genre concert ou on enchaîne des œuvres différentes relativement courtes. Le principe des séances peut y apporter une réponse (les installations ne sont, par définition, pas touchées par cette question).

            Une autre réponse possible, et déjà proposée çà et là, c’est la préexistence d’un dispositif particulier en fonction duquel les œuvres seront réalisées. Principe séduisant s’il est multiplié avec des propositions différentes. Sinon, encore une fois, risque de sclérose…

            f) Rapports formules et genres.

            Quels que soient les cas, on retombe toujours sur ces quatre types de formules qui gèrent à la fois le temps, l’espace et l’attitude perceptive.

            Comme pour la musique, on peut déceler une certaine correspondance en même temps qu’un certain amalgame entre formules, formes et genres. Cela se comprend aisément : certains types de présentation favorisent le développement de genres particuliers et réciproquement. L’écoute individuelle ou collective, la taille du lieu, l’implantation en salle ou en extérieur suscitent des œuvres de caractère bien différent. Ce n’est pas le moment de développer un tel aspect, je le cite simplement pour insister sur l’importance d’investir dans les différentes formules présentées, de ne pas craindre les extrêmes : ça ne peut que déboucher sur un enrichissement et un élargissement des œuvres acousmatiques, donc de développer et d’affirmer cet art. C’est bien ce que l’on cherche, non ?

            g) Les conditions d’écoute.

            La meilleure écoute, la plus concentrée, celle qui donne le plus de chances à l’imaginaire de recueillir l’œuvre acousmatique, c’est bien sûr l’écoute dans le noir.

            Noir extérieur ou noir des yeux fermés ?

            Chez lui, pas de problème, l’auditeur dans son fauteuil ferme facilement les yeux, éteint lui-même la lumière, bref il est responsable de ses conditions d’écoute — ce qui n’empêche pas de lui donner quelques conseils (cf. pochettes Philips).

            En séance, le noir (quasi ?) absolu, volontaire, s’impose. Il montre qu’il n’y a rien à voir avec les yeux et permet leur ouverture ou fermeture sans rupture ni traumatisme. Je note par contre, pour des raisons de sécurité autant que par réticences des organisateurs qu’il est souvent très difficile d’obtenir un noir réel. Bien heureux lorsque l’on peut obtenir une pénombre.

            La vie normale nous a habitué à recevoir des informations à la fois par la vue et par l’ouïe (entre autres !), les deux se complétant ou se confirmant l’un l’autre généralement. Rares sont les circonstances qui nous amputent de l’un des deux, celles-ci étant d’ailleurs la plupart du temps génératrices de déséquilibre ou d’angoisse, ne serait-ce parce qu’elles sont inhabituelles. Ce déséquilibre peut être accentué ou annulé par le surcroît d’attention que l’on demande au sens restant.

            On peut donc soit utiliser ce déséquilibre (et le provoquer) soit le faire disparaître en l’ “éduquant” ou le détournant.

            Cela dit, la présence d’éléments visuels non causals me semble, lorsqu’elle entre en contradiction avec l’œuvre acousmatique, bien moins dangereuse que la situation contraire : on peut fermer les yeux mais « mon oreille n’a pas de paupière » (Marc Favre).

            À partir de là, tout choix d’éclairages, de montrer ou même de laisser voir quelque chose se doit d’être justifié par le propos de la manifestation sinon de l’œuvre.

            On peut distinguer alors deux types d’attitudes : les éléments visuels peuvent être un simple support au regard (éclairages fixes discrets, paysage calme, etc.), ou au contraire constituer un élément actif de l’œuvre qui devient alors véritablement mixte (d’une mixité qui n’a rien à voir avec les mélanges plus ou moins bien gérés entre musique et acousmatique).

            Y aurait-il d’ailleurs des écritures et/ou des sons se prêtant mieux que d’autres à une écoute les yeux ouverts ? À suivre..

.             B. Langage et techniques

            5. Communiquer l’espace

            a) Les lieux

            Un nouveau problème se pose maintenant à l’acousmate : il ne suffit pas de posséder le support multipistes, encore faut-il que soient décrits le lieu type, l’implantation précise des enceintes associées à l’affectation des pistes du support ainsi que la place du public (au minimum).

            En ce qui concerne les lieux associés à des dispositifs homogènes (voir paragraphe 8a), il est finalement assez aisé de les regrouper par types prenant à la fois en compte les critères de taille (surface et volume), d’acoustique et de topologie.

            Si la variabilité de détail est énorme d’un endroit à l’autre, il convient de dégager néanmoins quels sont les critères réellement déterminants : qu’est-ce qui influe directement sur l’équilibre de l’œuvre fixée et donc en modifie la perception et qu’est-ce qui agit comme coloration secondaire, éclairage acceptable ne modifiant pas notablement le sens.

            Il semble possible ainsi de regrouper les lieux selon quatre types principaux :

            i. Les salles-volumes, vides. Parallélépipèdes plus ou moins rectangles, c’est la taille ainsi que l’acoustique qui vont importer. Une répartition en petites (+/- 50 m2), moyennes (+/- 100 m2) et grandes (+/-200 m2) ainsi qu’en mate, normale et réverbérante suffit dans la pratique à garantir une reproduction cohérente. Aptes à tout type de dispositif, idéales pour les séances et certaines installations.

            ii. Les salles de spectacle, avec scène et sièges fixes. On trouve ici :

— Le théâtre à l’italienne, de forme et de volume relativement standards.

— La petite salle de spectacle pouvant être plus ou moins étroite (paramètre très important !) et avec ou sans gradins (plus ou moins inclinés).

— L’auditorium (salle large).

Ici, c’est surtout le rapport longueur/largeur qui conditionnera le dispositif. Par leur conception et leur topologie, ces lieux sont surtout adaptés à l’écoute axée collective du concert.

            iii. L’espace extérieur en champ libre ou avec une ou plusieurs surfaces réfléchissantes (façade, mur, paroi rocheuse…).

            iv. Et puis, évidemment, l’incontournable rubrique “divers” (salles multiples, étages...), problématique et passionnante, nécessitant une description précise... et une certaine prise de risque quant à la reproductivité éventuelle.

            Il peut en outre y avoir des dispositifs homogènes (comme ceux qui viennent d’être présentés) ou hétérogènes, juxtaposant dans un même lieu ou des zones contiguës des mini dispositifs individualisés.

            b) Critères des dispositifs.

            Réaliser en multiphonie oblige à définir la position des enceintes par rapport à l’auditeur. Dès lors ce paramètre devient l’enjeu de choix artistiques comme les autres, et suppose d’être défini avec autant d’ouverture que de rigueur.

            Encore une fois, tant qu’un paramètre échappe à la fixation (donc la manipulation et l’expérimentation) il est réduit à l’état accessoire de faire-valoir ou de coloration : il ne peut se développer et se limite à quelques stéréotypes.

            Prendre alors un peu de recul par rapport aux dispositifs conventionnels fait apparaître une richesse potentielle extraordinaire qui ne demande qu’à être explorée et souligne la pauvreté de l’alternative couramment proposée : plans frontaux ou cercle...

            Tout dispositif de diffusion peut être en fait considéré comme défectif par rapport à ce qui serait un système total : remplissage uniforme de HP dans toutes les directions (disposés en “pelures d’oignons ”). Cette conception, si elle n’est pas toujours applicable, permet néanmoins de conceptualiser le dispositif avec plus d’efficacité.

            — L’ “ environnement ” : l’auditeur est à l’intérieur ou à l’extérieur du dispositif. Celui-ci peut être partiel ou total

            — Les dimensions (1, 2 ou 3 ; par référence à la géométrie) concernent la perception directe du son et non les divers artefacts acoustiques dus à la réflexion, etc. Me plaçant résolument dans une perspective de la reproductibilité, je n’aborderai pas ici l’utilisation volontaire de ces phénomènes. Ils ne m’ont jusqu’à présent jamais posé de problèmes, rentrant dans la part acceptable de coloration propre à chaque lieu, sans plus.

            — La ou les directions (dans le cas où le public est assis sur des sièges fixes). Il s’agit de l’orientation des auditeurs par rapport au dispositif, qui peut être voulue ou non, sachant qu’elle n’est jamais indifférente : on ne composera pas la même chose selon l’axe.

            — Les plans (distances relatives) auxquels il faut ajouter la taille (utile : l’espace couvert par les H-P ; et totale : le lieu dans son ensemble) ainsi que les orientations principales et secondaires et la zone d’écoute.

            Une description plus précise inclue l’orientation des HP ainsi que leurs caractéristiques globales (type, taille et puissance).

            Cela sera plus explicite avec quelques petits exemples.

Qu’est-ce qu’un cercle horizontal avec le public à l’intérieur ?

            environnement              <

            dimensions                               1 horizontal

                                                           (2 s’il y a des “diagonales fictives”)

            plans                                       1

            orientation                               vraisemblablement vers l’extérieur et                                                   horizontale

            zone d’écoute                          centre

            Cette configuration standard inversée donnerait par exemple :

            environnement              >

            dimensions                               1 horizontal

                                                           (2 s’il y a des “diagonales fictives” )

            plans                                       1

            orientation                               vers l’intérieur et horizontale

            zone d’écoute                          périphérie

            Qu’est-ce qu’un espace scénique traditionnel (tous les HP sur scène et le public dans la salle) ?

            environnement  0

                                               (l’auditeur n’est pas à l’intérieur mais il                                                      n’en fait pas le tour non plus).

            dimensions                   2 (les différences éventuelles de hauteur dans                                             le placement des enceintes ne sont pas                                                      suffisantes d’un point de vue angulaire pour                                               accéder à la troisième dimension !)

            plans                            x (4 ou 5 par exemple)

            orientation                    frontale +/- panoramique

            zone d’écoute              face au dispositif

            Qu’est-ce qu’une colonne au centre d’une salle ?

            environnement  >

            dimensions                   1 vertical

            plans                            1

            orientation                    quelconque/frontale

            zone d’écoute              tout autour

            Qu’est-ce qu’une demi-sphère constituée de plusieurs couches ?

            environnement  0

            dimensions                   3

            plans                            x

            orientation                    azimutale par exemple

            zone d’écoute              centre de la sphère par exemple

            c) Représenter.

            Pour l’implantation, plusieurs cas peuvent se poser :

            i. Les positions des enceintes forment une figure géométrique simple : cube, ligne, cercle, colonne, étoile, arche, etc.. Il suffit dans ce cas d’en indiquer les dimensions (taille) et la position par rapport au lieu.

            ii. Le dispositif n’est pas réductible à une de ces formes ; il convient donc de le décrire précisément. Pour cela, deux systèmes complémentaires me semblent suffisants.

            Premier système. “Nomenclature” (si le dispositif rentre dans un parallélépipède) : on indique sous une forme conventionnelle les coordonnées de chacun des canaux.

            Voici par exemple un système à trois dimensions formant une grille de 5 x 5 x 5. I.A1 représente le coin avant en bas à gauche, III.C3 le centre du cube, etc.. Le principe en est toujours le même : les trois axes se définissent par rapport à l’orientation de l’auditeur ou de la salle, les chiffres romains forment l’axe avant/arrière, les lettres l’axe gauche/droite et les chiffres arabes l’axe bas/haut. Ce système représente en fait le plus petit nombre de signes nécessaire pour décrire des positions.

            On peut ainsi définir sous une forme simple à peu près n’importe quel dispositif homogène. Exemples :

            5x5x5 : I.A15E15, II.B3D3, III.C1335, IV.B3D3, V.A15E15 (16 canaux)

            8x6x3 : I.B2E2, II.A1F1, III.B3E3, IV.C2D2, V.A3F3, VI.C1D1, VII.B1E1, VIII.A3F3

            5x5x5 : I.A15C3E15, II.B24D24, III.A3C1335E5, IV.B24D24, V.A15C3E15 (24 canaux)

            L’intérêt de cette représentation est qu’elle se place aisément au sein d’un texte et, si elle peut être quelque peu réductrice ou incomplète, est au moins sans trop d’ambiguïté.

            Second système. Graphique 3D (ou 2D) : Certainement la manière la plus complète de représenter un espace à 2 ou 3 dimensions mais qui peut poser des problèmes de lisibilité. Associée avec la codification précédente, on dispose d’outils permettant de communiquer avec toute la précision nécessaire l’implantation d’un dispositif de diffusion associé à un lieu type.

            De tout ceci il découle que toute réalisation multiphonique doit comporter, en plus du support multipistes (quelle que soit sa nature) la description du dispositif complet (lieu type, implantation, place du public, éventuellement nature des enceintes), le routage pistes/canaux et si possible une bande test permettant l’équilibrage de l’ensemble. Sous ces conditions, la projection d’une œuvre multiphonique ne pose aucun problème, et est même plus rapide qu’une répétition minimale habituelle (affirmation vérifiée à chaque fois).

            6. Aperçu du vocabulaire de la « spatiographie sonore » (!).

            Toutes les propositions qui suivent décrivent uniquement l’espace réel auquel bien entendu viennent se superposer les possibilités de l’espace virtuel que nous connaissons et utilisons depuis cinquante ans mais qui se trouve maintenant porteur d’un rôle différent, puisque venant interférer avec l’espace réel à l’intérieur de la composition.

            Il ne faut surtout pas oublier que chaque cas est évidemment valable pour un “objet” et peut donc se superposer aux autres à “l’infini” sans contrainte théorique de simultanéité (§ 7).

            On supposera également que toutes les enceintes sont utilisées en orientation directe (par rapport aux axes d’écoute prévus). En effet, autant dans une diffusion “en aval” il peut être intéressant de disposer des HP en indirects, de jouer sur des réflexions acoustiques en fonction du lieu précis dans lequel on se trouve, tous moyens rendus nécessaires par le problème posé par le principe même — faire sonner une bande stéréo sur x haut-parleurs dans un lieu non prévu — autant une réalisation multiphonique sera plus efficace avec des HP directs : on aura pu réaliser dès la composition la plupart des effets de ce type…

            Tout ce qui suit suppose que la perception spatiale des sons constitue un paramètre se situant sur le même plan que les autres. J’en rappellerai donc l’ensemble avant de commencer la description, très simplifiée et en priant de m’excuser pour certains raccourcis hardis. On se reportera avec bénéfice au « Traité de objets musicaux » de Schaeffer ou au « Guide des objets sonores » de Chion, en rappelant quand même que ni l’un ni l’autre ne considèrent que l’espace réel puisse être un paramètre perceptif et opératoire du son, de même d’ailleurs que le sens :

            - tessiture, hauteur (grave à aigu...)

            - masse, spectre (pur à bruit...)

            - animation (homogène à “motif”, allures, entretien...)

            - “évocation”, “sens ”, degré de causalité (abstrait à réaliste, di-son, mé-son, i-son...)

            - espace réel, virtuel (éloignement, direction, taille, image...)

            avec leurs profils et variations correspondants : mouvement mélodique, transformation timbrale, variation d’entretien, anamorphose, déplacement.

            Les dimensions acoustiques et psycho-acoustiques interfèrent constamment. Ceci constitue d’ailleurs une des limites des systèmes de diffusion a posteriori, seule une approche expérimentale (concrète) réalisée par l’écoute en fonction de chaque cas sonore permet d’en maîtriser tous les aspects.

            a) Organisation de l’espace interne.

            Avant de parler des sons, il convient peut-être de préciser comment ils s’organisent globalement au sein de l’espace global créé (l’implantation du dispositif).

            Jusqu’au milieu des années quatre-vingt, il n’y avait pas tellement de solutions : l’espace multiphonique se bornait la plupart du temps à la juxtaposition de mono ou stéréophonies côte à côte. Cet espace cloisonné, même s’il présente des intérêts (lisibilité notamment) était vite limité finalement en termes de variété et de souplesse par rapport aux possibilités offertes par la stéréo diffusée (qui elle permettait circulations, translations etc.). Provenant d’une conscience claire des manques de la méthode “standard”, il ne pouvait apporter de réponse suffisamment efficace (c’est comme si, à la place de la stéréo, on se limitait à la biphonie). Dans ce cas chaque sous-ensemble polyphonique correspond à un sous-ensemble spatial distinct.

            Une variante intéressante et souvent utilisée pour pallier la rigidité du précédent est l’espace imbriqué dans lequel il subsiste des groupements fixes de voies/pistes mais ne correspondant pas à des positions adjacentes dans le dispositif.

            Finalement il est maintenant possible de réaliser efficacement des espaces homogènes ou “intégraux” à l’intérieur desquels se superposent librement toutes morphologies spatiales. C’est à ce type d’espace que je me référerai en général puisqu’il peut contenir également les autres.

            b) Espace absolu et relatif.

            On peut toujours considérer les mouvements et positions de sons dans l’absolu — coordonnées par rapport au lieu (forme et dimensions d’un trajet par exemple) — et par rapport à la ou les places d’où l’auditeur va les percevoir. Dans ce cas ce qui était un simple déplacement Nord-Sud devient par exemple rapprochement ou éloignement, ce qui n’a bien sûr pas du tout la même valeur...

            c) Les positions.

            Nous savons que le son peut être localisé (avec des précisions diverses) devant, sur les côtés, derrière ; et ce, à hauteur de tête, plus bas, plus haut... Il peut également se situer carrément en surplomb ou en dessous (un peu plus difficile à réaliser !). Pour simplifier on parlera d’axe azimutal (horizontal) et sagittal (vertical). Dans toutes ces directions, il peut également se trouver plus ou moins proche (distance, facteur d’éloignement).

            Un son dont les caractéristiques acoustiques (voir plus loin) permettent la localisation vient de ou plutôt existe quelque part. Forcément. Et cet endroit n’est pas sans signification par rapport aux habitudes de vie que l’on a : importance de l’axe d’attention visuel, zones latérales moins précises, connotations attachées à ce qui se situe en haut ou en bas, etc. Deux positions, et se crée un intervalle, une distance, un rapport : du sens.

            On devine que le nombre de voies du dispositif ne permet pas tant un accroissement quantitatif sonore mais plutôt une plus grande richesse et précision des positions possibles : il y a plus de notes dans la gamme, on peut donc faire des mélodies plus élaborées.

            Le rôle du travail des positions dans l’écriture spatiale dépasse le cadre de cet article mais il en constitue, on s’en doute, un des aspects essentiels, en tout cas premiers. L’effet de lisibilité par la dissociation qu’il permet apparaît immédiatement, mais encore plus sensible c’est le détournement du temps qu’il produit :

            Ne pas oublier que la précision de la localisation varie fortement en fonction de :

            i. La tessiture (on connaît la dispersion des graves et la directionnalité des aigus).

            ii. L’ensemble spectre/animation/profil (un son itératif est beaucoup plus précis qu’un son lisse).

            iii. L’orientation d’écoute donnée par le dispositif (l’orientation du corps ou la vue de haut-parleurs).

            iv. L’impact psychologique des images figuratives.

            v. Évidemment l’acoustique du lieu (réverbération, focalisations, etc.) et l’orientation des enceintes par rapport à l’auditeur.

            d) La taille.

            Paramètre important qu’on oublie facilement au profit du précédent, c’est pourtant un élément essentiel et beaucoup plus varié que l’on croit.

            L’exemple le plus évident (celui qu’on réalise en diffusion traditionnelle) consiste en la simple multiplication des sources : l’objet est réparti plus ou moins équitablement sur plusieurs canaux. Mais on peut aussi réaliser des objets dont la masse est répartie sur ces différents canaux ce qui les fera occuper également une zone plus vaste, moins définie, mais avec plus de subtilité (par division spectrale ou “réflexions multiples”, par exemple). Pareil pour les trames, cellules et autres accumulations dont les couches individuelles ou les “particules” peuvent être réparties sur un volume ou une surface précises.

            Les exemples d’application seraient nombreux et on pourrait appliquer ici des critères typologiques semblables aux critères de masse schaefferiens : position ou taille ne sont que deux manières de parler de la même chose, la position n’étant qu’une taille “pure ” et on pourrait de la sorte qualifier des occupations de l’espace de nodales, cannelées ou bruitées…

            e) Les déplacements (profils d’espace).

            C’est la tarte à la crème de la multiphonie : tentants, efficaces, délicats à manipuler. Ils peuvent être continus ou scalaires.

            Autant les positions sont faciles à gérer techniquement et auditivement, ne posent pas de problème spécial lors d’un changement d’échelle, autant le mouvement, parce qu’il introduit les paramètres de temps et de vitesse, est plus difficile à manier.

            Continus ou scalaires, il s’agit toujours en effet d’illusion : on saute d’une position à l’autre, ou on glisse. Dans le premier cas on peut se poser la question : est-ce le même son qui s’est déplacé ou un autre, semblable, qui est apparu après ? Seules la nature du son (profil, présence ou non de recouvrement...), la vitesse du déplacement et la proximité relative des points peuvent faire pencher pour l’une ou l’autre interprétation.

            Dans le second cas, l’artifice connu, quelle que soit la technologie, consiste toujours à fondre la disparition de l’un pendant l’apparition de l’autre (la préférence va alors aux systèmes qui gèrent cet aspect de manière unique et intégrée à l’objet).

            Les aspects perceptifs pouvant être touchés par une distorsion de l’espace (par changement de taille) sont : l’apparition de “trous” au sein d’une trajectoire, et une plus grande sensibilité aux places déséquilibrées (une doublure des enceintes avec une orientation légèrement différente (20 degrés environ) réduit ce dernier point).

            Idéalement (cf. les travaux de Léo Küpper) la multiplication des points de diffusion permet de réduire le jeu de balance au profit de sauts “en douceur”.

            Dans la pratique on parvient tout à fait, à partir de seize canaux, et pour des dispositifs orientés sur deux dimensions principales (configurations concert), à des résultats satisfaisants pour des variations d’échelle de un à cinq environ. Des dispositifs en trois dimensions dans de petites salles peuvent être excellents entre seize et vingt-quatre canaux.

            Énumération :

Un déplacement équidistant par rapport à l’auditeur peut être :

                        - horizontal

                        - vertical

                        - oblique

Ça peut être un segment ou bien il peut se boucler sur lui-même. Variations de distance :

                        - rapprochement

                        - éloignement

                        - dépassement

Un mouvement vertical peut bien sûr se combiner par exemple avec un dépassement.

            Tout cela est perceptible avec des sources ponctuelles (un seul point à la fois) mais peut se faire également avec des objets plus vastes (en fait plusieurs points constitutifs d’un même objet se déplacent simultanément rendant par là plus une impression de mouvance que de trajet proprement dit).

            Ces trajets peuvent bien sûr être plus ou moins linéaires ou zigzaguants mais surtout ils sont aisément identifiables, mémorisables et transposables bien au-delà des quelques stéréotypes habituels comme la rotation que nous connaissons faute d’avoir fixé ces formes jusqu’alors.

            Il semble de toute manière exister des mouvements typiques perçus comme éléments à part entière, (tels la rotation justement, l’alternance, le “scintillement”), — de même qu’un mouvement mélodique descendant se perçoit en lui-même quelles que soient les notes qui le constituent.

            f) Changements de dimensions.

            Autre profil d’espace, celui-ci non linéaire.

            C’est quelque chose de mieux connu car très facile à réaliser et efficace en diffusion manuelle d’un support stéréo. Dilatation/rétrécissement, point à ensemble et réciproquement, ce qui change ici (encore une fois) c’est que ces schémas peuvent se situer individuellement à l’intérieur de la polyphonie et non plus seulement globalement, se superposer à d’autres voies statiques, mobiles, etc.

            g) Seuils de perception/discrimination (relatifs et absolus).

            Ce point, abordé pour les déplacements, se pose ici d’une manière plus générale. S’il est intéressant à un niveau d’étude de la perception il n’est pas si important dans la pratique. Ou plutôt il est très important puisque l’on joue constamment avec lui, mais il est indissociable des autres paramètres de l’objet sonore.

            Pour rappel :

            - L’angle et l’élévation.

            - La vitesse (à partir de quand et jusqu’où cela bouge et cela ne          bouge plus).

            - La distance.

            Cela en fonction :

            - De la tessiture et de la masse.

            - Du caractère continu/ponctuel.

            - De l’espace interne.

            - Du degré d’abstraction/réalisme.

            - Et bien entendu de l’acoustique du lieu.

            h) Rapports entre l’espace réel et les autres critères.

            Avant d’évoquer quelques types de rapports pouvant exister entre l’espace réel des sons et d’autres critères de leur facture il me faut quand même parler un peu de la distinction qui peut apparaître entre les mouvements à caractère visuel et ceux à caractère kinesthésique. Et là il faut bien aussi se demander comment, et où tout cela se projette chez l’auditeur.

On constate souvent une sorte de représentation visuelle du son (non de ce qui peut l’avoir produit) qui s’accompagne d’une dimension spatiale : ainsi un son se déplaçant en face de nous de gauche à droite dessine-t-il une trajectoire proportionnelle sur l’écran imaginaire des yeux fermés. Il semble que se constitue ainsi un espace visuel virtuel au cadre flou dans lequel les sons immobiles se posent sans trop de problème, et qui est traversé ça et là par les traces des sons mobiles frontaux... L’ensemble des sons perçus semble se projeter en fait dans une représentation tridimensionnelle à l’intérieure de laquelle l’auditeur se représente lui-même. C’est là un domaine de recherche, basé sur des expériences et des témoignages, qui mériterait à lui seul une étude approfondie…

            Les formes mentales que l’on constitue ainsi sont le résultat de la combinaison obligée de plusieurs critères au sein de l’espace-temps. Une géométrie plastique sonore associant déplacement, critères de masse et suggestions psychoacoustique si elle n’est pas aisée à manipuler existe réellement.

            - Renforcements : Position, taille et mouvement s’associent à un autre paramètre pour lui donner plus d’efficacité, de vraisemblance…

C’est par exemple les associations aigu/hauteur, profil mélodique rapide/déplacement idem, taille/spectre etc.

            - Contradiction : Ceci est autoexplicite mais néanmoins très riche en applications !

            - Illustration : image d’une source mobile/mouvements, “ grêle” : haut-parleurs au sol, “chant d’alouette” : au plafond etc.

            - Indépendance…

            - Rapports espace virtuel/réel : la juxtaposition de l’image d’un espace avec son espace propre de projection est un des grands apports de la multiphonie, surtout dans les juxtapositions/imbrications.

            En tout cas, les critères d’espace, même dans les cas apparemment les plus simples, sont toujours liés aux autres pour former la morphologie perceptive globale de l’objet sonore. Ceci revient à dire que tout essai de formalisation de l’espace indépendamment des sons est condamné à rester une curiosité de laboratoire sans possibilité réelle d’application compositionnelle.

            i) Artefacts acoustiques.

            Le contrôle principalement du mouvement par des procédés de modulation parvient dans certains cas à interagir avec les autres critères en modifiant leur perception. Le plus connu est l’effet Doppler qui nécessite malgré tout des dimensions assez importantes. Plus facile à obtenir sont les effets de vitesse sur un mouvement cyclique (qu’on peut appeler “modulation spatiale”, comme on parle de modulation de fréquence) ou de déphasages par émission simultanée sur des points relativement éloignés.

            j) Espaces microphoniques multiphoniques.

            La plupart du temps la source microphonique des objets sonores, leurs traitements éventuels, ont lieu en mono ou stéréophonie. On a vu que l’on pouvait obtenir des objets de “taille” plus importante par divers artifices, mais on peut également partir de captures multiphoniques (cf. « L’arbre et coetera » de Savouret en quadriphonie). Cette pratique est encore peu répandue (techniquement un peu lourde) mais offre un intéressant intermédiaire entre espace réel et virtuel.

            7. Mais au fait, qu’est-ce qu’un « objet multiphonique » ?

            Réaliser en multiphonie conduit, on l’a vu, à ne plus penser « son + diffusion » mais « objet intégrant l’espace réel ». C’est cette chose qu’on peut qualifier d’objet multiphonique.

            Le terme est plus important qu’il ne paraît car il représente une manière différente de considérer le travail de conception autant que la réalisation. De plus, selon l’environnement matériel, ce paramètre pourra ou non représenter une réalité manipulatoire (§10).

            Prenons par exemple un espace interne dodécaphonique (ben oui). Il peut comporter des objets monophoniques (un point), stéréophoniques (l’espace entre deux points) et les autres.

            Un objet dont le profil cinétique serait un déplacement sur quatre points est un objet quadriphonique. Un autre dont les bandes de fréquences seraient réparties statiquement sur six points serait un objet hexaphonique. Un autre encore qui serait une trame ou une accumulation dont chaque particule apparaît/disparaît sur huit points est un objet octophonique. J’insiste bien sur cette idée d’objet car l’état ou le profil spatial fait réellement partie de l’objet, et on le manipule ainsi “horizontalement” (temporellement) et “verticalement” (par superpositions) dans sa globalité, comme on le faisait d’un simple objet stéréo à l’intérieur d’un espace... stéréo.

            8. Les machines... et le studio

            …Car il faut bien en parler !

            On a actuellement à notre disposition deux environnements complémentaires : des logiciels multipistes sur disque-dur et des échantillonneurs (et synthétiseurs) (je ne parle pas des multipistes linéaires, car si leur utilisation comme support final reste intéressant, leur utilisation pour composer est par trop limitée et contraignante sans rien apporter véritablement en retour). Si les premiers font régulièrement des progrès (cf. le dernier Logic audio par exemple) ils sont encore limités à la gestion d’objets simples (positions, tailles simples ou légères balances), et c’est encore les seconds qui permettent une intégration efficace et complète grâce à la gestion interne de leurs différentes sorties.

            L’autre avantage de l’échantillonneur et de la composition MIDI c’est qu’une simple séquence peut “contenir” un objet multiphonique aussi complexe que l’on veut sans s’embarrasser de pistes parallèles et de courbes de volume. C’est aussi le meilleur moyen pour contrôler ce paramètre gestuellement, facilement et efficacement (via contrôleurs MIDI standards ou non) en interaction avec les autres aspects de l’objet. C’est encore la possibilité d’appliquer des modulations irréalisables par d’autres moyens.

            Certains attendent encore LA machine, ou LE logiciel qui gérera enfin l’espace d’une manière intuitive (graphique) et souple. C’est non seulement inutile (pour l’instant) mais surtout, si cette fonction se rajoute après la gestion du son (comme dans un mixage de musique) on se retrouve encore dans une optique de diffusion, non de réelle intégration à la composition (ce sera de toute manière quand même bien venu…).

            Le plus gênant dans cette attitude, c’est qu’elle repousse encore à une époque hypothétique quelque chose qu’on peut faire depuis déjà pas mal de temps, d’autant plus que le travail à faire sur soi est important.

            Le changement pour l’acousmate est qu’il peut manipuler directement des objets multiphoniques tout en conservant la démarche concrète : l’interaction continuelle avec ce qu’il entend. Évidemment, cela  remet en question la pratique, les méthodes personnelles utilisées jusqu’alors. Il faut bien trouver situer ces nouvelles préoccupations (dans la chaîne des actions créatrices de son et compositionnelles) et comment les aborder techniquement. Plus grave (!), la plupart des schémas spatio-temporels acquis dans l’écoute stéréophonique sont caduques et d’autres s’imposent, quelquefois avec force, et obligent à reconsidérer ainsi peu-à-peu presque toutes les notions d’écriture et de formes préalables. En plus, il faut bien l’avouer, même si des machines efficaces ont le mérite d’exister et de permettre une forme de création acousmatique impensable auparavant, elles sont loin d’être conçues pour ce genre d’applications. Il faut ainsi réinventer continuellement des moyens de les détourner, comme d’autres l’avaient fait avec des disques ou les premiers magnétophones, mais avec peut-être un abord moins simple.

            Quant au studio, il comporte évidemment autant d’enceintes que de points de diffusion nécessaires — je rappelle encore qu’il n’y a aucun lien entre le nombre de “voies de polyphonie” (ou le nombre d’objets multiphoniques) que l’on peut faire entendre simultanément et la quantité de haut-parleurs. Ceux-ci sont disposés en fonction des exigences de l’œuvre.

            Il n’est cependant pas toujours possible de reproduire à l’intérieur du studio des conditions en tout point identiques à celles que l’on rencontrera lors de la diffusion en public, excepté pour tous les dispositifs prévus pour de petites salles. Dans les autres cas il s’agit de reproduire une configuration à l’échelle, conservant les proportions et rapports d’intensité (et de timbre). S’il est difficile dans certains cas limites (vaste espace extérieur par exemple) de trouver une écoute analogue (mouvements d’éloignement importants, discrimination entre des points voisins, retards...) l’expérience prouve que moyennant un petit effort on arrive très rapidement par l’imagination à rétablir l’échelle voulue, suffisamment en tout cas pour effectuer un travail efficace...

            Arrivé à la diffusion en espace réel, le problème de l’échelle peut se poser à nouveau mais dans le sens contraire : les distances, donc les durées, donc les vitesses, vont être multipliées. L’écart angulaire peut être respecté mais des retards, des superpositions non entendus en studio peuvent se produire. Dans le cas de changements d’échelle importants on peut corriger les nouvelles proportions par des délais individuels par haut-parleur (la fonction est intégrée sur les derniers multipistes modulaires).

            9. Plus on fixe, plus on ouvre…

            En “objectivant” l’œuvre acousmatique qui n’a plus besoin qu’on la tienne par le potentiomètre pour vivre sa vie, la multiphonie lui a permis de créer de nouveaux rapports avec l’auditeur. On ne lui joue plus l’œuvre mais peut-être peut-il, lui, jouer avec.

            La notion de fixation n’est pas non plus aussi univoque : pendant des années on ne s’est pas privé de tordre et distordre ce qui était pourtant fixé à grand peine sur un support, et maintenant une dose de variabilité, autonome ou provoquée, vient secouer l’édifice.

            En fait, cette variabilité découle directement de la fixation et ne la remet pas en question : tout dépend à quel niveau on fixe les choses. Ce qui importe c’est que cette variabilité soit fixée, intégrée, et ne résulte pas de la fantaisie arbitraire et extérieure d’un quelconque “interprète”.

            C’est évidemment dans les installations que cette variabilité — cette interactivité — peut se développer avec le plus de bonheur.

            La fixation “ totale”, utopie de phoniurge, est un excellent moteur de création et d’expansion. Même si elle ne l’est jamais complètement, c’est malgré tout la voie ouverte par la “musique concrète”, préfigurée par quelques siècles d’évolution de la partition. Jouer le jeu pour voir jusqu’où on peut aller, ce qui se passe sur ses zones limites, explorer ce que ça peut permettre de développer pour tous les aspects artistiques est me semble-t-il la seule démarche cohérente aujourd’hui. Si elle possède une prise de risque, c’est tant mieux car si la musique concrète a 50 ans, l’acousma sort à peine de l’adolescence (en tant qu’art, s’entend !). En crise d’identité et possédant encore une existence marginale, affirmer l’originalité de cet art toujours nouveau tout en lui permettant de se diversifier et d’englober des esthétiques complémentaires me semble être un atout à ne pas manquer…

[Révision d’un article écrit en 1991-92, destiné à paraître dans une « Absolulettre n°1 »]