Rubrique internationale de Nicolas Vérin :

compte-rendu du Festival Elektrokomplex

 

 

            Du mardi 30 juin au samedi 3 juillet 1998 a eu lieu à Vienne en Autriche le Festival Elektrokomplex, manifestation organisée par le GEM, l’association sœur d’Ars Sonora pour l’Autriche, à l’occasion des 50 ans de la musique concrète. Cette manifestation se composait de huit concerts à l’Auditorium de la Radio avec l’Acousmonium de l’INA-GRM, d’un colloque comprenant quatre conférences-débats, d’une exposition et de séances d’écoute non-stop de musique électroacoustique (Kino für das Ohr). Le thème principal du colloque était “audience : music”, une réflexion sur la dissémination de la musique électroacoustique en cette fin de 20ème siècle. En outre, les principales organisations représentant cette forme d’art étaient invitées à partager des informations dans le contexte de l’exposition. Par ailleurs avaient lieu simultanément l’Assemblée Générale de NICE (New International Community of Electroacoustic Music, dont Ars Sonora est un des six membres actuels), le Rostrum International de l’IMC-UNESCO, ainsi que l’Assemblée Générale de la section européenne de l’ICMA (International Computer Music Association).

            Il était très réconfortant de constater, en ces temps parfois difficiles pour la musique électroacoustique, la présence d’un nombre important de participants : près d’une centaine de personnes venant d’au moins 21 pays différents (Autriche, Allemagne, France, Angleterre, Écosse, Irlande, Belgique, Hollande, Suède, Danemark, Norvège, Hongrie, Pologne, République Tchèque, Slovaquie, Bulgarie, Italie, USA, Canada, Brésil et Argentine, et sans doute d’autres que je n’ai pu recenser). Outre les participants actifs (représentants d'une organisation, compositeurs joués en concert, conférenciers...), d'autres personnes étaient également présentes, la plupart venant d'Autriche ou d'un pays voisin. On peut regretter toutefois, vu le grand intérêt de cette manifestation et son caractère exceptionnel, qu’elle n’ait pas fait l’objet de plus de publicité. Les concerts notamment auraient pu attirer plus de spectateurs en dehors des participants, ce qui n’a pas été tellement le cas.

1. Compte-rendu de l’Assemblée Générale de NICE

            Konrad Boehmer, le président de NICE fait le point sur l’enquête sur les droits d’auteur pour la musique électroacoustique, qu’il a initié l’an dernier. Il y a eu très peu de réponses au questionnaire, ce qui rend toute statistique impossible. Les systèmes de répartition sont extrêmement variés, tant sur le calcul des points attribués à une œuvre électroacoustique, que sur la façon de collecter les droits auprès des organisateurs de concert et des radios. Les compositeurs des pays les mieux lotis, dont la France qui est sans doute celle où la musique électroacoustique est la mieux défendue, ont tendance à ne pas se sentir concernés par la question. Pourtant, les droits que leurs œuvres généreront dans les autres pays dépendent des règles de ces pays. Il est donc utile pour tous d’établir un modèle de système que nous souhaiterions voir mis en place au niveau européen, puisqu’il est vraisemblable que l’on devra bientôt harmoniser les règles à l’intérieur de l’Union Européenne.

            Un examen détaillé a été fait des statuts de membre ou d’observateur du Conseil International de la Musique (IMC) de l’UNESCO. Il ne nous est pas possible pour l’instant d’être membre, car deux membres ne peuvent coexister s’ils ont les mêmes buts et champs d’action. Il a été décidé de ne pas prendre le statut d’observateur, qui nous coûterait cher pour, en fait, aucun résultat. Les informations intéressantes nous parviennent de toute façon par d’autres canaux, et, le statut d’observateur ne donnant pas le droit de vote, il ne nous apporterait rien.

            Par ailleurs, une modification des règles du Rostrum électroacoustique de l’UNESCO est envisagée. L’idée qui se dégage de la discussion est qu’il faudrait ouvrir le Rostrum à l’ensemble de la production électroacoustique de chaque pays, via un comité de sélection par pays ouvert à toutes les pièces, de façon à avoir une représentation réelle.

            Paul Pignon, de l’association suédoise de musique électroacoustique, nous fait lecture d’une lettre expliquant que ses membres ne voient plus l’utilité d’être dans la CIME, mais ne voient pas non plus celle de NICE et préfèrent donc n’être plus dans aucune organisation internationale. En fait, ils trouvent NICE trop similaire à CIME, mais dénué de moyens. Ils prédisent sa paralysie à partir du moment où le nombre des membres sera supérieur aux cinq actuels (notamment dans le cas d’associations de pays lointains, qui ne pourront envoyer leurs délégués à cause du coût du voyage). La fédération anglaise (Sonic Arts Network) semble alors partager à peu près ce point de vue (un de ses membres me fera pourtant part de leur décision quasi-certaine d’adhérer à NICE prochainement). Ce n’est pas que l’association suédoise ignore l’intérêt des échanges et de la communication, mais ils considèrent que les moyens technologiques modernes permettent de réaliser ces objectifs sans avoir recours à une organisation formelle. Ils proposent de mettre un place un “noyau” d’accès Internet, permettant à chacun de faire partager les informations qu’il souhaite communiquer. Konrad Boehmer et d’autres font valoir que d’une part NICE est précisément l’organisation la moins formelle qui soit, et d’autre part qu’il est naïf de croire pouvoir avancer sérieusement sans aucune structure. Par ailleurs se poser la question : « qu’est-ce que NICE peut faire pour nous ? » est très prématuré, égocentrique, et témoigne d’une vision inversée des choses. Pour l’instant, il faut plutôt chercher en quoi chacun peut faire avancer NICE.

            Konrad Boehmer annonce être en mesure d’accueillir l’Assemblée Générale de 2000 à Amsterdam, à l’occasion de l’inauguration de leur nouveau centre, qui donnera lieu à un festival important. Il nous faut trouver le lieu pour l’A.G. 1999, et un consensus se fait pour essayer de maintenir le principe d’un festival à l’occasion de chaque A.G. La logique voudrait que ce soit l’Allemagne qui accueille NICE l’an prochain, la France, la Belgique et l’Autriche l’ayant déjà fait, et les Pays-Bas s’apprêtant à le faire en 2000. Il serait question de Essen, l’Université où enseigne Ludger Brümmer, mais cela n’est pas encore sûr. Igor Lintz-Maues évoque également la possibilité de se réunir aux États-Unis. SEAMUS, l’Association américaine de musique électroacoustique, n’est pas encore membre de NICE, et n’était pas jusque là intéressée par des manifestation avec des étrangers, mais une “brèche” a été ouverte par Igor Lintz-Maues qui a été invité là-bas l’an dernier. Il semblerait que SEAMUS serait prêt à nous accueillir, soit à San Jose (Californie), soit à New York (une quasi-unanimité se dégage pour préférer New York, ne serait-ce que parce que c’est moins cher pour y aller). 

2. Le Rostrum international de musique électroacoustique de l’UNESCO

            Une discussion a pu avoir lieu entre les représentants de NICE et Guy Huot, le Secrétaire général de l’IMC-UNESCO. Il apparaît qu’il serait facile d’élargir la participation, à condition de trouver des radios qui s’engagent à diffuser les œuvres sélectionnées au Rostrum. En effet, certains pays sont déjà représentés par deux radios, et il n’y a plus de raison pour limiter la représentation aux seules radios nationales, celles-ci n’ayant aucune activité de production de musique électroacoustique dans de nombreux pays.

            Pièces primées :
            Lizard point (18’50), de Ludger Brümmer (Allemagne), et What Nostradamus has kept only for himself de Michal Talma-Sutt (Pologne)

3. Le colloque

          Le principe de ce colloque était de favoriser des débats les plus larges possibles. Pour cela, chaque journée commençait par deux présentations de 30 à 45 minutes, puis le débat se déployait sur le temps restant, soit une heure et demie à deux heures.

          Ce qui suit est un résumé des présentations et des débats qui n’engage que moi. Toutes les interventions n’ont pu être mentionnées pour des raisons évidentes de place. Je remercie Igor Lintz-Maues et Alexandra Hettergott pour leur aide. Les minutes complètes du colloque seront publiées par le GEM à Vienne.

 

Première journée : tendances et directions de la musique électroacoustique. (Modérateur : Denis Smalley — City University de Londres)

          Le colloque est ouvert par un discours d’introduction de Igor Lintz-Maues, président de la Société Autrichienne de Musique Électroacoustique (GEM), qui a été l’organisateur principal du Festival Elektrokomplex.
          Le premier intervenant est Lelio Camillieri (Conservatoire G.B. Martini, Bologne) qui affirme que la différence entre musique concrète et électronique existe toujours, même si elle ne se situe plus dans le matériau, mais dans la façon de l’utiliser.
          La musique électroacoustique et acousmatique est dans la tradition de la musique concrète, une esthétique différente de la musique traditionnelle, tandis que la computer music s’inscrit dans la tradition de la musique électronique, c’est-à-dire une façon somme toute plutôt instrumentale de penser la musique.
          Dans l’électroacoustique, la forme est dérivée des matériaux, des morphologies, qui donnent la structure de bas niveau. Cela est illustré par un extrait d’une pièce d’un jeune compositeur italien basée sur le flamenco, dont les matériaux ne sont quasiment pas reconnaissables mais qui en tire sa microstructure.
          Puis il émet ensuite une idée “provocatrice“, à savoir que l’espace n’est plus aujourd’hui utilisé de façon structurée, comme cela a pu être le cas dans Kontakte de Karlheinz Stockhausen par exemple, et qu’il y a beaucoup de travail à faire pour développer cette dimension de façon intéressante.

          Le deuxième conférencier de cette journée est François Delalande (INA-GRM), qui met en avant trois idées.
          1. Il y a une différence fondamentale de technologie entre l’écriture et le magnétophone. C’est un fait social différent avec un circuit complètement différent.
          2. Il y a un problème de limites : où commence et où finit la musique électroacoustique aujourd’hui ? On retrouve l’utilisation des mêmes outils de studio dans la pop music, les pièces radiophoniques (Hörspiel), le travail de “production” de disques, (dans la musique baroque par exemple, où il y a une recherche approfondie du “son”), etc.
          3. L’électroacoustique est un laboratoire pour la musique instrumentale. Il cite Messiaen : « l’électroacoustique a influencé tous les compositeurs, même de musique purement instrumentale ». Exemples : la musique minimaliste, la musique spectrale, etc. On peut donc dire qu’il y a une large continuité entre la musique électroacoustique et les autres arts du son, ainsi qu’avec la musique contemporaine instrumentale.

          Dans la discussion qui suit, Ludger Brümmer dit que c’est oublier la composition algorithmique, qui est une autre révolution, car elle ne fait pas appel à des systèmes pré-définis comme chez Bach, avec les marches, les fugues, etc. Par ailleurs, l’espace n’est pas un paramètre comme les autres, et Stockhausen l’avait traité de manière sérielle, alors que c’est forcément plus complexe, car il faut tenir compte des phénomènes psychoacoustiques.
          Paul Pignon, après beaucoup de travail dans ce domaine, exprime sa déception personnelle : l’espace n’est pas en définitive un critère déterminant pour décider si une pièce est bonne ou non.
          Pour Jonty Harisson les aspect quantitatifs correspondent au sérialisme et à la musique de processus, tandis que les aspects qualitatifs sont plutôt présents dans l’électroacoustique et l’acousmatique.
          Annette Vande Gorne s’insurge contre l’affirmation que l’espace n’est pas travaillé : il n’y a qu’à écouter la pièce En cuerdas de Francis Dhomont. On peut repérer trois axes : l’espace interne fixé sur la bande stéréo ; l’énergie géométrique, en corrélation avec le matériau sur la bande, avec par exemple les sons d’une rotation allant de pair avec rotation dans l’espace de la salle de concert ; enfin des figures, un espace organisé, composé, généralement avec l’aide du multipiste.
Harry-Ed Roland se demande où sont les musiciens technos et tous les autres qui sont dans la frange des musiques pop-électroacoustiques ? Ils nous invitent volontiers à se produire chez eux, alors pourquoi restons-nous entre nous, dans ce petit cercle fermé ?
          Pour Annette Vande Gorne, la révolution de Schaeffer ce n’est pas tant la fixation, que la conscience de la morphologie et son organisation. C’est aussi le pouvoir des sons sur l’imaginaire (pas à cause de leurs sources, quand bien même on utilise des sons environnementaux), par la mise en relation en contexte de différents sons cadrés, ce qui crée l’étonnante possibilité d’avoir une expérience musicale personnelle, et qui peut être un moteur de transformation de l’être intérieur.
Francis Dhomont trouve qu’il y a tellement de changements dans la musique électroacoustique par rapport à la tradition qu’on ne devrait peut être plus l’appeler musique. Dans toutes les musiques (traditionnelles) du monde, on retrouve plusieurs composantes parmi la liste suivante : la hauteur traitée mélodiquement, l’harmonie, le rythme traité suivant des règles, des interprètes, des instruments, une partition... En art acousmatique, on a une hauteur non-mélodique, un rythme et une harmonie (s’il y en a) en dehors de toutes règles, pas d’interprètes, d’instruments, ni de partition.
          Selon Harry-Ed Roland, le besoin de l’appeler musique était justifié historiquement par la quête de légitimité, au sein d’institutions importantes et lourdes. Aujourd’hui ça n’est plus nécessaire, et beaucoup d’entre nous ne se présentent pas en tant que compositeurs. Cela n’a pas d’importance, au contraire, cela permet de libérer d’une certaine lourdeur.
          Paul Pignon clôt la discussion de façon provocante en disant qu’ il y a eu trop de “consanguinité” dans la musique électroacoustique, ce qui a tué la fraîcheur et l’invention ; l’électroacoustique n’est plus aussi sexy [ce terme est utilisé fréquemment en Anglais, de façon légèrement provocante, pour “séduisant”, “attirant”, voire “clinquant”] qu’elle ne l’était. Pour retrouver un sang neuf, de l’innovation, il nous faut nous tourner vers l’extérieur, faire des échanges avec le rock, la techno, les musiques improvisées, etc.

 

Deuxième journée : Musique électroacoustique, radio et nouveaux médias de communication. (Modérateur : Guy Huot — Secrétaire général de l’IMC-UNESCO)

          Roger Wright (BBC) présente leur nouvelle structure, regroupant radio et télévision, divisée en une partie production et une partie diffusion, responsable des commandes, donc du choix des programmes et du “son” d’ensemble des différentes chaînes. Par ailleurs, les consultants et stratèges de la BBC poussent au développement d’Internet : BBC Online atteint déjà 14 millions de foyers et devrait en toucher 70 millions en 2000.
            En quoi est-ce que cela concerne les artistes créateurs et la radio de service public ? Si celle-ci doit s’efforcer de fournir ce qui n’est pas disponible sur le marché commercial, elle doit néanmoins aller là où est le public. La BBC a perdu en un an 45% d’audience sur les journaux d’actualité dans les foyers dotés du câble ou du satellite ! Le monde devient de plus en plus fragmenté et les gens veulent accéder quand ils veulent au type de programme de leur choix.
            La musique électroacoustique dispose d’un avantage : elle est naturellement reliée et adaptée, par sa proximité technologique, au médium radiophonique. L’inconvénient est bien sûr sa présentation en concert qui n’a pas de sens si elle ne s’appuie pas sur l’interactivité. Entre les compositeurs et les interprètes, mais aussi avec le public, par l’éducation ou par la technologie elle-même. Par exemple, Anthony Fits a créé un programme documentaire, “Facing the radio”, qui est en fait une véritable forme artistique nouvelle : émission en direct sur Internet, mais en même temps œuvre en soi. Le public pouvait improviser en retour, via un simple téléphone à touches, créant ainsi un collage, un monde sonore extraordinaire qui éduquait les gens sur les possibilités de la technologie. Bien sûr nous continuerons à faire des commandes pour des compositeurs d’œuvres de concert ou de bandes sonores de films artistiques. Mais la fragmentation risque de réduire à néant l’audience pour les arts, quoiqu’elle peut aussi aider à mieux la définir.
            En tout cas, il paraît crucial que les artistes prennent en compte le public, qu’ils aient à l’esprit constamment l’audience à qui ils s’adressent.

            Heidi Grundmann (ORF-Kunstradio, Vienne) anime une petite unité de création radiophonique, avec des artistes œuvrant spécifiquement pour ce médium. Le contexte actuel évolue très vite, et il nous faut prendre en compte les nouvelles formes de transmission, comme Internet. L’esthétique de Kunstradio a également été très marquée par l’art de télécommunication, qui a une forte tradition, particulièrement en Autriche. Il y a eu là beaucoup de projets artistiques mettant en œuvre, dès les années 70 et 80 des précurseurs d’Internet avec toutes sortes de technologies bon marché reliées au téléphone. A partir des années 90, une troisième génération d’artistes et de compositeurs ont réalisé des projets au Kunstradio reliant la sensibilité et l’horizontalité des événements de télécommunication avec la radio traditionnelle. Par exemple le premier de ce genre, “Rationalnic” , initié par des compositeurs de Graz, Seppo Gründler et Josef Klammer, où plusieurs concerts avaient lieu simultanément à Graz, Ljubljana, Trente, et Budapest. Ces sites étaient reliés par téléphone pour transmettre des signaux MIDI qui déclenchaient des séquenceurs, échantillonneurs, etc. Plus tard, il a été possible de réaliser ce genre d’événement avec une transmission de son hi-fi stéréo, comme en 1993 avec trois concerts combinés dans trois régions, et diffusion simultanée radio et télévision.
            Heidi Grundmann présente ensuite en détail plusieurs projets dans lesquels toutes les technologies de communication sont employées, où par exemple le clic sur une ligne hypertexte d’un visiteur du site internet déclenche un échantillon dans le concert qui a lieu, de sorte qu’il s’agit d’un résultat incontrôlable, où les compositeurs acceptent cette part d’aléatoire et délèguent le mixage général aux ingénieurs du son, qui deviennent co-auteurs du projet.

            Guy Huot souligne qu’on peut distinguer très clairement deux groupes : d’un côté les producteurs de radio (créateurs à leur façon), venus pour participer au Rostrum de l’UNESCO, et de l’autre les compositeurs de musique électroacoustique.
            Igor Lintz-Maues : la radio a joué un rôle important dans le développement de la musique électroacoustique, pour fournir locaux, équipement, personnel, concerts, commandes, diffusions sur les ondes... Question aux producteurs : est-ce que la radio continuera à se retirer de la production et ne plus faire que de la diffusion ?
            Roger Wright pense qu’effectivement, elle n’est devenue qu’un simple bout de la chaîne.
            Heidi Grundmann, qui était présente aux Radio Days de Berlin, a été émerveillée par le développement de la diffusion (broadcast) sur internet, faite par des gens indépendants, et pense que cela remplacera la radio pour tout ce qui n’est pas de masse.
            Marc Wilaert, de la radio hollandaise, dit qu’ils ont besoin de toute leur énergie pour réaliser les programmes radio et que l’Internet ne leur paraît pas encore un véhicule intéressant si ce n’est pour la promotion. Il débat avec Heidi Grundmann de la validité de ces événements non-reproductibles et qu’on ne peut documenter.
            Gabriele Breu, compositeur et artiste sonore ajoute qu’elle utilise les médias pour faire des projets live qui ne sont pas comme des objets en conserve qu’on répéterait ensuite. C’est une façon différente de penser la composition.
            Guy Huot y associe les mots de collage et de happening : il s’agit là en effet d’une autre forme d’art.
             Pour Konrad Boehmer on ne discute même pas dans tout cela de la musique électroacoustique. La BBC n’a jamais eu un seul studio de production électroacoustique, et à l’ORF c’est encore pire car elle essaye de détruire la musique électroacoustique. Avant, beaucoup de radios avaient des studios de musique électroacoustique, mais ce n’est plus le cas. La conclusion de la discussion entre les compositeurs représentant les fédérations nationales du NICE a été la suivante :
1.         Les radios devraient se tenir aux règles du Rostrum, et plus d’une radio par pays peut y participer (pas seulement des radios nationales) ;
2.         Il faut ouvrir les portes de la présélection qui doit être faite par un jury légitime, pour éviter que le Rostrum s’étiole et finisse par disparaître dans quelques années.
            Morgan Hanson dit que le Rostrum électroacoustique (qui n’a lieu que tous les deux ans) n’est pas utilisé au maximum de ses possibilités, du fait de la non-participation de beaucoup de radios : cette année elle n’ont été que 10 à y participer (à comparer avec les 40 qui ont participé au Rostrum de musique contemporaine à Paris, qui, de plus, est annuel). Par exemple, la BBC ne participe pas car « ils ne peuvent pas trouver trois heures de temps d’antenne sur deux ans pour diffuser de la musique électroacoustique ». Bien sûr les USA ne participent pas, soit que leurs radios se soient dissoutes dans une sorte de terrain de jeu à la internet pour les compagnies privées, soit qu’elles soient purement commerciales. Les compositeurs devraient écrire à leurs radios nationales pour demander à ce que plus de temps d’antenne soit consacré à la musique électroacoustique et notamment à ce que les sélections du Rostrum soient jouées. En échange, ils devraient être volontaires pour faire le jury de la présélection nationale. Les associations de compositeurs devraient peut-être même envisager de payer les voyages des représentants au Rostrum pour faire en sorte que cela puisse continuer.
            Daniel Teruggi remarque que le GRM — contrairement à ce qui a été affirmé un peu avant — est distinct de Radio-France. Ils ont un contrat depuis 23 ans. Cette année, quelque chose d’étrange s’est produit : le dernier jour avant la date limite pour l’envoi des propositions, Radio-France l’a appelé pour lui demander d’être leur représentant au Rostrum. Une fois à la réunion du Rostrum, Daniel apprend que Radio-France n’a pas diffusé toutes les œuvres sélectionnées au précédent Rostrum (la personne qui en était chargée a mis le dossier dans un tiroir et son successeur s’est bien gardé de l’ouvrir). Le résultat en est que Radio-France ne peut participer au vote et que sa proposition, conformément au règlement du Rostrum, est éliminée. Pourtant le GRM a produit en 1997 plus de 45 heures de musique électroacoustique diffusée (sans compter le temps de parole : il s’agit ici du strict temps de musique !).
            Selon Konrad Boehmer, qu’elles soient publiques ou privées, les radios ont tendance à aller de plus en plus vers le commercial, — disons de Stockhausen vers U2. C’est la seule véritable raison : elles ne veulent plus vraiment diffuser de la musique électroacoustique. Les petites radios réellement indépendantes qui font des programmes intéressants sont très rares et n’ont aucun moyen, pas même ceux de payer le voyage (il cite l’exemple d’une radio de Dijon — peut-être s’agit-il Radio-Campus, qui est une radio universitaire ?).
            Folkmar Hein informe que la DEGEM a demandé à ses adhérents de postuler pour le Rostrum et leur a demandé de contacter toutes les stations de radio : ZDF, ARD, NDR... La plupart ont répondu qu’elles n’étaient pas intéressées.
            Pour Paul Pignon le fond de la question réside exactement en ceci : les radios ne sont pas intéressées à jouer de la musique sérieuse, car plus personne ne l’écoute... En tant que compositeurs, on nous dit toujours que nous devons tout faire nous-même, et il faut effectivement faire trois métiers : composer, gagner sa vie, et promouvoir notre travail, mais on finit par se demander pour quoi sont faites les radios publiques.
            Igor Lintz-Maues dit que nous avons tous nos problèmes et essayons de faire notre travail. Le Rostrum est très précieux, et ce n’est pas seulement la ou les pièces sélectionnées qui en bénéficient. Il lui est arrivé d’avoir une pièce qui n’était pas parmi la sélection mais qui était simplement recommandée, et elle été jouée sur dix radios !
            Pour Simon Waters, la musique n’est pas faite dans le vide ; il y a des radios, des universités, qui aidaient autrefois mais ce n’est plus le cas aujourd’hui, donc on est tous là à se plaindre... Mais il faut réaliser que nous devrons sans doute à l’avenir nous débrouiller sans cela. Il y a d’autres solutions, comme par exemple une radio à Londres, Resonance ( ?), qui est légale et qui a été mise sur pied par des compositeurs ; elle émet 4 jours non-stop de musique électroacoustique... Une autre radio, illégale, elle, émet depuis Brixton et déménage chaque semaine (il s’agit dans ce cas plutôt de musique à la marge entre électroacoustique et trip-hop).
            Heidi Grundmann (ORF) parle des CD-ROM, de la réalité virtuelle, comme étant les développement actuels les plus intéressants. On s’aperçoit maintenant que dans la réalité virtuelle c’est le son qui fait l’immersion et non l’image : c’est une chance que les musiciens doivent saisir.
            Igor Lintz-Maues demande ce qui pourrait constituer une stratégie de marketing pour induire les radios à s’impliquer davantage dans les arts nouveaux ?
            Marc Wilaert donne en exemple la norme des 7% en Hollande. Les orchestres doivent jouer 7% de musique par des compositeurs hollandais. Peut-être pourrions nous demander aux politiciens d’imposer un quota de musique électroacoustique aux radios publiques, celles qui sont financées par des impôts.
            Roger Wright (BBC) s’écrie : « S’il vous plaît, ne faites surtout pas appel aux politiciens ;   c’est devenu pire dans la cool Britannia [la Grande-Bretagne actuelle, avec Tony Blair à sa tête], que ça ne l’était sous Thatcher, au point que les radios publiques sont en danger d’être fermées ou transformées en radios par abonnement (radios financées par les souscriptions des auditeurs) ».
            Heidi Grundmann (ORF) dit il faut s’adapter : faire des pièces plus courtes, des événements live, des pièces pour enfants, etc.
            Pour Robert Dow, c’est paradoxal que nous soyons en train de nous soucier autant de radiodiffusions, alors que la plupart des discussions que nous pouvons avoir entre compositeurs de musique électroacoustique tournent autour des haut-parleurs, des salles de concert, etc. Dans ces cas-là, nous sommes très exigeants, et nous serions prêts à beaucoup de concessions pour être diffusés à la radio, alors que c’est pourtant loin d’être un média idéal pour notre musique !
            Paul Pignon pense qu’il faut voir au-delà, vers le futur plus lointain. Avec internet, nous aurons la musique à la demande, les compositeurs n’écriront plus de musique, mais des logiciels qui produiront une musique variant à chaque fois...

 

Troisième journée : Musique électroacoustique, industrie du disque et nouveaux médias de diffusions. (Modérateur : Konrad Boehmer — Instituut voor Sonologie, La Haye)

            Annette Vande Gorne (Musiques et Recherches, Ohain) expose le travail fait pour la réalisation du Catalogue Electro-CD. Il est clair que le CD est le meilleur support pour la musique électroacoustique, car il respecte la qualité, du moins pour les pièces stéréo. Mais il reste le problème des œuvres multipistes. Le DVD avec le son surround sera peut-être une solution ; il semblerait qu’il soit possible d’avoir 8 pistes et 96 KHz à 24 bits sur un DVD.
            Sur le plan de la distribution, le problème est qu’il y a plus d’offre que de réelles moyens de distribution. Voici une petite histoire pour illustrer cela. La FNAC de Bruxelles lui a acheté 30 CD différents de musique électroacoustique, mais elle n’a jamais pu les voir en rayon. Quand par hasard on arrive à trouver des disques de musique électroacoustique, ils sont dans les bacs de musique contemporaine. Peut-être faudrait il plutôt qu’ils soient dans la techno ou la new age ? De toute façon, les échelles ne sont absolument pas les mêmes : pour les gros labels, 50 000 ventes par an est le minimum pour garder un titre au catalogue ; en musique électroacoustique, 500 ventes par an, c’est déjà presque un maximum. Il faut donc trouver d’autres moyens de diffusion : vente directe, vente par correspondance, par internet. Cela marche assez bien avec Métamkine et surtout avec Empreintes Digitales, de Jean-François Denis à Montréal : cette réalité-là est peut-être notre futur.
            Le revers de la médaille c’est que si tout le monde met de la musique sur son site web, tout se banalise et perd de son sens, et tout devient équivalent dans un monde d’une abondante grisaille. Cela devient donc le rôle principal de l’éditeur de faire voir la différence, la singularité des œuvres.
            Musiques et Recherches a réalisé depuis 1993 (initialement à la demande de François Bayle), Electro-CD, un répertoire de la plupart des musiques électroacoustiques existantes sur CD (édités). Cela fait un total de 278 labels recensés. Cela a été possible grâce à la collaboration de Jean-François Denis (iMédia), et de l’INA-GRM. Parmi les 278, on en trouve 49 qui sont de vrais labels commerciaux, 15 qui sont des studios subventionnés, 15 des auto-productions, 7 sont produits par des associations professionnelles, 5 par des radios. Certains émanent de festivals, de concours de composition, de publications écrites (MusicWorks, Leonardo), d’universités, d’écoles, d’interprètes...
            Au cours de ce travail, un certain nombre de questions ont été soulevées. A la fin 1997, cela totalisait 3120 œuvres pour 1195 compositeurs (ce qui permet de prendre conscience que nous constituons après tout une grande famille). Dans ce catalogue, on trouve 2 catégories principales : des œuvres pour support, et des œuvres nécessitant pour la fixation sur disque la participation d’interprètes : environ 1785 et 1335 respectivement. Cela représente un très large panorama de la musique électroacoustique en termes d’esthétiques. Vient ensuite la question de la terminologie, qui est une question récurrente (il n’y a qu’à voir par exemple les débats sur la liste de diffusion internet Cecdiscuss) .
            La première question qui se pose est celle de la frontière devenue très floue entre les musiques populaires et celles qui ne le sont pas. Peut-être qu’une des définitions les plus larges serait la présence d’un “beat” ; mais il y a aussi une dimension improvisée qui est plus grande dans les musiques populaires, ainsi que la présence de collectifs, de groupes, ou encore d’individus qu’on retrouve dans différentes configurations, souvent sous des pseudonymes différents. Quand on les écoute, ces musiques n’ont généralement pas tellement de forme et sont plutôt des ambiances.
            Il a donc fallu établir une grille de genres, dans lesquels les CD sont classés suivant la pochette ainsi qu’en fonction d’une écoute partielle.
            L’électroacoustique est pris comme le terme le plus général.
            Nous avons établit trois niveaux de classification : instrumental, historique, et mode.
            Prenons un exemple : aujourd’hui, qu’est-ce que l’on peut appeler musique mixte ? Est-ce différent de la musique interactive ? On a donc défini cela comme une musique qui requiert la présence d’instrumentiste(s) jouant en relation avec une durée fixée sur support.
            Certaines distinctions se font en fonction de considérations historiques : c’est le cas de la musique concrète (Pierre Henry en est un exemple évident) et de la musique électronique (par exemple les œuvres produites à la WDR au début des années cinquante).
            Exemples d’autres genres : musique et texte, avec une distinction spéciale pour la poésie sonore qui est différente de l’électroacoustique, même si elle peut parfois en être proche ; création radiophonique, musique environnementale, musique à programme (la majorité des œuvres aujourd’hui sont classables dans la catégorie “à programme”) ; paysages sonores ; archives et documents sonores (par exemple une reconstitution des Rumori de Luigi Russolo), et enfin trois termes forgés par Annette Vande Gorne : électro-pop, électro-rock et électro-clip (ce dernier s’appliquant uniquement en fonction de la durée).
            Enfin, une dernière façon de classer serait la façon dont la musique est composée et imaginée.

            Deuxième intervenant, Joran Rudi (NOTAM, Oslo) indique que le son numérique n’a été largement disponible pour les compositeurs que depuis environ 8 ans, l’Internet depuis environ 5 ans : autrement dit, tout cela est très récent. Si l’on regarde vers le futur, on voit des nouveaux médias : tous numériques, ils permettent une représentation dans différents contextes et sont non-linéaires. Cela a des conséquences énormes sur la façon dont nous faisons et diffusons la musique. Recontextualisation : comme tout est en binaire, il est facile de combiner avec d’autres arts. Les dissertations à son école sont désormais toutes rendues sur des CD-ROM, combinant les textes, la musique et des images, comme par exemple une sur l’œuvre de Kaija Saariaho. Ils ont fait un programme à NOTAM pour l’apprentissage de la MEA, avec quelques exemples, des tests, une interface graphique comme un jeu, et que l’on peut prendre avec soi n’importe où : en classe, à la maison...
            On peut faire des vidéos obtenues par simple transfert de l’information audio-numérique (1 :  1, c’est à dire un report des données à l’identique).
            Changer le contexte revient à changer le contenu. On doit maintenant prendre en compte la technologie qui donne maintenant à chaque gosse la possibilité d’aller acheter à la boutique du coin une boîte qui permet des tas de manipulations et sonne plutôt bien.
            Donc quel est le contexte ? Se plaindre de ne pas être joué à la radio n’est pas la façon de s’en sortir. Il est optimiste pour le futur, car l’internet donne plus de possibilités à la musique électroacoustique qu’elle n’en a jamais eu. Quand les nouvelle technologies apparaissent, elles érodent les anciennes, mais il ne trouve pas cela mal... C’est vieux jeu d’attendre des institutions qu’elles produisent les CD !
            Il montre l’exemple d’un jeu musical fait par un groupe de plasticiens, assez simpliste, mais en fait l’ordinateur sur lequel il aurait pu le montrer véritablement et de façon plus convaincante ne peut pas fonctionner avec un clavier autrichien.

            Gabriele Proy ouvre la discussion en déclarant que la catégorisation d’Annette est très ambitieuse, mais risque d’être très vite obsolète... Elle considère qu’elle n’est peut-être pas assez dérivée des impressions auditives, et trop de la technique et des intentions créatives...
            Celles-ci ne sont que rarement décrites dans les textes de CD, réplique Annette ; certaines catégories pourront évoluer tandis que d’autres resteront.
            En tout cas, Gabriele Proy la félicite pour ce travail immense et important, qui aide à s’orienter. Le problème (qui existe dans toute musique) c’est que ce travail est fait après coup (c’est un travail musicologique) alors qu’il demanderait un recul d’environ 10 ans. La nouvelle génération de compositeurs ne peut trouver sa place dans cette catégorisation, car ils se situent simultanément dans plusieurs catégories : mixte, live, programmatique, interactif, algorithmique, électronique, etc.
            Folkmar Hein a fait lui aussi un catalogue, mais sans catégories. Il y inclut également les disques vinyles et refuse qu’on mette à la poubelle tous les enregistrements qui n’ont pas été transférés sur CD, car cela reviendrait à les rendre inexistants. Nous avons la responsabilité de les prendre en compte également. L’esthétique ne lui paraît pas importante (car ce n’est pas à nous de la juger, c’est la responsabilité des producteurs) mais c’est les faits qui doivent être mis en avant dans un classement.
            Pour Nicolas Vérin, sous l’étiquette générale d’ “art des sons”, on peut créer dans différents domaines, tels les artistes qui œuvrent dans le dessin, la peinture, la sculpture, le collage, etc. Ce qui lui paraît important à mettre en avant, ce sont plutôt des noms de personnalités, qui permettent de tirer l’ensemble de cette musique, de s’appuyer sur des individualités, des singularités... Il y a une certaine utopie à penser que quiconque doit pouvoir devenir créateur et que c’est une évolution logique de notre civilisation des loisirs ; cela a des limites. Par ailleurs il est très attaché à l’expérience collective du concert, qui est pour lui irremplaçable. Le CD est la plupart du temps un document ou un témoignage, qui permet de faire revivre les sensations éprouvées en concert (comme d’ailleurs avec la musique instrumentale). C’est une des raisons pour lesquelles internet ne peut tout résoudre : il ne peut y avoir de réelle écoute concentrée, intense et soutenue. Les équipements audio associés aux ordinateurs personnels sont généralement mauvais, il y a des tas de gênes domestiques, c’est un peu comme de voir un film de cinéma à la télévision.
            Wayne Siegel se demande pourquoi personne ne parle du Dolby surround, qui permet à partir d’un format stéréo codé (et compatible avec les équipements stéréo) d’avoir 6 pistes.
            Annette Vande Gorne : Varèse avait déjà dit que ce n’est pas la machine qui compte, mais ce que l’on fait avec...

 

Quatrième journée : Faire avancer la musique électroacoustique — production, éducation et développement. (Modérateur : Daniel Teruggi — INA-GRM)

            Folkmar Hein (Université Technique de Berlin) brosse un tableau de la situation en Allemagne : L’organisation en 16 Länder fait qu’il y a une certaine autonomie en matière d’éducation musicale ; ce sont les Länder qui fixent les programmes et la part obligatoire de la musique dans l’enseignement général. En pratique cela dépend beaucoup des possibilités financières et de réalités individuelles et organisationnelles. Pour ce qui est de la musique électroacoustique, il est impossible de savoir ce qu’il en est exactement.
            C’est le gouvernement fédéral qui est chargé de ce qui concerne la musique savante contemporaine. Cela résulte en une variété de centres d’intérêts et de manifestations. L’enseignement professionnel dépend d’institutions contrôlées par l’État, principalement des collèges de musique et des conservatoires. 23 collèges de musique (financés par l’État) et 44 conservatoires (financés par les municipalités), ainsi que des institutions privées. La musique électroacoustique est un cursus enseigné à Freiburg, (Institute für Neue Musik) par Mike Waschka, à Stuttgart (Folkwang-Hochschule) par Dirk Reith, à Cologne par M. Humpert, à Dresde par M. Jensch et à Weimar, qui a ouvert ce cours l’an dernier, par Robin Lina.  On peut l’étudier aussi de façon moins formelle à la Hochschule für Musik de Berlin avec Hanns Eisler, ainsi qu’à Francfort-sur-le-Main et Munich. On peut aussi parfois étudier la musique électroacoustique dans le cadre d’études pédagogiques, notamment à Osnabrück, Oldenburg, Hambourg, Brême, Karlsruhe, Cologne et à Berlin (Humboldt et Université Technique). Enfin dans le cadre de la musicologie, nous pouvons mentionner comme portant un intérêt particulier à l’électroacoustique Karlsruhe, avec Rudolf Frisius, l’Université Technique de Berlin avec De la Motte, et l’Université Humboldt de Berlin avec M. Auhagen.
            En général, on peut dire que l’électroacoustique est peu présente dans l’enseignement, ce qui peut expliquer que l’Allemagne paraît si rétrograde dans cette matière.
            Par ailleurs, il existe un nombre de festivals réguliers, d’ateliers, de foires, etc. qui comprennent une part d’électroacoustique, et dont la plupart sont bien connus. C’est cela le véritable cœur de la musique électroacoustique en Allemagne.
            Folkmar Hein montre une liste de studios publics, une soixantaine, ainsi que quelques studios privés. Il s’interroge ensuite sur le paradoxe que peu d’élèves compositeurs s’intéressent vraiment à l’électroacoustique. Est-il vraiment nécessaire de les sélectionner en fonction de critères traditionnels (formation musicale, pratique du clavier), ou est-ce que cela n’élimine pas ceux qui seraient plus impliqués et aptes à maîtriser l’ordinateur par exemple ?

            Laura Bianchini (Centro di Ricerche Musicale, Rome) série trois axes indissociables d’évolution de la musique électroacoustique.

1.         Production musicale. Les problèmes principaux sont :
            Le temps alloué à chaque production, qui est généralement trop bref, après une initiation sommaire aux spécificités des divers studios, ne laissant ainsi aucun temps pour la recherche et l’expérimentation
            La compatibilité des systèmes entre les différents studios, qui rend difficile aux compositeurs de tirer le meilleur parti de ce qu’ils connaissent, car ils doivent constamment s’adapter à de nouveaux systèmes
            La mise en œuvre des systèmes commerciaux, qui limite les possibilités de recherche et d’exploration et tend à une uniformisation.
            Elle suggère la création d’une organisation qui coordonne les studios au niveau européen et qui puisse fournir des réponses à ces questions, et être un véhicule d’échange des compétences.

2.         Éducation :
            Actuellement, l’enseignement de la musique électroacoustique en Italie se fait dans les Conservatoires. Les classes d’électroacoustiques sont généralement des cours avancés de composition, accessibles après avoir terminé ses études instrumentales ou le cours moyen de composition. Ils sont donnés par un seul professeur, mais il faudrait en fait avoir toujours au moins deux professeurs différents : l’un se concentrant sur la musique (analyse, composition, interprétation) et l’autre l’aspect technique (acoustique, informatique).>

3.         Processus de développement :
            Le développement et la réelle originalité de la musique ne peuvent être garantis que par la recherche. Souvent les moyens sont inventés spécifiquement pour la musique électroacoustique, comme c’était le cas dans les années 50 et aussi 60 et 70, lorsque les premiers ordinateurs ont été employés. Par contre la dissémination de systèmes commerciaux spécialisés à bas coût mais fermés, si elle a résolu certaines difficultés logistiques, a entraîné une tendance à appauvrir la qualité de la production, à répandre l’illusion qu’il n’est pas nécessaire d’avoir des compétences particulières pour utiliser ces “instruments”. Elle a aussi popularisé l’idée que l’électronique, particulièrement lorsqu’elle est utilisé en direct, peut fournir des éléments décoratifs ajoutés à la composition, mais qui ne sont plus essentiels à l’expression artistique.
            Le compositeur doit avoir une connaissance et une maîtrise de ses “outils de travail”, de la même façon que le compositeur du passé maîtrisait le contrepoint.

            La discussion est ouverte par Tamasz Ungvary, qui exprime son pessimisme.
Pour Harry-Ed Roland, le futur peut être grandiose : on peut faire des trucs géniaux avec peu de matériel et même si celui-ci est obsolète.
            Mais, souligne Folkmar Hein, il y a dans l’éducation une responsabilité qui va au-delà des choix personnels.
            Harry-Ed Roland suggère un système d’échange pour qu’on puisse aller d’un studio personnel à l’autre ici où là, afin de profiter des avantages respectifs de tel ou tel équipement. On inviterait ensuite en retour les autres chez soi. Il ne faut surtout pas jeter les vieux systèmes, qui peuvent s’avérer irremplaçables ! Ce système de réseau de solidarité permettrait à chacun de travailler sans avoir besoin de posséder plus qu’un équipement minimal.
            Daniel Teruggi précise que, contrairement à ce qu’on peut généralement penser, les studios institutionnels sont en fait pauvres. Il ne faut surtout pas croire que tout cela leur est donné facilement.
            Selon Gabriele Proy, ce n’est pas la technique qui est importante, mais l’esthétique et les facultés musicales personnelles.
            Wayne Siegel a un assistant qui n’est pas compositeur mais passe son temps à être à l’affût des nouveautés, à tester divers logiciels, surfer sur internet à la recherche d’informations. C’est une fonction très utile et irremplaçable des institutions.
            Paul Pignon rappelle que l’attrait pour la technologie compte aussi dans les motivations, bien que cela n’ait jamais été mentionné auparavant dans la conférence.
            Jonty Harrison parle du Royaume Uni, où il y a maintenant trois fois plus de studios dans les Universités qu’il y a dix ans. L’électroacoustique a été complètement reconnue comme discipline académique, et le nombre d’étudiants qui veulent s’y inscrire est six fois supérieur au nombre de places disponibles.
            Éléna Gantchikova décrit la situation en Russie, où tout marche à l’envers. Ils ont de très gros problèmes, mais elle fait une émission sur la radio nationale à propos de la musique contemporaine et électroacoustique grâce aux subventions d’État. Elle peut faire ce qu’elle veut, mais ne peut diffuser une pièce plus d’une fois, et donc c’est impossible de faire connaître vraiment les œuvres.
            La conclusion du colloque revient à Daniel Teruggi : il pointe la grande diversité entre compositeurs et chercheurs universitaires. Les débats étaient toujours assez éloignés des thèmes des présentations, mais cela témoigne de la richesse des réflexions et des apports. Ne croyons pas en tout cas que c’est la fin de l’âge d’or de la musique électroacoustique. En effet il n’y a jamais eu d’âge d’or et cela a toujours été une lutte, car dans le fond personne d’autre que nous, les compositeurs,  ne se préoccupe de la vie de cet art.

4.         La participation d’Ars Sonora

            Une sélection a été établie par Ars Sonora pour représenter la France au Festival Elektrokomplex. Un comité a été constitué d’urgence pour cela, composé de Régis Renouard Larivière, Christine Groult et moi-même. Le premier critère de sélection a été d’être membre (à titre individuel et à jour de cotisation) d’Ars Sonora ; nous avons ensuite écouté les œuvres que nous avons pu nous procurer dans un laps de temps très court. La sélection a alors été envoyée à Vienne. Il est apparu après qu’en fait les organisateurs s’étaient réservé le droit de choisir, afin (en théorie) de trouver une cohérence artistique à chaque concert pour éviter de faire des concerts monolithiques par pays. L’intention était louable, mais la procédure a été quelque peu confuse. D’autre part, de nombreuses propositions étaient parvenues par d’autres canaux. Pour finir, toutes les pièces sélectionnées par Ars Sonora, soit celles de Bertrand Dubedout, Gilles Grand, Jacqueline Ozanne, Brigitte Robindoré, Benjamin Thigpen et de moi-même ont pu être programmées, mais seule la mienne l’a été dans un concert de la maison de la radio. Ce choix a été fait par les organisateurs, et tient principalement au fait qu’ils donnaient priorité aux compositeurs qui venaient à Vienne.

            Nous pensons clarifier cette procédure de sélection dans le futur, car NICE, comme il a été dit ci-dessus, va essayer d’organiser des concerts chaque année à l’occasion de son AG.

            A Vienne, j’ai donc diffusé les œuvres de la sélection Ars Sonora dans le contexte Kino für das Ohr. Tout d’abord, j’ai ouvert l’après-midi de la première séance le mardi 1er juillet, dans la cour du MICA (l’équivalent autrichien du CDMC) sur un système de huit haut-parleurs Tannoy, en diffusant Quinze, de Gilles Grand, Dedans, de haut, de Jacqueline Ozanne, Territoires, de Bertrand Dubedout et L’enfant et le phénix de Brigitte Robindoré. Un programme avait pu être réalisé et distribué aux personnes présentes. J’ai ensuite diffusé le jeudi 3 juillet en huit pistes et sur ces mêmes huit haut-parleurs la pièce de Benjamin Thigpen, ... step... under...  à l’Alte Schmiede — un autre lieu où avaient émigré entre temps ces séances de “cinéma pour l’oreille”. Cette fois il n’y avait pas de programme écrit et j’ai présenté oralement la pièce ainsi que l’association Ars Sonora.

5.         Programmes des concerts au Radio Kulturhaus — ORF

Mercredi 1er juillet 1998, 19h30 : Concert I
En cuerdas (11’49, acousmatique), Francis Dhomont (F/CND)
CAN (12’20, acousmatique), Andrew Lewis (GB)
Elementa/Terra (7’, acousmatique), Jean-Claude Risset (F)
Vox alia (14’30, acousmatique), Annette Vande Gorne (B)
Back to reason (2’34, film et acousmatique), Todor Todoroff (B)
Junky (14’30, acousmatique), Adrian Moore (GB)

Mercredi 1er juillet 1998, 21h : Concert II
Reflets/Vitesse (7’20, film et acousmatique), Todor Todoroff (B)
Unsound Object (13’, acousmatique), Jonty Harrison (GB)
Amaryllis (13’40, acousmatique), Ingrid Drese (B)
Season of mists (12’30, acousmatique), Robert Dow (GB)
Fugitives voix (16’, acousmatique), Daniel Teruggi (Arg./F)

Jeudi 2 juillet 1998, 19h30 : Concert III
Orgel spiele (10’, orgue et bande), Lothar Voigtländer (D)
Righteous Thumba (10’20, acousmatique), Lelio Camillieri (I)
Annazone II (8’49, acousmatique), Leo Kupper (B)
Praying (13’, électronique live ), Vladimir Djambazov (Bulg.)
Apsara (16’, acousmatique), François Donato (F)
Étude concrète (1’13, acousmatique), Karlheinz Stockhausen (D)

Jeudi 2 juillet 1998, 21h : Concert IV
Patjan (13’, percussion et bande), Magdalena Dlugosz (Pol.)
Daisy chains (16’, acousmatique), Laurenz Kagenaar (Pays-Bas)
Desintegration (13’18, acousmatique), Wouter Snoei (Pays-Bas)
Zungenentwurzeln (5’33, acousmatique ), Richard Barrett (GB)
Pièce électronique 3 (2’04, acousmatique), György Ligeti (Hong./A/D)
Kolom (10’, orgue et bande), Ton Bruynèl (Pays-Bas)

Vendredi 3 juillet 1998, 19h30 : Concert V
Concrete Net (10’, vidéo et acousmatique), Joran Rudi (Norv.)
Li Shin Chuen (9’, acousmatique), Paulina Sundin (Suède)
Allegro ma non troppo (13’02, acousmatique), Unsuk Chin (Chine/D)
Dissequentia (8’23, acousmatique), Agostino Di Scipio (I)
Sparar (9’48, acousmatique), Anders Blomquist (Suède)
Präludium (10’20, orgue et bande), Tamas Ungvary (Hongr./Suède/A)

Vendredi 3 juillet 1998, 21h : Concert VI
Les pas intérieurs (11’10, acousmatique), André Ruschkowski (D/A)
Main! Waves (4’30, acousmatique et arco-piano live), Andreas Weixler (A)
Cral’une (4’52, acousmatique), Ralf Ollertz (D)
Fliessen in sich (5’20, acousmatique), Günther Zechberger (A)
Lizard point (18’50, acousmatique), Ludger Brümmer (D)
Der Schädliche Raum — Klang Raum III (7’48, bande et installation microphonique), Igor Lintz-Maues (Brésil/A)
Improvisation (10’, pour contrebasse, piano et SensOrg), Adelhard Roidinger (A), Georg Weidinger (A) et Tamas Ungvary (H/S/A)

Samedi 4 juillet 1998, 19h30 : Concert VII
Empty Vessels (15’, acousmatique), Denis Smalley (NZ/GB)
Im selben raum (5’18, acousmatique), Gary Berger (CH)
Shades (6’30, violon et bande), István Szigeti (Hongr.)
Studie 6 (8’33, acousmatique), Martin Neukom Eckert (CH)
Compositions ornithologiques (sél.) (16’, acousmatique), Bernard Fort (F)
Aux mains de l’espace (14’52, acousmatique), Gerald Eckert (Pays-Bas)
Short story (10’, pour violon et bande), Miklós Sugár (Hongr.)

Samedi 4 juillet 1998, 21h : Concert VIII
Water Lilies (10’, clarinette, danse et live electronics), Burton Beerman (USA)
Samoûm (16’, acousmatique), Nicolas Vérin (F)
Extrémités lointaines (16’20, acousmatique), Hans Tutschku (D/F)
Saphirs, sillons, silences (18’05, acousmatique), Christian Zanési (F)

            Les concerts avaient lieu dans un auditorium, qui bien que sensiblement plus petit et plus rectangulaire, ressemblait assez curieusement à l’Auditorium Olivier Messiaen (ex-Studio 104) de la Maison de Radio-France à Paris. L’orgue, les gradins du plateau en bois, et bien sûr l’Acousmonium du GRM contribuaient largement à cette impression, malgré l’absence de balcon et surtout l’étroitesse de la salle. Cette dernière constituait pour des concerts électroacoustiques le défaut majeur, empêchant d’avoir de véritables côtés, et créant ainsi un trou assez difficile à combler entre l’avant et l’arrière. Mais à ce détail près, on peut dire que les conditions étaient excellentes.
            Ces concerts — et plus encore si l’on y inclut les séances de Kino für das Ohr (dont je n’ai pas pu avoir le programme complet) — ont permit de présenter un panorama extrêmement large de la production électroacoustique actuelle. Si pour ma part, comme sans doute la plupart des auditeurs chacun à sa manière, je n’ai pu apprécier qu’une partie des œuvres jouées, cela est finalement normal pour des musiques toutes très récentes. En outre, il est clair que des musiques très différentes de celles que l’on connaît, surtout lorsqu’on en découvre tant en si peu de temps, sont rarement accessibles à une première écoute. Il me paraît donc inévitable dans un tel contexte de n’être sensible qu’à un certain nombre d’œuvres.
            On peut distinguer une ligne de séparation, floue mais qui semble tout de même subsister, entre les musiques issues de la tradition concrète et celle venant de la tradition électronique. En caricaturant, on pourrait tracer cette ligne entre les pays latins et les pays anglo-saxons, entre des musiques poétiques et des musiques de processus, entre une attention donnée plutôt au matériau ou plutôt à la structure. Toutefois une constante se dégage : les œuvres ainsi que les notes de programme mettent en évidence la focalisation sur la musique elle-même, sur des idées soit poétiques soit extra-musicales. La réalisation technique n’est que rarement mise en avant et se contente d’être au service du projet artistique.
            On constate aussi, et là de façon quasi-universelle, un développement de l’intérêt pour la spatialisation, avec deux axes : la projection sonore sur acousmonium (ou plus largement sur un orchestre constitué de haut-parleurs nombreux et variés), ou l’inscription sur multipiste des emplacements et des mouvements, avec une correspondance fixe entre pistes et haut-parleurs. La première méthode, reste plus répandue chez les latins et basée généralement sur des supports deux pistes, tandis que la deuxième est de plus en plus la norme ailleurs. Cela dit, les deux ne sont pas forcément incompatibles à mon avis. Le huit pistes numérique au format ADAT semble toutefois s’imposer comme un standard dans les deux écoles, et il conviendra de suivre attentivement l’évolution en cours.
            Saluons l'initiative du GEM et le travail considérable accompli, qui nous l'espérons aura des suites.