La spectromorphologie.

Une explication des formes du son

par Denis Smalley

 

 

            Traduction de Suzanne Leblanc et Louise Poissant, révisée par Daniel Charles. Première parution dans Esthétique des arts médiatiques, tome 2, sous la direction de Louise Poissant, 1995, Collection Esthétique, Presses de l’Université du Québec, Sainte-Foy, Québec.

            Nous remercions ici Louise Poissant et Nicole Harvey du Groupe de Recherche en Arts médiatiques : GRAM, Département d’arts plastiques, Université du Québec à Montréal, C.P. 8888, succ. Centre-Ville, Montréal (Québec) Canada H3C 3P8, tél. 514 987 3000 poste 8237, télécopie 514 987 4651, courrier électronique : gram@er.uquam.ca. Coordonnées de l’éditeur : Presse de l’Université du Québec, 2875, bd. Laurier, Sainte-Foy (Québec) Canada G1V 2M3, tél. 418 657 4399, télécopie 418 657 2096, courrier électronique : secretariat@puq.uquebec.ca. A noter que Louise Poissant vient par ailleurs de diriger une autre publication, le Dictionnaire des arts médiatiques.

 

Introduction

L’art de la musique ne se contente plus désormais d’emprunter ses modèles sonores aux instruments et aux voix. La musique électroacoustique donne accès à tous les sons, à un éventail sonore déconcertant qui s’étend du réel au surréel et même au-delà. Pour les auditeurs, les liens traditionnels avec la production physique du son se trouvent fréquemment rompus : souvent, les formes sonores et les propriétés électroacoustiques n’indiquent pas leurs sources ni leurs causes. C’en est fini des articulations familières des instruments et de l’expression vocale ; c’en est fini de la stabilité de la note et de l’intervalle ; c’en est fini aussi de la référence au temps et à la mesure. Les compositeurs ont également des problèmes : Comment frayer un chemin esthétique et découvrir une stabilité dans un monde sonore grand ouvert ? Comment développer des méthodes appropriées de production de son ? Comment sélectionner les technologies et le software ?

Comment allons-nous expliquer et comprendre la musique électroacoustique ? La musique ne se crée pas à partir de rien. Si un groupe d’auditeurs trouve une pièce de musique électroacoustique « gratifiante », c’est parce qu’il y a, à la fois à l’intérieur et derrière cette musique, une base d’expérience partagée. Nous avons besoin de pouvoir discuter des expériences musicales, de décrire les caractéristiques de ce que nous entendons et d’expliquer comment elles fonctionnent dans le contexte de la musique.

Définitions et contextes

J’ai développé les concepts et la terminologie de la spectromorphologie 1) à titre d’outils pour décrire et analyser l’expérience auditive. Les deux parties du mot renvoient à l’interaction entre les spectres sonores (spectro) et les façons dont ils changent et se configurent à travers le temps (morphologie). La spectro- ne peut exister sans la -morphologie et vice versa : quelque chose doit recevoir une forme, et cette forme doit avoir un contenu sonore. Bien que le contenu spectral et la forme temporelle soient indissolublement liés, nous avons conceptuellement besoin de les séparer dans le discours : nous ne pouvons pas du même souffle décrire ce qui est formé et les formes elles-mêmes. Le vocable peut sembler du jargon et c’est peut-être une expression maladroite, mais je ne suis pas arrivé à trouver un autre mot pour résumer de façon aussi précise l’interaction des composantes en présence. Chaque composante du terme appartient à d’autres disciplines (visuelle, linguistique, biologique, géologique), mais convient tout à fait puisque l’expérience musicale irradie à travers ces disciplines. Il reste que la combinaison est unique : en musique, on a souvent besoin de mots nouveaux pour définir certains phénomènes sonores spécifiques.

Une approche spectromorphologique présente les modèles et les processus spectraux et morphologiques, et fournit un cadre permettant de comprendre les relations et les comportements structuraux perçus dans le flux temporel de la musique.

La relation avec la méthode de composition

La spectromorphologie n’est pas une théorie ni une méthode de composition mais un instrument de description reposant sur la perception auditive. Son objectif est de servir d’aide à l’écoute, ainsi qu’à l’explication de ce que plus de quatre décennies de répertoire électroacoustique ont donné à entendre. La façon dont les compositeurs conçoivent le contenu et la forme musicale (leurs objectifs, leurs modèles, leurs systèmes, leurs techniques et leurs plans structuraux) ne correspond pas à ce que les auditeurs perçoivent de la même musique. Ce que le compositeur a à dire (dans ses notes de programme, ses conférences, ses feuilles) n’est pas sans importance et cela influence sans aucun doute (à la fois comme une aide et comme un empêchement) l’évaluation que fait l’auditeur de la musique et des idées musicales, mais cela ne se révèle pas toujours informatif ou pertinent sur le plan de la perception.

Bien que la spectromorphologie ne soit pas une théorie de la composition, elle peut influencer les méthodes de composition puisque la conscience que prend le compositeur des concepts et des mots qui servent au diagnostic et à la description est susceptible d’affecter sa pensée créatrice, ainsi que cela s’est produit, j’en suis certain, dans mon propre travail de composition. Au sein d’un univers sonore dont l’ouverture ne peut que dérouter, les compositeurs ont besoin de critères pour sélectionner des matériaux sonores et comprendre leurs relations structurales ; aussi les outils descriptifs et conceptuels qui classifient et relient sons et structures sont-ils à même de leur apporter un appui précieux. La conscience spectromorphologique peut dès lors servir le processus compositionnel ; mais elle ne produira pas nécessairement pour autant un meilleur compositeur. Les idées spectromorphologiques, même si elles peuvent aider les auditeurs à se concentrer sur l’imagination et le savoir-faire du compositeur, n’aideront pas ce dernier à devenir plus imaginatif et à améliorer son art.

À propos des partitions et des sonagrammes

Il existe en musique électroacoustique trois types de partitions qui pourraient contenir de l’information perceptuellement pertinente. Le premier type, destiné à un interprète (dans les œuvres mixtes ou dans la musique électronique vivante), peut comporter des transcriptions graphiques de matériel acousmatique. Le deuxième type, plus rare, est la partition résultante, qui se caractérise habituellement par un certain degré de technicité, et qui sert à consigner la façon dont une œuvre a été réalisée. Elle offre une certaine représentation du contenu et de la forme, mais sans grande garantie de correspondance avec l’audition. Les plans formels élaborés par les compositeurs (à leur usage personnel ?) et l’ensemble des représentations du même genre s’inscrivent dans cette catégorie. Le troisième type est la partition de diffusion d’une œuvre acousmatique, qui consiste le plus souvent en une représentation graphique libre et sommaire du contexte sonore, produite principalement comme aide-mémoire et pour le minutage en vue de la diffusion d’une œuvre en concert. Ce troisième type de partition, de même que toute transcription de matériel acousmatique en une partition du premier type, comporte généralement de l’information spectromorphologique : on attribue aux événements et aux textures des configurations dont la dimension verticale représente l’espace spectral, alors que le plan horizontal dénote le changement à travers le temps. Ces partitions de transcription donnent généralement, à tout le moins, une idée des grandes lignes structurales, et elles peuvent être auditivement intéressantes dès lors que le transcripteur choisit de représenter certains critères plutôt que d’autres. D’un autre côté, on risque de n’avoir pas affaire à un choix libre et réfléchi, puisque la transcription se fait souvent à toute vitesse et spontanément, et qu’elle se borne à restituer ce qui se laisse aisément retracer sur un papier, en deux dimensions. Une telle partition sert un but particulier et ne requiert que ce qu’il faut de précision pour sa tâche ; une liste de minutages pourrait tout aussi bien faire l’affaire. On utilise parfois la partition de transcription, ou l’une de ses versions plus réfléchies, plus développées, comme aide pour l’écoute.

Le sonagramme est une analyse spectrale graphique faite par ordinateur et dont on a considéré qu’elle résoudrait le problème de la représentation visuelle de la musique électroacoustique. J’y vois pour ma part une aide fort précieuse plutôt qu’une solution. Un sonagramme est une sorte d’analyse spectrale littérale effectuée à un degré déterminé de définition visuelle : à un degré de définition trop élevé, le détail se perd dans une masse confuse ; à un degré de définition trop bas, il n’y a pas suffisamment de détails. Mais un sonagramme n’est pas une représentation de la musique telle que l’oreille humaine l’a perçue —  il est en un sens trop objectif. Ses formes doivent dès lors être interprétées et réduites à l’essentiel sur le plan perceptuel. En d’autres termes, quelqu’un doit décider de ce qui est à retenir et à écarter de la représentation ; et, plus particulièrement, il faut tâcher de déterminer quelle quantité de détails il est pertinent d’introduire pour l’auditeur attentif. Cette question de la quantité de détails constitue un problème pour l’analyste puisque les enregistrements (CD) autorisent une écoute répétée des passages les plus brefs d’une œuvre, ce qui permet de découvrir beaucoup plus de détails qu’il n’est possible d’en entendre dans le flot normal de la musique. Qu’est-ce qui est trop et qu’est-ce qui n’est pas assez ? Il n’existe pas de façon objective d’arriver à une représentation spectromorphologique visuelle ; il faut seulement souhaiter que l’analyste devienne assez conscient du caractère subjectif de la prise de décision et des « lectures » alternatives ; du moins est-ce ainsi que cela devrait être.

Sans aucun doute, la préparation d’une transcription graphique d’une spectromorphologie complète et significative est une tâche ennuyeuse à cause des problèmes de transcription, ainsi que du caractère fastidieux de la besogne elle-même. Quant au sonagramme, il comporte des options difficiles et longues. Si l’on considère la minutie requise, il n’est pas étonnant que les analyses exhaustives soient peu nombreuses. Des problèmes de représentation se combinant avec le manque d’instruments analytiques cohérents, complets et assez universellement applicables ont indubitablement freiné l’acceptation de la musique électroacoustique dans les cercles plus intellectuels, musicologiques. Nous devons cependant être prudents. Il ne faut pas faire trop confiance aux représentations écrites : en effet, l’écriture fige le flux temporel ; il s’agit d’un dispositif qui permet de compenser la nature passagère et sélective d’une mémoire et d’une attention auditives imprévisibles durant le flot sonore de la musique. La force de la musique électroacoustique réside dans le fait que, à la différence de la musique occidentale traditionnelle, elle ne se laisse pas si facilement réduire à un système de notation. Elle conjure par là le risque de considérer l’écriture musicale comme une entité séparée, un substitut pour l’expérience perceptuelle. De ce point de vue, la musique électroacoustique a davantage en commun avec les musiques de transmission orale qu’avec l’héritage de l’art musical occidental.

Une partition constitue-t-elle une aide obligatoire à la description et à l’analyse spectromorphologiques ? Certes, pour l’analyste, une certaine représentation est nécessaire, mais ce qui détermine ce qu’elle devrait être n’est autre que la finalité de l’analyse elle-même, laquelle peut viser soit quelque chose d’exhaustif et de détaillé, soit seulement un aspect particulier de la musique. Tout, depuis le diagramme (qui représente quelques-uns des critères introduits dans cet article) jusqu’à la représentation graphique, peut convenir, en y ajoutant des illustrations sonores. Pour d’autres types d’auditeurs toutefois, quelques outils conceptuels suffiront pour amorcer une discussion intéressante.

Ignorer la technologie

Selon la pensée spectromorphologique, on doit s’efforcer d’ignorer la technologie informatique et électroacoustique utilisée dans la fabrication de la musique. Abdiquer le désir naturel de découvrir les mystères de la fabrication du son électroacoustique est un sacrifice difficile, mais à la fois logique et nécessaire. Si le désir de connaître paraît naturel, c’est que, traditionnellement, toutes les cultures ont acquis, à partir d’une observation visuelle et d’une écoute continues, un savoir considérable sur la manière dont les sons sont construits. Une fois que nous sommes en mesure de saisir la relation existant entre le corps sonore et la cause du son, nous sentons que nous en sommes arrivés à une certaine compréhension : la connaissance intuitive du geste humain impliqué est inextricablement liée à notre connaissance de la musique comme activité.

La composition musicale électroacoustique, sous ses espèces acousmatiques, ne relève pas du même type d’activité. Un événement ou une texture sonores, dans leur apparence finie, sont rarement le résultat d’un geste physique singulier, quasi instrumental, en temps réel. Il se peut qu’il n’y ait aucun corps sonore en cause, ni aucune action causale auditivement identifiable dont on puisse présumer qu’elle est responsable de la production du son. L’information concernant la méthode de synthèse, le programme informatique, l’appareil de traitement, etc., ne saurait se substituer à la connaissance de l’interaction source—cause : les « routines gestuelles » du processus acousmatique de composition n’apportent pas une information perceptuelle qui équivaudrait à une connaissance intuitive des gestes physiques de la production traditionnelle du son. Dans la musique traditionnelle, la production et la perception du son se trouvent entremêlées alors qu’en musique électroacoustique, elles n’ont souvent aucune connexion. Ce n’est pas que le geste, les sources et les causes soient dénués d’importance en musique électroacoustique. Au contraire, comme nous allons le découvrir, ils sont très importants.

Le compositeur ou d’autres auditeurs qui connaissent la technologie et les techniques ne peuvent aisément écarter un mode particulier d’écoute que j’appelle écoute technologique. L’écoute technologique se produit quand un auditeur « perçoit » la technologie ou la technique située derrière la musique plutôt que la musique elle-même, au point, parfois, de bloquer la véritable signification musicale. Plusieurs méthodes et dispositifs imposent facilement leurs caractères et clichés spectromorphologiques propres sur la musique. Idéalement, la technologie devrait être transparente ou, à tout le moins, la composition musicale devrait faire valoir ses qualités d’invention et permettre de dépasser la tendance à écouter d’abord d’une façon technologique. Il est difficile pour le compositeur d’adopter une oreille spectromorphologique « plus pure », qui ne soit pas entachée par l’écoute technologique, quand il y a tellement de préoccupations techniques qui interfèrent avec le courant créatif, obscurcissant le jugement perceptuel.

La pensée spectromorphologique repose sur des critères qui sont potentiellement saisissables par tous les auditeurs. Mais dans la musique électroacoustique, la connaissance technologique ne peut s’intégrer dans aucune méthode fondée sur un consensus perceptuel, en raison de la séparation entre l’acte de production et la perception du son, difficultés auxquelles s’ajoutent la spécialisation, la prolifération et le caractère transitoire des méthodes et des dispositifs.

Quelles musiques ?

J’ai conçu la pensée spectromorphologique comme étant applicable à une grande variété de musiques électroacoustiques, traversant les frontières nationales et les styles individuels. Elle a cependant été conçue pour rendre compte de divers types de musique électroacoustique comportant des caractéristiques spectrales plutôt que des notes réelles ; jouant avec des variétés de mouvement et des fluctuations mobiles dans le temps plutôt qu’avec le temps métrique ; s’intéressant à exploiter des sons dont les sources et les causes sont relativement mystérieuses ou ambiguës plutôt que clairement identifiables. La spectromorphologie n’est cependant pas tellement utile pour une musique électroacoustique se fondant sur la note ou respectant la métrique traditionnelle. Certes, les notes et les intervalles sont souvent très importants en musique électroacoustique même s’ils sont enfouis secrètement dans la trame. Dans de tels cas, une connaissance de la tradition et de la signification tonales dans la culture (occidentale ?) sera également requise comme aide à la description.

La pensée spectromorphologique s’intéresse principalement à la musique qui est partiellement ou totalement acousmatique, c’est-à-dire à la musique dans laquelle (lors d’une performance en direct) les sources et les causes des sons sont invisibles — une musique pour haut-parleurs seulement ou une musique qui mélange l’exécution en direct avec un élément acousmatique de type haut-parleur 2). Toutefois, ce qui est et ce qui n’est pas acousmatique n’est pas nettement délimité, puisque même la musique qui fait intervenir des exécutants en direct peut devenir acousmatique si l’auditeur ne parvient pas à relier les sons entendus à l’activité physique observable qui est censée les produire. Cela peut arriver au cours d’une exécution de musique électronique vivante et constitue une catégorie de musique que j’appelle musique acousmatique en direct. La distinction entre ce qui est acousmatique et ce qui ne l’est pas devient encore plus floue dans un enregistrement CD, où tout devient invisible.

On peut aussi aborder de façon spectromorphologique une certaine musique instrumentale contemporaine — par exemple la musique de Xenakis et de compositeurs plus jeunes comme Grisey, Saariaho, Murail, Dillon, entre autres, qui s’intéressent à la complexité spectrale et texturale. Dans cette musique, chaque instrument perd son identité propre parce que l’orchestre est « resynthétisé » dans une espèce d’hyperinstrument spectromorphologique. On a beau reconnaître par moments un instrument, il est certain cependant que l’on oublie chacun des gestes-notes singuliers dans la mesure où ces événements singuliers se retrouvent subsumés sous le flot et les mouvements d’ensemble. Même si cette musique est représentée et exécutée à partir d’une écriture musicale, la partition elle-même fournit qu’une représentation très inadéquate des caractéristiques perceptuelles. Une approche auditive qui traite les enregistrements de telles œuvres comme s’il s’agissait d’une œuvre acousmatique sur bande se révèle souvent beaucoup plus fructueuse.

Une approche spectromorphologique ne peut traiter adéquatement une musique électroacoustique très fortement anecdotique ou programma­tique, c’est-à-dire une musique qui emploie une très large palette de réfé­rences sonores d’enregistrements d’événements et de comportements culturels, de citations musicales et de pastiches, etc. Dans ce type de mu­sique électroacoustique, la signification est étroitement liée à la reconnais­sance des sources, à leur identification, à la connaissance de leur contexte d’origine et à la réinterprétation de leur signification dans le nouveau contexte musical. Une telle musique est dès lors « transcontextuelle » ou « intertextuelle ». Une grande partie de la musique acousmatique se pro­mène à travers des matériaux transcontextuels et émet des propositions transcontextuelles ambiguës ; les sons provenant de la nature, des éléments et de l’environnement sont particulièrement répandus. Plus souvent qu’au­trement, on mélange des éléments spectromorphologiques et transcontex­tuels. Les traits spectromorphologiques aident souvent à caractériser le pouvoir d’un message transcontextuel.

Fils intrinsèques –  fils extrinsèques

La spectromorphologie se focalise sur les caractéristiques intrinsèques, c’est-à-dire qu’elle aide à décrire les événements sonores et leurs interrelations tels qu’ils existent à l’intérieur d’une pièce musicale. Une pièce musicale n’est cependant pas un artefact autonome et fermé : elle ne renvoie pas seulement à elle-même mais table sur un registre d’expériences à l’extérieur du contexte de l’œuvre. La musique est une construction culturelle, et son fondement extrinsèque dans la culture est nécessaire pour que l’intrinsèque prenne sens. Intrinsèque et extrinsèque sont en interaction 3).

Dans la musique transcontextuelle, les caractères et relations intrinsèques créés par le compositeur déterminent l’impact des messages extrinsèques. Mais il y a une sorte de transcontextualité qui traverse la musique électroacoustique, bien qu’elle n’appartienne pas aux variétés intentionnellement encodées qui, dans les authentiques trans-contextes, reposent si fortement sur l’identification des sources. Le monde sonore de la musique électroacoustique est grand ouvert, et incite à imaginer des connexions extrinsèques originales grâce à la variété et à l’ambiguïté de ses matériaux, grâce aux liens qu’il entretient avec la mouvance d’énergies spectrales colorées, grâce à la prédominance de l’acousmatique ainsi qu’à l’exploration de la perspective spatiale. La différence de degré dans l’identification est notable, selon que l’on affirme d’une texture : 1) « Ce sont des pierres qui tombent » ou bien 2) « Cela sonne comme des pierres qui tombent » ou encore 3) « Cela sonne comme si cela se comportait comme des pierres qui tombent ». Les trois énoncés font état de connexions extrinsèques, mais selon des étapes croissantes d’incertitude et d’éloignement de la réalité.

Si un auditeur, élaborant l’un ou l’autre des énoncés 2) ou 3), en vient à développer les propriétés et caractéristiques de la texture à partir de son écoute dans le contexte musical, alors son attention, parce qu’elle se détourne du premier niveau extrinsèque et porte sur des traits intrinsèques précis, s’aventure plus profondément dans une expérience musicale unique. C’est alors que l’auditeur commence à s’engager dans la spectromorphologie.

Les traits extrinsèques et intrinsèques du genre « comme si » ne se réfèrent pas seulement à l’expérience du son. Des liens extrinsèques non sonores peuvent également se faire jour en se fondant soit sur l’expérience des mouvements physiques (voir la section sur le geste), soit sur le contact avec l’environnement. La spectromorphologie s’intéresse ainsi à des processus de mouvement et d’expansion qui ne sont pas exclusivement ni même d’abord des phénomènes sonores. En effet, le mouvement sonore peut suggérer des mouvements réels ou imaginaires de formes dans un espace libre. L’expérience spatiale elle-même peut comporter ou non des sons. L’énergie inhérente à la mouvance spectrale se rattache à la fois à l’expérience sonore et à l’expérience non sonore ; elle ne se relie pas seulement au mouvement en général, mais aussi à la gestuelle humaine. L’impact énergétique de l’instrument qui frappe un corps sonore, par exemple, a des conséquences spectromorphologiques.

J’ai inventé le concept de liaison à une source (source bonding) pour représenter le lien entre l’intrinsèque et l’extrinsèque, entre l’intérieur de l’œuvre et l’atmosphère sonore ambiante. Je définis cette liaison à une source de la façon suivante :

la tendance naturelle à rattacher les sons à leurs sources ou à leurs causes présumées, et à relier des sons entre eux parce qu’ils semblent avoir une origine commune ou voisine.

Le mot « liaison » me semble particulièrement approprié puisqu’il évoque la notion de « fixation », l’engagement incontournable, ou la parenté entre l’auditeur et le contexte musical. Les liaisons touchent tous les types de matière et de source sonores naturels ou culturels, qu’il proviennent de l’action humaine ou non. Les liaisons à des sources peuvent être réelles ou fictives ; en d’autres termes, elles peuvent être élaborées par l’auditeur. Différents auditeurs peuvent partager la même liaison en écoutant une même musique, mais ils peuvent tout autant établir des liaisons différentes, individuelles, personnalisées ; le compositeur peut très bien n’avoir jamais envisagé les liaisons qui surgissent dans ce que l’on pourrait considérer comme les pièces les plus abstraites. Il est inévitable que l’on démultiplie l’éventail des liaisons pour des musiques qui ne gravitent pas essentiellement autour de hauteurs et d’intervalles fixes. Le jeu des liaisons est une activité inhérente à l’acte de percevoir.

Les liaisons à des sources instrumentales et vocales

D’aucuns prétendent qu’il n’y a pas de liaisons à des sources pour la musique instrumentale abstraite, alors que les liens sont là en force, révélés par la gestuelle et d’autres activités physiques à l’œuvre dans la production du son. Or, si la liaison de l’activité instrumentale à la gestuelle humaine est quelque peu ignorée, cela ne tient pas seulement au fait qu’elle ne peut qu’être invariablement attendue en musique, mais aussi, probablement, à ce que bon nombre d’études ont choisi de se concentrer sur l’écriture (ou la notation) musicale, ainsi que sur la théorie et l’analyse, ce qui tendait à dissocier l’œuvre et la gestuelle de son exécution. La présence vocale, qu’elle soit révélée par un chant stylisé ou directement par la parole, a des liens humains physiques et physiologiques directs. La musique électroacoustique peut intégrer instruments et voix, mais elle requiert que l’on fasse leur rencontre (de façon inattendue) et que l’on en infère la présence, contrairement à ce qui advient dans la musique traditionnelle où l’existence de l’instrument et de la voix est assumée et connue d’avance. La musique électroacoustique subsume dès lors l’expérience instrumentale et vocale : les ressources touchant ce domaine ne représentent qu’un « sous-ensemble » du territoire de la musique électroacoustique, lequel est grand ouvert sur l’univers des sons.

Identifier les liens entre l’intrinsèque et l’extrinsèque est une chose. Interpréter leurs significations, leur expressivité et leur sens psychologique est un objectif lointain mais ultime qui dépasse le programme traité ici. Certains concepts et le vocabulaire de la spectromorphologie obéissent à des exigences formalistes, mais idéalement, une description spectromorphologique intrinsèque devrait pouvoir aider un auditeur à repérer les éléments musicaux significatifs, même si elle n’est pas directement interprétable.

L’oreille du compositeur

On l’a déjà signalé : l’écoute technologique, en tant que forme d’écoute, révèle que les perceptions du compositeur peuvent être différentes de celles des auditeurs. Mais le compositeur doit aussi s’attaquer à une autre forme d’écoute spécialisée, celle de l’écoute réduite 4). L’écoute réduite, très fréquente en composition électroacoustique, consiste en l’audition concentrée et répétée d’un événement sonore. Il s’agit d’un procès d’investigation par lequel on révèle des traits et des relations propres à la spectromorphologie de détail. Cette écoute exige que les « distractions » correspondant aux liaisons à la source et à la mise en relation de l’intrinsèque et de l’extrinsèque soient neutralisées pour favoriser un surcroît de raffinement des détails spectromorphologiques et de la qualité du son. Ainsi, l’écoute réduite représente une démarche abstraite et relativement objective, une écoute microscopique et intrinsèque.

En dehors du procès créatif ainsi esquissé, nombre de compositeurs considèrent l’écoute réduite comme une forme ultime de contemplation perceptuelle, ce qui est à la fois risqué et commode, et cela pour deux raisons. D’abord, une fois que l’on a trouvé un intérêt auditif dans des traits spectromorphologiques détaillés, il est plus difficile de rétablir correctement les liens extrinsèques. En outre, le repérage perceptuel à l’échelle microscopique tend à grossir des détails intrinsèques secondaires et moins pertinents ; cela incite le compositeur-auditeur à porter trop d’attention au fond sonore au détriment de l’avant-plan. Du coup, les changements de perspective rendus possibles grâce à la répétition favorisent une exploration plus profonde, mais causent en contrepartie des distorsions perceptuelles. Mon expérience pédagogique auprès des compositeurs m’a souvent montré que de telles distorsions sont fréquentes.

En ce qui concerne l’approche spectromorphologique de la musique électroacoustique, les mécanismes de l’écoute réduite gouvernent l’élaboration des concepts. Ils sont indispensables à n’importe quelle analyse exhaustive, et en particulier à celle qui a trait aux structures des niveaux inférieurs. Ils sont nécessaires à toute étude soucieuse de révéler les caractères intrinsèques qui agissent sur les aspects extrinsèques avec leur pouvoir psychologique. Pour la première fois, grâce à la flexibilité des répétitions qu’il autorise, le lecteur de CD, permet de nos jours à des auditeurs qui ne sont pas les auteurs de l’œuvre d’en étudier ce qui, autrefois, n’étaient que des instants évanescents. En tout état de cause, découvrir le niveau adéquat de focalisation structurelle représente un numéro d’équilibriste assez précaire.

Spectromorphologie

Le geste et ses substituts (5)

Jusqu’à l’avènement de la musique électroacoustique, toute la musique provenait de l’expression vocale 6) ou du geste instrumental. Le geste produisant le son se rattache à une activité humaine et physique qui a des conséquences spectromorphologiques : une suite de mouvements relie un facteur à sa source. Un agent humain produit des spectromorphologies par le mouvement du geste utilisant son sens du toucher ou un instrument pour donner l’impulsion énergique à un corps sonore. Donc un geste, c’est la trajectoire d’un mouvement énergétique qui stimule le corps sonore en créant une vie spectromorphologique. Que ce soit du point de vue de l’agent ou de celui de l’auditeur qui observe, le déroulement du geste musical est tactile et visuel aussi bien qu’auditif. On peut même dire qu’il est proprioceptif, c’est-à-dire qu’il relève du jeu musculaire de tension/relaxation, effort/résistance. En ce sens, la production du son est reliée plus globalement à l’expérience psychologique et sensorimotrice.

On aurait tort de considérer le processus gestuel comme s’il se déroulait à sens unique de la cause à la source et à la spectromorphologie. Il faut aussi le considérer dans l’autre sens, de la spectromorphologie à la source puis à la cause. Quand on entend des spectromorphologies, on repère l’humanité derrière elles, par une inférence à partir du geste, en remontant de ce dernier à l’expérience proprioceptive et psychologique en général. Tout le monde pratique ces processus de référence spectromorphologiques en écoutant des enregistrements de musique instrumentale. Mais on ne fait pas qu’écouter la musique, on décode aussi l’activité humaine sous-jacente à des spectromorphologies qui nous livrent automatiquement une profusion d’informations psychophysiques.

L’expérience auditive de l’écoute instrumentale relève d’un conditionnement culturel fondé sur des années d’entraînement audiovisuel (inconscient). La connaissance du geste sonore est donc culturellement ancrée très en profondeur. On ne peut pas ignorer ni dénier ce fait quand on aborde la musique électroacoustique. Et il a d’autant plus d’importance en matière de musique acousmatique que les sources et les causes de production sonores de celle-ci sont distantes et détachées de ce que l’on connaît, de l’expérience directe de l’association du geste physique et de sa source sonore. Je qualifie de substitut gestuel le processus croissant de distanciation 7).

L’original, le premier geste sur lequel repose tout la gestuelle sonore, intervient à l’extérieur de la musique, dans toute perception proprioceptive et dans la psychologie afférente. Le substitut de premier ordre traduit en son le niveau primal. Il a trait à l’utilisation de l’objet sonore dans le travail et dans l’activité ludique, et précède toute « instrumentalisation » ou incorporation dans une activité ou une structure musicale. C’est à partir de là que le potentiel musical commence à être reconnu et exploré. Traditionnellement, dans la musique, ce premier niveau n’est pas considéré comme de la musique en soi : il se développe dans l’instrumental, le deuxième ordre de substitution. Mais dans le cas de la musique électroacoustique, ce niveau est très important en soi, car c’est à partir de lui que beaucoup de gestes sonores uniques se trouvent transplantés directement dans la musique, par exemple le jeu gestuel avec des matériaux comme le bois et le métal. Le premier ordre de substitution inclut des enregistrements de sons produits sans intention musicale. En outre, le premier ordre de substitution peut comporter un jeu gestuel plus développé, que l’on utilise délibérément comme matériel compositionnel, une sorte d’« instrument » personnalisé, un instrument naissant qui ne sera jamais accompli ou qui n’obtiendra jamais le statut culturel complet d’instrument. Mais on ne peut accorder un statut de premier ordre à de tels sons que si l’on en reconnaît la source (le type de matériau) et le type de cause gestuelle. Si dans le processus compositionnel, la source est transformée et si le geste et la cause deviennent douteux, il faudra envisager un substitut de troisième ordre, ou d’un ordre encore plus élevé.

Le substitut de deuxième ordre correspond au geste instrumental traditionnel, un étage au-dessus du premier ordre, où l’on peut reconnaître qu’une intention de performance a été planifiée pour développer le jeu sur un registre et une articulation plus étendus. Aussi, une musique acousmatique qui n’utiliserait que des enregistrements d’instruments identifiables n’excéderait pas le deuxième ordre. Beaucoup de musiques qui se contentent de simuler des sons instrumentaux sont également à classer dans le deuxième ordre : l’instrument peut ne pas être « vrai », il n’en est pas moins perçu comme tel. Les synthétiseurs en vente dans le commerce relèvent de cette catégorie dès lors qu’ils permettent de reconnaître et le geste à l’œuvre et la source instrumentale simulée.

Le substitut de troisième ordre apparaît quand on imagine ou qu’on infère un geste musical. La nature de la spectromorphologie rend alors incertain le degré de réalité de la source ou de la cause, ou les deux à la fois. On peut hésiter sur la façon dont le son a été produit pour fonctionner comme il le fait, oublier le matériau sonore, ou encore ne pas saisir la trajectoire d’un mouvement énergétique. Une résonance spectromorphologique, par exemple, peut sonner comme si elle dépendait de l’impact gestuel d’un certain type (cause inférée), même s’il est impossible d’identifier exactement quelle en est la source faute de familiarité avec la qualité du son ou parce que cette résonance se comporte de façon inattendue (source incertaine/inconnue).

Le substitut éloigné s’intéresse aux vestiges du geste. La source et la cause sont alors inconnues ou impossibles à connaître parce que toute action humaine s’efface derrière le son. L’auditeur peut alors s’intéresser à des liens extrinsèques non sonores toujours fondés, bien entendu, sur des caractéristiques spectromorphologiques repérées. Quelques vestiges de gestes perdurent parfois. Pour les repérer, il faut se référer aux qualités proprioceptives d’élasticité, à la composante d’effort et de résistance que l’on perçoit dans la trajectoire d’un geste. Alors, le substitut éloigné, même s’il est loin de la musicalité élémentaire du premier degré, peut encore rester attaché à la psychologie du geste primal. Mais pour qu’un tel geste soit ressenti, il faut qu’il y ait suffisamment d’énergie dirigée, propagée ou réinjectée dans la spectromorphologie.

La musique acousmatique peut en ce cas rester assez proche des relations gestuelles qui relient traditionnellement la cause et la source. Même dans ses explorations les plus aventureuses des ambiguïtés de troisième ordre et au-delà, elle peut encore relever d’une pratique de production sonore qui, bien qu’elle prenne ses distances par rapport à la musique traditionnelle, demeure néanmoins profondément humaine. L’accès à un très riche substitut de base de premier ordre n’a été rendu possible que par l’enregistrement technologique. Pouvoir imaginer le troisième ordre et des ordres plus éloignés représente certainement l’une des grandes promesses de l’alliance de la composition avec la technologie. Je me risque à avancer qu’une musique électroacoustique confinée au deuxième ordre n’explore pas réellement le potentiel du médium, alors qu’une musique qui ne tient pas compte des fondements culturels du geste paraîtra froide, difficile, voire stérile à la plupart des auditeurs.

L’attente spectromorphologique

La note est le geste-unité de base de la musique instrumentale. Chaque geste-note, même le plus court, a une histoire spectrale : la trajectoire du mouvement énergétique de sa spectromorphologie. Chaque note doit commencer quelque part ; certaines seront soutenues et prolongées un moment, d’autres non ; mais toutes les notes finissent. Les trois phases temporelles reliées auxquelles je me réfère sont : le début, l’entretien et l’extinction. Il n’est pas possible de les séparer de façon discrète : on ne peut pas isoler exactement le moment précis où le début devient entretien, ni quand l’entretien s’engage dans la phase terminale. Ces trois phases ne se présentent pas nécessairement non plus dans chaque geste-note. Il s’agit de trois archétypes spectromorphologiques importants que l’on retrouve dans la pratique instrumentale. Dans chacun des trois modèles la richesse spectrale est présumée congruente avec la forme dynamique de la morphologie — plus le son est fort, plus il recèle d’énergie spectrale, et plus ce sera un son brillant ou riche.

1. Le début seul

Il s’agit d’une brève impulsion d’énergie. Deux phases temporelles se fondent en une seule : un début soudain se télescope avec l’extinction. On n’a pas le temps de saisir un changement significatif dans le spectre énergétique parce que le son est précipité vers son extinction. Il n’y a pas de phase d’entretien. L’attention se focalise sur le début énergique. Une attaque de percussion ou un staccato (sans résonance) en fournissent des exemples.

2. Le début décroissant

Le début se prolonge dans la résonance. Les phases du début et de l’extinction y sont présentes et l’on peut même y trouver une esquisse d’entretien si l’on a le sentiment que le son est maintenu à un niveau constant avant sa décroissance. Dans cet archétype, le geste initial suffit pour établir une spectromorphologie en mouvement, après quoi le son continue jusqu’à son extinction sans autre intervention gestuelle. Un pizzicato pour corde ou une cloche en sont des exemples.

3. L’entretien progressif

Cet archétype comporte les trois phases. Le début commence graduellement, comme en fondu et la note s’éteint aussi en fondu. Entre les deux, la note est soutenue pendant un certain temps. Un son de corde soutenu ou celui des instruments à vent, par exemple, maintiennent l’apport énergétique (le souffle ou le geste) nécessaire pour soutenir et prolonger le son. Cet archétype est le plus interventionniste parce que l’on est alors conscient de la charge du geste. Par conséquent, c’est l’archétype le plus ouvert au développement de variantes.

On peut dire que la musique instrumentale est faite d’une série de variantes à partir de ces archétypes, avec, dans la musique d’ensemble, l’ajout de superpositions et de fusions. On crée de telles variantes en manipulant les durées et le spectre énergétique des trois phases. L’entretien progressif, par exemple, archétype qu’on a tendance à idéaliser, peut être varié de plusieurs manières :

1) en comprimant le début pour l’augmenter afin qu’il soit moins linéaire. On injecte alors plus d’énergie au début pour produire un effet de pression et d’insistance. Cette variante de début est commune dans les performances baroques ;

2) en allongeant la phase d’entretien, ce qui détourne l’attention du début en déplaçant l’intérêt vers la continuité du son, laquelle peut se maintenir stable, ou être plus ou moins variée, avant l’extinction ;

3) en augmentant l’énergie spectrale vers l’extinction, ce qui permet de viser un nouveau geste-note dont on suscite l’attente. La phase d’entretien est allongée et l’extinction évitée, ou plutôt, le début du nouveau geste-note devient l’extinction de la note précédente.

Les archétypes et leurs variantes illustrent le fait que la note provoque une attente spectromorphologique. Nous avons une large expérience des circonstances de changements spectraux, et pas seulement pour un geste-note isolé, mais aussi bien dans l’articulation d’enchaînements de gestes-notes qui, à leur tour, s’insèrent dans des gestes plus larges, ceux d’une phrase-mouvement. Notre savoir acquis des contextes de changement spectral nous procure une référence de base presque « naturelle », non seulement pour développer le répertoire spectromorphologique le plus large et imaginatif possible jusqu’à la substitution de troisième ordre propre à l’électro­acousti­que, mais aussi pour décoder des modèles d’attente de formes musicales. Nous prévoyons ou tentons de prévoir les lignes de force du changement spectral attendu. La musique électroacoustique, même lorsqu’elle se prive de spec­tro­morphologies instrumentales homologuées et du langage de l’har­monie tonale, reste rattachée aux modèles d’attente acquis culturellement.

Le geste et la texture comme principes constitutifs

Le geste de départ de la musique instrumentale traditionnelle produit la note. Dans la musique tonale, les notes forment une unité de base constante, et on les regroupe dans des niveaux plus élevés de contours gestuels, selon des styles phraséologiques que la tradition a fait dépendre du souffle. Après tout, il faut bien que les chanteurs et les joueurs d’instruments à vent respirent. En musique électroacoustique, on peut aussi faire varier l’échelle de l’impulsion gestuelle, depuis la plus petite forme de début jusqu’au vaste balayage effectué d’un geste beaucoup plus ample, continu dans son mouvement et d’allure flexible. Le geste en tant que principe constitutif nous propulse dans le temps vers l’avant, en se déplaçant d’un point vers le suivant dans la structure, l’énergie du mouvement s’exprimant à travers le changement spectral et morphologique. La musique gestuelle est donc régie par le sens du mouvement vers l’avant, de la linéarité et de la narrativité. La trajectoire du mouvement énergétique ne suit donc pas la seule histoire d’un événement ponctuel, elle est également susceptible d’ouvrir sur la psychologie du temps.

Si les gestes sont faibles, s’ils sont trop étirés dans le temps, ou si leur évolution se fait trop lente, on perd la référence à la corporéité humaine. La frontière devient floue entre des événements à l’échelle humaine et ceux, plus matériels, de l’échelle environnementale. Au même instant, la focalisation de l’écoute se trouve modifiée : plus l’impulsion gestuelle, dirigée, se ralentit, et plus l’oreille cherche à se fixer sur des détails internes (à la condition qu’il y en ait !). Une musique d’abord de texture se centre ainsi sur son mouvement interne aux dépens de l’impulsion à venir.

Mais la plupart des musiques mélangent texture et geste, en déplaçant l’attention entre ces deux composantes ou en maintenant des échanges équilibrés entre les deux. Quand l’une des deux domine dans une œuvre ou une partie d’œuvre, on peut dire du contexte qu’il est celui d’un geste porté ou d’une texture portée. Certains gestes peuvent avoir des intérieurs texturés : dans ce cas, le mouvement gestuel encadre la texture — on est alors conscient à la fois du geste et de la texture — mais le contour gestuel domine : c’est le cas du geste-cadre. Par ailleurs, les structures porteuses de texture ne sont pas toujours des environnements au contenu démocratique où chaque micro-événement a une valeur égale et où les individus sont subsumés sous le mouvement collectif. Les gestes peuvent se présenter en avant-plan devant la texture. Il s’agit là d’un arrangement de texture, par lequel la texture fournit un cadre de base dans lequel chaque geste va se dérouler.

Les niveaux de structure

On aurait tort de chercher dans la musique électroacoustique les mêmes genres de hiérarchie que dans la musique tonale. Dans la musique tonale, la note correspond au niveau structural élémentaire, et toute la musique tonale est faite de regroupements de notes de dimensions croissantes par le mouvement de la note vers la forme, de la note au motif, à la phrase, et ainsi de suite. De plus, la structure métrique confère au niveau élémentaire de la note une pulsation qui définit la densité minimum que peut avoir le mouvement.

Le traitement du geste et de la texture en tant que principes constitutifs implique que gestes et textures puissent être de petite ou de large échelle. Les gestes et les textures électroacoustiques ne peuvent se réduire ni à la note ni à la pulsation 8) ; la musique n’est pas forcément composée d’éléments discrets ; on n’y trouve pas non plus la mesure (constante) d’un minimum de densité de mouvement ; ce qui fait que fréquemment, on ne peut pas la segmenter aisément et qu’elle résiste même le plus souvent à la segmentation. Dans une œuvre, il se peut que l’on suive pendant un certain temps des unités discrètes et courtes ; ailleurs, on rencontrera éventuellement une très vaste structure dont la continuité et la cohérence résisteront à la dissection, si bien qu’elle exigera d’être considérée comme un tout plutôt que comme une somme de petites parties. Pour certaines pièces, rien de ce qui ressemble à ce que l’on appelle une « unité » n’a de sens. Il ne peut pas y avoir « [...] de critères explicites de segmentation et de dénomination des objets et une notation suffisamment précise pour qu’à un symbole donné corresponde sans ambiguïté possible une classe de sous-ensembles décrite par ailleurs, ce qui permettrait de montrer comment, dans une œuvre, les éléments inventoriés se combinent 9) ».

Pas d’organisation hiérarchique permanente pour la musique électroacoustique, ni dans l’ensemble, ni dans des pièces en particulier 10). Sans doute y a-t-il des niveaux de structure, mais rien n’oblige à les conserver tous dans une pièce, et un même niveau n’a pas à se maintenir pour toute la durée d’une œuvre. On peut, par exemple, repérer trois ou quatre niveaux dans une partie d’œuvre, moins ou plus ailleurs ; une partie de l’œuvre peut intégrer une hiérarchie bien claire de petites unités regroupées alors qu’une autre partie en comportera une plus grande, indivisible, d’un niveau supérieur.

Il faut signaler qu’une grande partie de la musique électroacoustique n’offre pas assez de variété hiérarchique. C’est ce qui se produit quand les types de sons et la continuité de la structure branchent continuellement l’écoute sur un haut niveau, sur un mode global. Dans les compositions à structure texturée, le compositeur qui se livre à une écoute trop soutenue de la texture est très facilement déçu en imaginant que les niveaux inférieurs de texture attirent moins l’attention — alors que ce n’est nullement le cas. Et la musique dont les balayages gestuels de grande amplitude et de niveau élevé n’offrent que peu d’intérêt sur le plan des détails internes risque de ne guère passionner l’auditeur lors d’écoutes répétées. Il est malheureusement très rare de trouver une écoute équilibrée et gratifiante sur plusieurs niveaux de structure.

Dans mon approche spectromorphologique, les concepts de geste et de texture, de mouvement et de processus de croissance, de comportement, de fonctions structurelles, d’espace spectral et de densité, d’espace et de morphologie spatiale peuvent s’appliquer à des durées grandes ou petites avec des structures de bas ou de haut niveau. Trouver le « bon » niveau ou les dimensions temporelles propices aux applications de ces concepts, cela doit rester l’apanage de l’auditeur.

Les fonctions structurales

Les fonctions structurales se rapportent à l’attente. Comme les autres musiques, la musique électroacoustique a ses modèles d’attente. J’ai déjà suggéré que ces modèles reposent sur notre acculturation globale à la perception des changements de spectre, lesquels affectent une grande variété de sons. En écoutant, on s’efforce de prévoir quelle direction va ressortir si le spectre change. On se demandera, par exemple, vers quelle cible un geste se dirige, si telle texture va continuer à se comporter de la même façon, si tel changement est probable ou non, quelles sont les probabilités pour qu’un tel changement se résorbe graduellement ou, au contraire, pour qu’il soit soudainement interrompu, et ainsi de suite. À partir des notions de début (comment cela commence), d’entretien (comment cela continue) et d’extinction (comment cela finit), on peut déployer une liste de termes, certains plus techniques, d’autres plus métaphoriques, lesquels permettront d’interpréter les fonctions signifiantes d’un événement ou d’un contexte. Ces fonctions renvoient à la fois aux dimensions supérieures et inférieures des structures musicales ; selon le niveau où se fixe l’attention, elles peuvent avoir trait à la note, à un objet, à un geste, à une texture ou à une catégorie de mouvement ou de croissance.

Débuts

Entretiens

Extinctions

départ
émergence
anacrouse
attaque
temps faible (= levé, upbeat
temps fort (= downbeat)   

passage
transition
prolongation
maintien
affirmation

arrivée
disparition
fermeture
sortie
résolution
plan

Les termes rattachés aux débuts expriment divers degrés de soudaineté. Ils ont en commun de se mouvoir, ou de se dégager à partir d’un point de départ, ce qui suscite les tensions de l’attente. Les concepts reliés à l’entretien varient. Certains, qui se tournent vers l’avant, expriment l’entre-deux (la « transition », le « passage »). D’autres sont rattachés à ce qui précède, au début ( la « prolongation », le « maintien »), alors que l’« affirmation » connote un statut plus dégagé, presque indépendant. Les extinctions ne produisent pas toutes le même sentiment d’achèvement. La « disparition » évoque une issue faible, définalisée, alors que la « résolution » et la « fermeture » exercent une importante fonction relaxante. L’« arrivée » et le « plan » expriment la réalisation d’objectifs structuraux.

L’attribution d’une fonction à un événement ou à un contexte ne se réduit pas à une simple activité cognitive.

1) La fonction d’attribution ne relève habituellement pas d’un processus conscient.

On ne se pose pas constamment une série de questions fonctionnelles raisonnées, conduisant à des décisions fonctionnelles. La fonction d’attribution représente plutôt une partie des attentes intuitives dont fait état la psychologie de la temporalité.

2) La fonction d’attribution est un processus continu et incomplet, sujet à révisions.

On procède à des attributions de fonctions provisoires, et il arrive que l’on change d’idée en cours d’opération ou une fois que c’est terminé. (Finalement, on ne peut pas attribuer une fonction avant de savoir ce qui va venir.) Dans la mesure où l’on est toujours centré sur le présent, l’attention peut être détournée, avant que l’on ait déterminé une attribution définitive ; les contextes se dissipent. Mais à quels niveaux de structure va-t-on se rallier ? Combien de niveaux l’attention et la capacité de mémorisation peuvent-elles retenir ? Suit-on le prochain moment imminent ou les grandes lignes en général ?

3) L’attribution des fonctions peut être double ou ambiguë.

Un contexte peut suggérer simultanément diverses fonctions. Cela se produit surtout dans le cas d’événements qui se suivent ou si le mouvement est continu. Par exemple, le contour dans lequel un mouvement semble se résoudre peut devenir une partie de l’anacrouse du sommet suivant. Dans ce cas, l’extinction devient un début.

4) Il n’y a aucune limite claire entre les trois fonctions types.

Par exemple, le moment où l’on décide qu’un événement s’est complètement produit et le moment où l’on décide qu’il entre dans une phase de transition ne sont pas forcément des moments précis, mais plutôt un procès en développement.

Mouvement et processus de croissance

Les métaphores de mouvement et de croissance sont pertinentes pour l’étude d’un art qui se fonde sur le temps comme le fait la musique électroacoustique. Les concepts traditionnels du rythme n’arrivent à décrire ni les contours souvent dramatiques du geste électroacoustique ni le mouvement interne de la texture, lesquels s’expriment à travers une grande variété de spectromorphologies. Bien souvent les auditeurs se souviennent du mouvement et du processus de croissance venant de l’extérieur de la musique, et les termes choisis visent l’évocation de ce genre de connexions. Puisque le mouvement et la croissance ont un contour spectral, ils sont installés dans un espace spectral. Leur occupation de l’espace spectral et leur densité spectrale constitueront donc d’importants attributs additionnels (voir les tableaux 6 et 7). De plus, la distribution spatiale peut, dans certains cas, mettre en valeur le mouvement et le développement (voir les tableaux 8 et 9). Le tableau 1 présente les références-types de base. Les groupes « unidirectionnel », « réciproque », cyclique/centré se rattachent aux mouvements alors que le groupe bi/multidirectionnel se rattache plutôt aux processus de croissance.

Le mouvement et la croissance suivent certaines directions qui nous amènent à attendre des effets à venir. Ce sont aussi de bons guides pour l’attribution des fonctions structurales. Le mouvement unidirectionnel en est un exemple simple. Un contour lent et ascendant annonce diverses suites, mais pas n’importe lesquelles : s’élever et se dissoudre en « disparaissant » ; s’enrichir et atteindre un point d’impact ; rencontrer d’autres sons et se laisser absorber par eux ; changer de direction et se convertir en parabole ; atteindre un plafond stable. Quoi qu’il fasse, il peut surprendre (s’il y a des changements soudains), ou au contraire rejoindre nos attentes, en particulier si son taux de changement nous fournit des indices pour la suite. Cette description hypothétique pourrait comporter une fonction d’extinction (en disparaissant vers le haut), une anacrouse (une augmentation de richesse conduisant à un autre événement), etc. Finalement, cet exemple souligne la nature gestuelle du contour (on n’a évoqué aucun intérêt interne ni textural) même s’il est étendu dans le temps.

Dans le mouvement réciproque, le mouvement dans une direction est contrebalancé par un mouvement de retour. Des variations du contour, telles l’oscillation et l’ondulation, peuvent s’appliquer aux mouvements internes et texturaux, de même qu’ils peuvent décrire le contour externe. Les paraboles, une catégorie de trajectoires courbées, sont souvent très gestuelles. Elles sont fréquentes en musique électroacoustique, probablement à cause de leur remarquables possibilités de jouer sur la durée, la vitesse et l’énergie spectrale du voyage aller-retour. Une trajectoire parabolique se déplace continuellement à travers une grande variété de positions dans l’espace.

En musique, le mouvement centré s’exprime généralement par un recyclage spectromorphologique donnant une impression de mouvement relié à un point central. On réalise ce mouvement par une variation spectromorphologique sans aucune spatialisation, bien que très souvent, la spatialisation mette en valeur un tel mouvement. Comme toutes les formes de répétition, le recyclage continuel peut donner une impression de stase structurelle, mais les mouvements centrés peuvent être aussi fortement directionnels — le vortex et la spirale, entre autres, ont cette possibilité. Les mouvements centrés peuvent également s’associer avec l’idée de croissance. Certains mouvements de rotation, par exemple, entraînent avec eux les matériaux de la texture en prenant une expansion spectrale — une combinaison de rotations et de développement exogène ou endogène. Le tournoiement, la spirale et le vortex sont des variantes rotatives. Les mouvements centrifuge (s’éloignant du centre), centripète (tendant vers le centre) et péricentral (tournant simplement autour du centre) se rattachent aussi à ce groupe.

Les mouvements bi/multidirectionnels créent des attentes car la plupart ont une forme de mouvement dirigé. On peut les considérer comme porteurs d’une tendance à la fois gestuelle et texturale. On peut aussi les considérer en tant qu’importantes structures en soi. L’agglomération (un processus de croissance où les fragments se forment en masse) et la dissipation (la dispersion et la désintégration) sont des processus de texture. La dilatation (l’agrandissement, l’élargissement) et la contraction (le rapetissement) affectent le changement de dimension et pourraient être considérés comme un autre aspect de l’agglomération/dissipation. La divergence et la convergence sont fortement directionnelles et pourraient être des gestes et des textures de croissance, ou une descente et une montée simultanées. L’exogénie (la croissance par ajouts de l’extérieur) peut être rattachée à la dilatation et à l’agglomération alors que l’endogénie (la croissance par l’intérieur) implique une forme ou une autre de cadre à remplir ou de texture à épaissir.

Dans le tableau 2, j’ai regroupé sept mouvements caractéristiques dont voici une brève description.

1) L’enracinement du mouvement. Certains semblent accrochés au sol (poussés, attirés) alors que d’autres ne sont pas enracinés. Beaucoup de spectromorphologies se retrouvent, de façon inhérente, sans racine, parce qu’elles sont sans ancrage en basse (note fondamentale) pour fixer la texture. C’est pourquoi les analogies rattachées au vol, à la dérive et au flottement sont fréquentes. Ce mouvement en direction d’une racine pourrait être à l’œuvre dans un spectre de descente vers son extinction, sauf si le mouvement s’éteint en fondu, « en l’air », parce qu’alors, il n’atteint pas la racine.

2) Le lancer du mouvement. Les lancers du mouvement varient. Certains paraissent être des événements indépendants (traînée, jetée, lancée) alors que d’autres semblent émerger comme s’ils avaient toujours existé (écoulement, flottement).

3) La courbe d’énergie et la modulation  (la direction et l’énergie du mouvement à travers le spectre spatial). Certains sont lents et évolutifs par définition (écoulement, dérive, flottement). Ils mettent du temps à s’établir alors que d’autres accomplissent des trajectoires de mouvement énergétiques rapides.

4) La texture interne — continuité et discontinuité. La plupart de ces mouvements ont une structure interne comportant une certaine consistance afin de maintenir la cohérence du type de mouvement. Voir ci-après.

Le mouvement de texture

La majorité des mouvements bi/multidirectionnels suggèrent des changements de texture interne, mais les autres groupes de mouvement peuvent aussi être texturés. De plus, pour ce qui est de leur occupation de l’espace spectral, ils peuvent changer de dimensions et contenir plus d’une seule couche. Quant au niveau de structure, c’est le mouvement dans sa totalité qui forme l’unité perceptuelle la plus significative. Le mouvement de la texture ne rend pas toujours possible sa segmentation en éléments de niveaux inférieurs. Mais on peut parfois isoler un ou plusieurs types de spectromorphologies.

Le tableau 3 présente différents aspects du mouvement textural. La colonne de gauche énumère quatre modes selon lesquels les composantes internes de la texture sont susceptibles de collaborer pour produire un mouvement. Cela implique un type de « comportement » (voir ci-après). Le courant renvoie à une combinaison de couches mouvantes et implique une façon de différencier les diverses couches, soit par des ruptures dans l’espace spectral, soit parce que les couches n’ont pas toutes le même contenu spectromorphologique. La volée décrit le mouvement, libre mais collectif, des petits ou des micro-éléments dont l’activité et les changements de densité doivent être considérés comme un tout, comme s’ils se déplaçaient dans une foule. On peut imaginer un mouvement de volée comme s’il traversait plusieurs processus de croissance multidirectionnels. Il est possible que le comportement de la texture à l’intérieur d’un courant ressemble à une volée, et qu’une volée puisse être considérée comme un courant qui fasse partie d’une texture. La circonvolution (enroulement, entortillement) et la turbulence (fluctuation irrégulière, susceptible de devenir tempête) se caractérisent par un entrelacement spectromorphologique confus mais qui tente néanmoins de se réconcilier avec leur chaos.

Le mouvement de la texture peut changer de consistance interne. Le mouvement continu est soutenu alors que le mouvement discontinu est plus ou moins fragmenté. Le continuum continu-discontinu va du mouvement soutenu (à un extrême) au mouvement itératif (à l’autre extrême). On peut discerner des objets isolés quand la distance entre les répétitions itératives devient trop grande. Cela pourrait se produire au cours de certains processus de croissance multidirectionnels, quand la texture interne se relâche au cours de la fragmentation du croissance. La granularité occupe une position médiane ambiguë dans la mesure où l’on peut la considérer comme approximativement soutenue ou comme itérative, selon le degré de rapprochement des grains. La continuité et la discontinuité peuvent l’une ou l’autre se développer d’une façon plus ou moins périodique-apériodique / erratique avec des fluctuations internes dans les tempi. On peut avoir besoin de considérer le mouvement continu/discontinu de la texture comme une totalité. Il est aussi possible de considérer un tel mouvement texturé comme un groupement si les profils, les fluctuations ou les discontinuités se prêtent à des répétitions, à des cycles ou à des pauses qui nécessitent des regroupements de niveau supérieur.

Le comportement

La métaphore du comportement est utile pour établir des relations dans la grande variété des spectromorphologies qui se trouvent à agir dans le contexte musical. Je pense que les auditeurs peuvent intuitivement diagnostiquer des relations comportementales (ou leur absence) dans des contextes de musique électroacoustique, et que ce diagnostic affecte l’interprétation de l’auditeur et ses réactions à la musique. En ce sens, le comportement est un archétype. On peut être sensible au « comportement » de la musique tonale, instrumentale ou vocale, même si cette musique est très bien circonscrite par la nature du système harmonique qui impose des contraintes reliées à la polyphonie et au contrepoint. Dans la musique acousmatique, la liberté invisible du contenu et du mouvement spectromorphologiques offre un ensemble de références extrinsèques et comportementales beaucoup plus large et varié. Il faut absolument se rappeler que dans la musique acousmatique, les relations comportementales se rattachent uniquement à la spectromorphologie, alors que dans les pièces mixtes, les relations comportementales que l’on perçoit entre le geste visible de l’exécutant et le contexte acousmatique environnant seront déterminantes pour l’interprétation de l’œuvre.

Comme les concepts précédents, le comportement peut s’appliquer à différents niveaux structuraux : à des événements discrets, à des mouvements de textures de niveau élémentaire ou au niveau bien plus élevé des relations entre des groupes de textures ou des processus de croissance. Le comportement (tableau 4) a deux dimensions interactives et temporelles (ce qu’illustre la flèche à deux têtes), l’une verticale et l’autre horizontale. La dimension verticale traite la coordination du mouvement (concurrence ou simultanéité) alors que la dimension horizontale porte sur les passages dans le mouvement (passages entre les contextes successifs).

Le continuum desserré/resserré représente la liberté de coordination. Alors que la synchronicité avait été la règle pour la musique tonale, dorénavant, ce n’est plus le cas. Il y a désormais une très grande distance entre une musique très serrée, contrôlée peut-être avec rigidité, ponctuelle, homorythmique, minimale, et les associations très relâchées et malléables que l’on trouve dans certaines musiques électroacoustiques. En fait, les spectromorphologies pourraient présenter des caractéristiques et des mouvements si différents que la seule chose qu’elles auraient en commun serait de partager un même espace au même moment. Cela, certes, correspond à une relation comportementale.

Dans les passages de mouvement, le continuum volontairement sous pression illustre comment un contexte ou un événement s’efface devant le suivant. Il ne faut pas oublier que des questions comme le degré de coordination du mouvement, la trajectoire énergétique du geste, l’urgence de la pression de la vitesse des débuts et le type de mouvements sont très déterminantes. La causalité, qui est un aspect important du comportement acousmatique, a lieu quand un événement semble être la cause du début du suivant ou quand il modifie d’une façon ou d’une autre un événement concurrent. La flèche partant du continuum volontaire/sous pression montre que la causalité peut être plus ou moins faible ou forte, dépendamment de l’influence ou de l’impact d’une spectromorphologie sur une autre. Dans l’ensemble, une musique à causalité forte repose sur le geste et sur des points d’impact et de coordination que l’on considère comme des cibles structurales.

La partie supérieure du tableau 4 se présente comme un guide pour l’interprétation des relations comportementales et leur dépendance à l’égard de deux paires de concepts opposés : domination/subordination et conflit/coexistence qui forment la base d’un groupe de modes de relations énumérés au centre du tableau.

Les spectres

Je dois maintenant décrire plus en détail la dimension « spectre » de la spectromorphologie. J’ai choisi les termes plus généraux de « spectre » ou « espace spectral » pour représenter la très grande variété des qualités du son, des timbres et des hauteurs perçus à travers le spectre des fréquences audibles. Sans doute, le lecteur s’est déjà mis à imaginer des types de sons associés au mouvement et à la croissance, à la texture du mouvement ou au comportement. Mais on a des problèmes dès que l’on cherche à décrire des sons avec plus de précision. Les compositeurs et les chercheurs sont habitués à penser le spectre plutôt par ses composantes spectrales, qui peuvent être analysées, isolées, reconfigurées et transformées pour créer de nouvelles spectromorphologies et pour transformer celles qui existent. Dans la pensée spectromorphologique, cette approche analytique et détaillée du spectre ne peut être utilisée que si elle repose sur la perception et reste significative dans le contexte musical.

Et même alors, de quelle terminologie doit-on se servir particulièrement quand les hauteurs perçues individuellement ne sont pas en cause ? La liaison à la source en elle-même attire l’attention sur les attributs du spectre associés au type de source : isoler une source réelle ou fictive correspond à un acte de différentiation des attributs de spectre. On peut certes décrire les attributs de la source en fonction du fait que le son est plus ou moins brillant, terne, creux, fin, intense, etc. Il faudrait développer une terminologie de ces caractéristiques afin de traiter les aspects de l’espace spectral d’une façon plus détaillée.

Le fait d’entendre ou non des hauteurs est de première importance dans la discrimination spectrale. Je dois d’abord discuter de la nature de la note, à la fois en tant que manifestation d’une hauteur et en tant que type de spectre. Cela va ensuite me permettre de décrire les spectres démunis de contenu de notes audible.

La note — focalisation spectrale interne et externe

La musique électroacoustique rend possible deux conceptions de la note. La première est la conception traditionnelle selon laquelle la hauteur d’une note reste le facteur déterminant relativement aux composantes spectrales qui ne font que colorer la note. Ces composantes spectrales ne sont généralement pas entendues, ou en tout cas elles sont ignorées parce que c’est la note elle-même qui importe dans le contexte. La note et sa couleur fusionnent dans la perception. La seconde conception (qui se vérifie à l’enregistrement minutieux d’une note instrumentale) introduit l’oreille à l’intérieur de la note de façon qu’elle en perçoive les composantes spectrales. Ce changement de focalisation, résultat de la pénétration à l’intérieur du son, est chose fréquente dans la musique spectromorphologique. L’oreille établit alors une relation de hauteur entre les composantes, relation qui, localisée principalement à l’intérieur de la note instrumentale, sera harmonique et distribuera des pesanteurs variées aux diverses composantes de la série harmonique. Considérée de l’extérieur, une note peut ainsi apparaître comme étant simplement une note, mais devenir plus qu’une simple note quand on entre à l’intérieur. Les occasions de changement de focalisation spectrale sont fréquentes dans les spectres électroacoustiques.

Les collectifs de notes — hauteur relative et intervallaire

Lorsque le mouvement des notes externes est trop rapide pour que l’oreille entende des hauteurs-intervalles précises, ou lorsque l’empilement des notes est très dense, la note cesse d’être perçue comme hauteur. La note externe peut être théoriquement présente (nous savons effectivement qu’elle entre dans des textures instrumentales complexes) mais perceptuellement absente. Il faut dès lors constituer la hauteur intervallaire et la hauteur relative comme les deux pôles d’un continuum. La hauteur intervallaire permet d’entendre les hauteurs-intervalles, de sorte que leur relation à l’usage culturel tonal prend de l’importance. Dans les contextes de hauteur relative, la distance entre les hauteurs est beaucoup moins précisément audible et nous ne pouvons plus entendre de hauteurs ou d’intervalles déterminés dans l’espace spectral. Nous avons plutôt tendance à suivre des gestes et des mouvements de haut niveau, des collectifs de notes. La plus grande partie de la musique électroacoustique confond les approches intervallaire et relative, et c’est un problème pour le compositeur (dont nous présumons qu’il a un bon sens de la hauteur) que de déterminer quelle approche doit l’emporter, et à quel moment. La frontière entre l’intervallaire et le relatif est également d’importance pour les auditeurs. Il ne s’agit pas ici d’une frontière bien définie puisqu’elle dépend en bonne partie des habiletés perceptives de l’auditeur. Cette frontière importe cependant puisque la hauteur intervallaire, lorsqu’elle est évidente, constitue le premier foyer d’attention pour la plupart des auditeurs.

L’usage du mot « intervallaire » dans l’expression « hauteur intervallaire » attire l’attention sur le fait qu’il faut plus qu’une seule hauteur pour que la hauteur soit perceptuellement signifiante. Il y a en musique électroacoustique bien des circonstances dans lesquelles la hauteur constitue un attribut spectromorphologique reconnaissable. Mais s’il n’existe pas de relation intervallaire entre hauteurs, cet attribut passe à l’arrière-plan, et d’autres caractéristiques spectromorphologiques peuvent se révéler plus significatives dans le contexte. Même dans le cas d’un bourdon, la hauteur réelle (en dehors du fait qu’elle appartienne au grave ou à l’aigu, qu’elle constitue un point de référence stable ou encore que son mouvement soit texturé) n’importe guère si les relations entre intervalles de hauteur font défaut.

De la note au bruit

La différence entre la note (comme hauteur intervallaire) et le bruit est extrêmement importante sur le plan spectral, bien qu’il s’agisse là encore d’une autre frontière difficile à définir. En ce qui me concerne, le bruit, comme entité extrême relativement à la note, peut être défini de deux façons. La première définition est qualitative : une rugosité, une granularité ou un crissement sans considération de hauteur. Nous associons extrinsèquement le bruit granulaire à la mer, aux textures aqueuses, au vent, à l’interférence statique, à la friction granulaire entre des matériaux frottés et râclés, aux matériaux qui se fracturent (par exemple la pierre), aux consonnes vocales non voisées ainsi qu’à certains types de respiration. Un large éventail de liaisons à la source se trouve donc intégré, qui va de l’expression humaine à l’environnement, en passant par la manipulation ludique d’objets. Nous sommes ici en présence d’un riche réservoir pour l’exploration électroacoustique. Le bruit granulaire consiste en impulsions texturées et ne requiert aucune position spectromorphologique privilégiée. Il peut par exemple consister en une trame ou une trace décorative ou accessoire, ou en un paquet d’intensité ajoutée.

La seconde définition, qui n’est pas facilement séparable de la première, concerne la densité : un état spectral saturé qui ne peut être ramené à la hauteur intervallaire ni à la hauteur relative. Le bruit saturé peut être considéré comme un autre aspect de certaines des sources mentionnées plus haut (par exemple la mer), mais il peut également provenir de la compression spectrale, lorsqu’une région de l’espace spectral est à ce point remplie que la conscience de la hauteur devient impossible. Cela peut également arriver lorsque l’espace spectral est occupé par les contours actifs de volutes et autres turbulences en mouvement. Il existe donc certains processus cumulatifs qui tendent vers le bruit et qui peuvent être utilisés pour le créer.

Le bruit est relatif plutôt qu’absolu : il existe parce que nous avons un concept de hauteur. La hauteur intervallaire est absolue (nous pouvons percevoir et isoler avec précision les intervalles), alors que le bruit est une généralité dont il faut considérer spectromorphologiquement le mouvement, la texture et le comportement pour en décrire la richesse. Par ailleurs, le bruit peut se produire sur des bandes plus étroites ou plus larges, et se colorer et résonner de telle sorte que s’y mêle la hauteur (relative ou absolue). Bien que la hauteur intervallaire et le bruit soient en un certain sens des extrêmes, le bruit peut ainsi s’identifier à une hauteur tout comme la hauteur peut investir un contenu bruitique. L’héritage de la hauteur intervallaire nous a à ce point conditionnés que, même si la musique électroacoustique a exploré abondamment les spectromorphologies à base de bruit, leurs qualités attendent toujours d’être plus largement reconnues. En rendant possible l’exploration du bruit, la musique électroacoustique cherche à embrasser tout le potentiel spectral du monde sonore grand ouvert.

Sons harmoniques et inharmoniques

Les spectres harmoniques ont une organisation intervallaire spécifique qui repose sur les propriétés vibrationnelles des cordes et des colonnes d’air. Il n’en est pas ainsi des spectres inharmoniques. La cloche et les résonances métalliques, qui constituent nos exemples coutumiers de sons inharmoniques, représentent bien le dilemme de ces derniers : les spectres inharmoniques peuvent en effet se révéler ambigus lorsqu’ils comportent des hauteurs intervallaires. Pour qu’il soit considéré comme authentique, un spectre inharmonique ne peut se résumer à une note seule, et ses composantes de hauteur doivent être tenues pour relatives plutôt qu’intervallaires. Il en résulte que les spectres continus inharmoniques tendent à se diviser en courants.

L’ambiguïté du son inharmonique permet deux sortes de changement spectral. Dans le premier cas, on peut aboutir à des spectres intervallaires et harmoniques (tonals). Dans le second cas, comme il en fut question pour la compression spectrale au cours de la discussion touchant la note, la saturation inharmonique (l’addition de composantes spectrales) peut constituer un moyen d’aller vers le bruit. Le son inharmonique occupe dès lors un terrain mitoyen qui peut se révéler utile en ce qu’il permet un passage vers le son harmonique et la hauteur intervallaire d’une part, et vers le bruit de l’autre.

Le tableau 5 illustre les possibilités de transformation entre note, son inharmonique et bruit, ainsi que la possibilité pour la note (hauteur intervallaire) de se déplacer en direction à la fois du son harmonique et du son inharmonique.

L’espace spectral et la densité spectrale

L’espace spectral s’étend des sons audibles les plus bas à ceux qui sont les plus élevés. Nous avons affirmé, lors de notre discussion du mouvement et des processus de croissance, que les spectromorphologies se déplacent dans l’espace spectral dès lors qu’elles se modifient dans le temps. Nous avons également attiré l’attention, en discutant des sept mouvements caractéristiques, sur l’enracinement de certains mouvements et l’absence d’enracinement de certains autres. En d’autres termes, il existe des mouvements qui requièrent différentes façons d’occuper l’espace spectral.

Avec la musique instrumentale (si nous connaissons l’instrumentation) et la musique vocale, nous possédons une connaissance préalable de l’espace spectral potentiel non seulement de l’ensemble, mais aussi des instruments et des voix individuels, et nous développons des attentes quant à l’utilisation de l’espace spectral en fonction du style musical. Dans la musique électroacoustique, les limites de l’espace spectral ne sont pas connues d’avance mais elles se définissent au cours de l’œuvre. L’occupation de l’espace spectral, l’impression que suscite l’ampleur de cet espace, la façon dont il se déploie, la localisation qui s’y dessine de l’aigu et du grave ainsi que la manière de les atteindre, tous ces éléments dépendent directement des interprétations que se font les auditeurs de facteurs extrinsèques, en même temps qu’ils exercent sur le plan formel une forte détermination. Nous aurions besoin d’un vocabulaire descriptif qui nous aide à définir l’occupation de l’espace spectral. Le tableau 6 montre trois points de référence fondamentaux. On peut voir les voûtes et les fondations comme des marqueurs de limites possédant certaines fonctions. Les textures, par exemple, peuvent être accrochées aux voûtes et être utilisées comme des cibles ou des points de départ. Et nous savons déjà que le bourdon peut agir comme fondation de référence. Ils encadrent l’espace spectral, bien qu’ils ne requièrent pas d’être entendus simultanément pour le faire. Nous sommes habitués à ce qu’il y ait en musique une région centrale, et nous sommes conscients de l’endroit où elle se trouve dans une œuvre électroacoustique, même si cela n’est pas clairement défini. Un cadre, bien entendu, comporte une région centrale vacante.

Les quatre qualificatifs suivants aideront à mieux décrire l’occupation de l’espace spectral dans une œuvre, en partie ou dans sa totalité :

1) vide-plénitude : selon que l’espace est totalement couvert et rempli, ou selon que des spectromorphologies occupent de plus petites régions, créant de grands trous et donnant une impression de vide et peut-être même d’isolement spectral ;

2) diffusion-concentration : selon que le son est étendu ou dispersé dans tout l’espace spectral, ou selon qu’il est concentré ou fusionné en régions ;

3) courants-interstices : la stratification de l’espace spectral en courants larges ou étroits séparés par des espaces ;

4) recouvrement-croisement : la façon dont les courants ou les spectromorphologies empiètent sur leur espace spectral respectif, ou plutôt se contournent ou se traversent en se déplaçant vers une autre région, ce qui est directement relié au mouvement et aux processus de croissance.

Le tableau 7 définit les caractéristiques de la densité spectrale, que l’on peut se représenter comme un brouillard, un rideau ou un mur plus ou moins étroit ou large qui laisse ou non passer les sons. La question se pose, en d’autres termes, de savoir si la densité permet ou non la superposition d’autres spectromorphologies qui aient du relief. On peut ainsi compacter à ce point un espace spectral rempli ou compressé qu’il suffoque et masque d’autres spectromorphologies. Un espace spectral transparent laisse passer les spectromorphologies, alors que ce qui vient s’interposer (translucide ou opaque) agit comme un masque. La densité spectrale est liée à une perspective à distance et doit être considérée en même temps que l’espace en général. Le continuum distance–proximité de le tableau 7 illustre cette dimension perspectiviste. Par exemple, la pleine densité d’une échelle spectrale comble, si elle se trouve concentrée sur un avant-plan immédiat, empêchera les autres spectromorphologies de transparaître parce qu’elle créera, tout près de l’auditeur, un mur solide. La même densité située un peu plus loin, en libérant l’espace à proximité de l’auditeur, fera place à d’autres spectromorphologies. Une densité bien sûr ne nécessite pas de perspective fixe. La quantité d’information spectromorphologique pouvant occuper l’espace spectral et stéréophonique a des limites perceptuelles : la haute densité est l’ennemie du détail aux niveaux structuraux les plus bas.

Espace et spatiomorphologie

Le concept d’espace spectral est analogique : on peut penser que les hauteurs hautes sont spatialement plus élevées et les hauteurs basses moins élevées, mais leur localisation spatiale véritable n’est normalement « physiquement » ni plus haute ni plus basse. La tendance, en musique électroacoustique, à faire s’équivaloir les hauteurs-profondeurs spectrale et réelle, est peut-être due au fait que les hauteurs hautes sont considérées comme physiquement plus petites et, dès lors, sans racines. Peut-être associe-t-on également les degrés élevés de mobilité spectrale aux registres élevés (comme dans le vol plané) qui sont souvent clairement localisables, à la différence des sons graves, qui le sont de façon plus vague et plus diffuse. Quoi qu’il en soit, la perception spatiale combine les deux aspects, l’analogique et le réel.

Le propos de la présente section est de définir une grammaire de la localisation. Les changements spectromorphologiques — sur le plan de l’espace spectral et de la densité spectrale, du niveau dynamique, du mouvement et des processus de croissance — ont eux-mêmes des implications sur les arrangements et les mouvements spatiaux, et ces implications peuvent être développées par le compositeur. Les changements de perspective spatiale ne font pas qu’améliorer le caractère et l’impact des spectromorphologies ; ils constituent également un moyen de délimiter la structure musicale. On peut simuler avec fidélité des espaces réels, comme dans le cas d’une musique que l’on installe dans une pièce simulée ou dans un hall acoustique. Mais la musique électroacoustique ne se limite pas à la réalité spatiale et le compositeur peut, par exemple, juxtaposer et briser des espaces — une expérience impossible dans la vraie vie. La musique électroacoustique peut encapsuler un large éventail d’expériences de l’espace, peut-être même les expériences d’espaces intimes et immenses de toute une vie, en les comprimant dans la durée relativement courte d’une œuvre musicale. En ce sens, la musique électroacoustique est un art unique.

La perception de l’espace étant inextricablement liée au contenu spectromorphologique, la plupart des auditeurs ne peuvent aisément faire l’expérience de l’espace comme tel. Une appréciation de l’espace s’acquiert en développant une écoute consciente des espaces dans les œuvres plutôt qu’en considérant l’espace comme une mise en valeur spectromorphologique. Le terme spatiomorphologie veut souligner cette attention particulière portée à l’exploration des propriétés et des modifications de l’espace qui forment une catégorie différente et tout autre d’expérience sonore. La spectromorphologie devient, dans ce cas, le médium permettant l’exploration et l’expérimentation de l’espace. L’espace, tel que l’entend la spectromorphologie, constitue un nouveau type de liaison à la « source ».

Les détails grammaticaux et les messages psychologiques propres à l’appréhension de l’espace sont instables parce qu’ils dépendent non seulement du caractère composé de l’espace mais aussi de la relation entre l’espace composé et l’espace ou les espaces dans lesquels se situe l’écoute. C’est cette première distinction majeure qu’illustre le tableau 8, où la flèche à double tête montre l’interdépendance entre l’espace composé (l’espace tel qu’il est composé à même les médias enregistrés) et l’espace d’écoute (l’espace dans lequel l’espace composé est entendu). Les espaces d’écoute comprennent eux-mêmes deux catégories que l’on distingue par la position de l’auditeur relativement aux sources d’émission du son (les haut-parleurs). Dans une écoute personnelle, l’auditeur est proche des sources d’une image frontale, alors que dans des endroits publics, il peut se trouver dans l’une ou l’autre des diverses positions distantes et décentrées par rapport à une image frontale de référence. En outre, l’espace diffus (dans lequel un système de haut-parleurs multiples est utilisé) rend possible une réorientation radicale, expansive et multidirectionnelle de l’espace (composé et stéréo). On abuse largement de l’espace d’écoute personnel et de l’espace d’écoute diffus, ce qui compromet la perception de l’espace. Dans les espaces personnels, les haut-parleurs et l’auditeur sont souvent placés au hasard, sans attention portée aux besoins de la production d’images stéréo. Les espaces diffus réussis combinent et disposent les haut-parleurs en fonction de l’art même de la diffusion.

J’ai défini cinq variantes d’espace personnel/diffus fondamentales que les conditions de l’espace d’écoute et le style de diffusion peuvent affecter de façon déterminante, pour le meilleur ou pour le pire. Les auditeurs ne peuvent avoir une conscience réelle de ces variantes que s’ils ont eu l’occasion de comparer leurs perceptions de la même œuvre dans des conditions d’écoute différentes, ce qui n’est pas courant.

L’espace composé se divise lui-même en deux catégories. L’espace interne apparaît quand une spectromorphologie semble elle-même enclore un espace. Les résonances internes des objets (la résonance creuse du bois, la résonance métallique, la résonance pizzicato des instruments à cordes, etc.) peuvent donner l’impression que leurs vibrations sont enfermées dans une sorte de matériau solide. L’espace interne est ici lié à la source dans la mesure où il appelle le sentiment d’un corps sonore réel ou imaginaire.

L’espace externe (tableau 9) est beaucoup plus important que l’espace interne puisqu’il ne peut y avoir de musique sans lui, alors qu’une œuvre peut très bien se passer d’un sentiment d’espace interne. L’espace externe nous apparaît par réflexion et il existe à l’extérieur et autour des spectromorphologies, espaces extérieurs-ouverts ou intérieurs-fermés qui déterminent les conditions de l’activité spectromorphologique. Les espaces externes sont perspectivistes. Dans le cas de la stéréo frontale, l’analogie avec la perspective linéaire est même frappante : en regardant entre les haut-parleurs par la « fenêtre stéréo », l’auditeur peut appréhender des espaces plus grands que la réalité, une ouverture spatiale entre les haut-parleurs, des espaces qui s’étendent par-delà les confins de la profondeur réelle de l’espace d’écoute. Un sentiment d’intimité spatiale se fait jour au moment où les spectromorphologies semblent agir tout près de l’auditeur, comme si elles habitaient le même espace que lui. (Cette intimité se perd facilement dans l’espace d’écoute diffus.)

La définition d’image comporte en deux ensembles de variantes. Nous avons déjà mentionné l’opacité et la transparence lorsque nous avons discuté de la densité spectrale. Elles sont reprises ici comme attributs de la focalisation spatiale, et prolongées par l’idée d’images spatiales claires ou embrouillées, indépendamment d’une définition nette de l’occupation de l’espace. Il faut prendre note ici qu’une image distante tout comme une image proche peuvent être claires ou embrouillées. La seconde variante de la définition d’image est la focalisation concentré/diffus, selon que l’attention de l’auditeur se concentre sur une petite région (centrale) de l’espace ou sur une activité dispersée dans l’espace, ce qui se trouve à son tour lié à l’idée d’un remplissage spatial, que l’espace soit peuplé de façon dense ou clairsemée.

La texture spatiale a trait à la manière dont la perspective spatiale se révèle avec le temps. Il s’agit ici de contiguïté. Un espace contigu se révèle notamment par un mouvement continu dans l’espace (comme dans un geste qui balaie de gauche à droite) ou lorsqu’une spectromorphologie se situe dans un arrangement étendu (sans trous dans l’espace). Un espace non contigu apparaît lorsque des spectromorphologies occupent différents lieux de l’espace, de telle sorte que deux événements successifs n’y sont pas considérés comme voisins : une spectromorphologie n’occupe pas des secteurs contigus de l’espace, non plus qu’elle ne s’y déplace.

La distinction entre contiguïté et non-contiguïté n’est pas nécessairement nette. Il suffit d’imaginer une texture rugueuse, très active et continue, présente dans l’ouverture de l’espace stéréo à plusieurs points-sources marqués d’intensité variable. Ces points-sources sont présentés de façon non contiguë, de sorte que l’attention peut se porter sur n’importe quelle partie de l’espace horizontal où une marque particulière apparaît en relief. L’oreille (l’œil) darde son attention sur des positions non contiguës. Au bout d’un temps suffisamment long, les points individuels de cette texture finissent cependant par être perçus comme un tout et par couvrir un espace contigu. Cet espace se révèle donc erratique et non contigu à un niveau élémentaire, mais contigu à un niveau structural plus élevé, un comportement spatial caractéristique des textures actives. La contiguïté varie dès lors en fonction du niveau structural et elle est déterminée par le type de spectromorphologie ainsi que le degré de continuité dans le temps. Le style de distribution  de l’espace non contigu peut aller des points spatiaux isolés à des dispersions de points dans des régions plus ou moins vastes. Des modèles de distribution peuvent émerger s’il y a récurrence des mêmes positions spatiales ou répétition d’ensembles de positions. Les modèles d’échange gauche-droit, notamment, sont très communs.

On peut représenter l’espace contigu par une spectromorphologie qui couvre toute une région. Mais ce sont les trajectoires gestuelles qui en sont particulièrement caractéristiques. Elles peuvent suivre des chemins directs (linéaires) ou indirects (changements de direction ou trajectoires curvilinéaires variées), et même se subdiviser et se disperser dans de multiples directions. Leur vélocité varie en fonction du profil énergétique désiré de chaque trajectoire relativement à la distance à parcourir, et elles sont très étroitement liées aux modifications d’énergie spectrale. On peut définir cinq chemins fondamentaux représentant les directions, variant de la simple ouverture à l’orientation multiple : l’approche, le départ, le croisement, la rotation et l’errance. Une trajectoire ne provient pas nécessairement d’un point-source concentré. La tête ou le corps d’un geste, au fur et à mesure qu’il se déplace dans l’espace, peut laisser des résidus. Les trajectoires peuvent ainsi laisser des traces, faire des taches ou s’étendre uniformément dans l’espace. Il est d’ailleurs possible que la formation d’un résidu fasse partie de la transformation d’un geste dans un arrangement étendu — en général, l’arrangement étendu est introduit par une trajectoire.

Voici finalement quelques repères qui aideront à définir le style spatial global d’une œuvre dans sa totalité.

1) L’arrangement spatial individuel

L’arrangement individuel se présente sous deux aspects. Une œuvre peut se situer dans un seul type d’espace, dont l’auditeur est conscient dès le départ. D’un autre côté, un espace peut avec le temps révéler ses différents aspects. La conscience spatiale est alors cumulative. L’auditeur se rend finalement compte de la topologie spatiale globale dans laquelle la totalité de l’œuvre s’insère. Il est ainsi peu probable que l’on connaisse les points limites de proximité et de distance d’une œuvre avant que cette dernière se soit déroulée pendant un certain temps.

2) Les arrangements spatiaux multiples

L’auditeur a conscience, tout au long de l’œuvre, de différents types d’espace qui ne peuvent se ramener à un seul arrangement.

3) La simultanéité spatiale

Imaginez qu’il y a juste en face de vous une texture granulaire dont la présence est tout aussi intense que si elle se trouvait effectivement à l’intérieur de votre espace d’écoute, alors que dans le lointain, une porte se ferme dans un grand espace réverbérant. Vous avez conscience d’espaces simultanés.

4) La simultanéité spatiale par implication

Dans la simultanéité par implication, l’auditeur demeure conscient de l’existence d’un espace malgré son absence. Cela peut arriver lorsque, par exemple, des espaces contrastants s’entrecoupent et s’alternent (interpolation spatiale), donnant une impression de simultanéité alors qu’ils se succèdent. On pense ici au lien avec le cinéma où, malgré les coupures, des événements successifs sont tenus pour concomitants.

5) Le passage spatial

Le passage entre espaces peut être soudain (passage interrompu), entrecoupé de façon répétée (passage interpolé) ou plus graduellement fusionné.

6) L’équilibre spatial

Quel est l’équilibre relatif entre les types de perspectives et la texture de l’espace dans l’œuvre ? Y décèle-t-on un accent sur un type d’espace plutôt qu’un autre ? Existe-t-il des échanges alternatifs ou réciproques entre les espaces ?

Remarques finales

La spectromorphologie s’occupe de la perception et de la pensée des énergies et des formes spectrales dans l’espace, de leur comportement, de leur mouvement et de leurs processus de croissance ainsi que de leurs fonctions relatives dans le contexte musical. Même si les détails de la description spectromorphologique peuvent être difficiles à suivre, en particulier lorsqu’on ne possède pas une grande expérience du répertoire de la musique électroacoustique, il est loin de s’agir d’une activité ésotérique. La pensée spectromorphologique est fondamentale et, en principe, aisément compréhensible dans la mesure où elle est basée sur l’expérience des phénomènes sonores et non sonores qui ont lieu à l’extérieur de la musique, un savoir que tout le monde possède. Il s’agit d’une relation forte entre l’extrinsèque et l’intrinsèque. La spectromorphologie possède en ce sens un fondement naturel et dérive d’une base commune et partagée qui fournit un cadre de référence aux œuvres individuelles et culturelles de la musique électroacoustique. Il importe, pour la communication entre le compositeur et l’auditeur, de découvrir et de définir ce lien naturel : les nouveaux « langages » musicaux (si une telle chose est effectivement possible) ou les modifications importantes de langage ne se créent pas dans un vacuum, mais doivent plutôt partager un fondement naturel et culturel s’ils veulent avoir du sens pour les auditeurs. On n’a pas à fournir à l’avance la logique ni la théorie relatives aux changements de langage, mais on doit pouvoir finir par expliquer le fonctionnement de tout « nouveau » langage. Il est ainsi possible, non seulement d’expliquer comment et pourquoi la musique électroacoustique est ce qu’elle est, mais également de nous donner les moyens d’articuler nos problèmes lorsque nous réagissons mal à une œuvre particulière (et il y a plein d’œuvres électroacoustiques qui sont ingrates). Tout ceci est de la plus grande importance dans le cas d’une musique qui se trouve très étroitement liée à un moyen de production — les ordinateurs et la technologie — dont le rôle demeure mystérieux et inaccessible pour la plupart des auditeurs, d’autant plus que les gestes instrumentaux et vocaux traditionnels y sont souvent absents ou, en tout cas, peu apparents au départ. La spectromorphologie donc, en prenant pour point de départ le décodage de la perception, tente de rendre collectivement signifiantes un grand nombre de musiques électroacoustiques individuelles créées depuis la naissance de ce médium dans les années 1950.

 

N O T E S

 

1.         Cet article est une révision de D. Smalley (1986). « Spectro-morphology and Structuring Processes », dans S. Emmerson (dir.), The Language of Electroacoustic Music, Macmillan Press. La densité de cet essai en rendait la lecture difficile et la présente révision est une tentative pour rendre ces idées plus accessibles. J'ai laissé tomber certaines idées et j'ai retravaillé et développé presque toutes les autres en intégrant les plus significatives de mon article « The Listening Imagination : Listening in the Electroacoustic Era », dans J. Paynter, T. Howell, R. Orton, P. Seymour (dir.) (1992). Companion to Contemporary Musical Thought, volume 1, Routledge. Le développement de la spectromorphologie doit beaucoup à Pierre Schaeffer (1966) et à son Traité des objets musicaux, Paris, Seuil.

2.         Pour plus d'information sur ce sujet, voir Annette Vande Gorne (1991). « Vous avez dit acousmatique ? », Musiques et Recherches, Belgique, Ohain.

3.         Les aspects intrinsèques et extrinsèques de la musique sont abondamment discutés dans Jean-Jacques Nattiez (1987) : Musicologie générale et sémiologie, Paris, Christian Bourgois.

4.         L'écoute réduite est un concept schaefferien. Voir Pierre Schaeffer (1966). Op. cit. et Michel Chion (1983). Guide des objets sonores, Paris, Buchet Chastel/INA GRAM.

5.         substitut traduit ici l’anglais surrogate (N. d. T.).

6.         Pour des raisons d'espace, je n'ai pas discuté de façon plus détaillée le son vocal en tant que modèle spectromorphologique. La notion de geste peut bien entendu s’appliquer à la voix par laquelle le son ainsi que l’énergie sont projetés depuis l'intérieur du corps humain.

7.         Le nombre de niveaux a été développé au-delà de ceux qui sont discutés ici dans Denis Smalley (1992). Op. cit.

8.         Dans une grande partie de la musique instrumentale contemporaine, la notation peut être un guide très trompeur aux niveaux élémentaires de structure quand la note écrite n'est pas entendue séparément mais en tant qu'élément d'un geste collectif ou d'une texture. La notation peut nous montrer comment les gestes et les textures sont faites, mais la lecture des notes individuelles ne peut pas nous révéler ce que l'on devrait entendre.

9.           Jean-Jacques Nattiez (1987). Op. cit., p. 108.

10.        Les critères de l'organisation hiérarchique mis en place par Lerdahl peuvent s'appliquer à la musique tonale, mais ils ne conviennent pas à la musique électroacoustique. Bien sûr, cela ne veut pas dire que la musique électroacoustique n'est pas hiérarchique. Voir F. Lerdahl, « Timbral Hierarchies », dans S. McAdam (dir.), (1987). Music and Psychology : A Mutual Regard dans Contemporary Music Review, Harwood Academic Publishers, vol. 2, 1re partie, p. 137-138. Pour la version française : « Les hiérarchies de timbres », dans J. B. Barrière (dir), (1991). Le timbre, métaphore pour la composition, Paris, Christian Bourgois / IRCAM.

 

B i o g r a p h i e

 

La production musicale de Denis Smalley est exclusivement consacrée à la musique électroacoustique. Plusieurs de ses pièces ont été primées au niveau international : Prix Fylkingen (Suède, 1975), prix au Concours international de musique électroacoustique de Bourges (France, 1977, 83, 92), Prix spécial de la Confédération internationale de musique électroacoustique (CIME, 1983) et Prix Ars Electronica (Autriche, 1988).

Par ses écrits et ses conférences, il a apporté des perspectives inédites à la façon de penser l’électroacoustique ; ceci est particulièrement évident dans ses recherches sur la perception et l’interprétation de l’électroacoustique par l’auditeur, ainsi que dans la mise au point de la notion de « spectromorphologie » (l’évolution temporelle des spectres sonores).

Denis Smalley est né à Nelson (Nouvelle-Zélande) en 1946. Ayant fait preuve très tôt de talent pour le piano et l’orgue, ainsi que comme choriste, il étudie la musique à l’University of Canterbury, avant de passer à la Victoria University of Wellington où il obtient un diplôme de composition avec mention. Il poursuit à la même époque des activités d’organiste de concert et donne les premières interprétations en Nouvelle-Zélande de la musique de Messiaen et de Ligeti. Après son départ de l’université, il devient directeur du département de musique au Wellington College durant près de trois ans avant de recevoir une bourse d’étude de l’État français qui lui permettra de passer un an au Conservatoire de Paris, dans le cours de composition de Messiaen. Il suit en même temps le stage de composition électroacoustique au Groupe de recherches musicales (GRM) et obtient le Diplôme de musique électroacoustique et de recherche musicale. Il s’établit par la suite à York (Royaume-Uni), et obtient un doctorat en composition à l’université de cette ville. En 1976, il obtient une charge de cours au département de musique de la University of East Anglia à Norwich (RU). Il est promu professeur attitré en 1988 et devient directeur du studio de musique électroacoustique de l’université. [décembre 1992]. Depuis 1994, il enseigne à la City University à Londres (RU).