L’apport des techniques d’enregistrement dans la fabrication

de matieres et de formes musicales nouvelles.

Applications à la musique concrète.

Jacques Poullin

 

 

[Cet article historique a été écrit en XXXX, alors que Jacques Poullin, collaborateur de Pierre Schaeffer, était chef de travaux au Groupe de Recherches de Musique Concrète de la Radio-Télévision Française]

La musique, dans son déroulement temporel, ne permettait pas jusqu’ici de nous attacher aux phénomènes sonores instantanés dont la succession dans le temps constitue la matière musicale. Les techniques électroacoustiques et d’enregistrement permettent de soumettre les matériaux élémentaires à une analyse et d’opérer sur ces matériaux un certain nombre de manipulations qui aboutissent à leur transformation dynamique et spectrale.

Un certain nombre d’appareils utilisés par le Groupe de Recherches de Musique Concrète, dirigé par Pierre Schaeffer, s’attachent plus spécialement à la transposition harmonique du spectre sonore (phonogènes) ou à l’évolution de la forme dynamique (morphophones).

Les techniques du montage par juxtaposition et du mixage sur magnétophones multipistes donnent aux expérimentateurs toutes les possibilités de composition des éléments sonores ainsi manipulés.

Les magnétophones multipistes convenablement associés à un dispositif régulateur permettent, en outre, la projection spatiale statique (localisation par l’auditeur de diverses sources sonores fixes à l’intérieur d’un espace de reproduction) ou cinématique (déplacement dans l’espace d’images sonores commandé à distance par les mouvements d’un opérateur au cours du déroulement de l’enregistrement).

Le Groupe de Recherches de Musique concrète par une utilisation convenable de ces diverses techniques met ainsi à la disposition des musiciens un ensemble de procédés qui contribuent, dans des domaines divers, à l’enrichissement des moyens d’expression musicale.

1.         Introduction

Un des aspects, peut-être le plus inattendu, de l’enregistrement sonore est de nous faire prendre conscience de la valeur objective de la matière musicale ordinairement fugace. Les phénomènes sonores, dans leur déroulement temporel, échappent à toute analyse matérielle. Des jugements d’ordre esthétique, affectif ou simplement informatif peuvent être portés sur un ensemble de phénomènes où chaque constituant n’est jamais retenu isolément pour lui-même et ne prend de signification qu’associé à son contexte. Une analyse élémentaire peut évidemment être effectuée par notre esprit, mais seul le support matériel du temps que constitue l’enregistrement permet d’y apporter la rigueur scientifique.

Le découpage arbitraire d’un fragment sonore enregistré, qui peut être reproduit semblable à lui-même autant de fois qu’on le désire nous conduit à le considérer comme un objet sonore décomposable ou non en objets plus simples.

Cet objet possède une existence matérielle, il peut être analysé physiquement et musicalement et un jugement de valeur peut lui être porté, pour lui-même, indépendamment de l’ensemble du phénomène duquel il est prélevé. Après analyse, cet objet peut être classé et noté d’après un certain nombre de critères qui permettent de l’identifier et de le reconnaître, il peut être transformé par des manipulations électroacoustiques et donner naissance à de nouveaux objets.

Le langage défini par l’organisation temporelle d’objets sonores constitue l’objectif de recherches des musiciens du Groupe de Recherches de Musique Concrète, nous ne nous étendrons pas ici sur les conséquences d’ordre musical de cette démarche, mais nous nous proposons d’en étudier les aspects techniques représentés par la notation, la fabrication, la composition des objets sonores et la projection, en salle de concert, des œuvres élaborées.

2.              Analyse et notation des objets sonores

            2.1. Choix d’un système de notation.

La première préoccupation du musicien concret est la classification et la notation des objets sonores. Ceux-ci peuvent être prélevés dans des matières musicales ou non et leur nombre et la complexité de leur structure rendent parfaitement inadéquat l’usage de la notation de la musique traditionnelle. Théoriquement, seule la représentation analytique de tous les caractères physiques constitutifs permet une classification rigoureuse. Cependant, pour son utilisation musicale, une notation symbolique des impressions physiologiques engendrées par le phénomène sonore, à l’image de la notation musicale classique est certainement plus appropriée mais, avant d’en arriver là, il convient d’approfondir l’aspect physique de ce phénomène et ses différentes formes représentatives possibles.

            2.2. Critique de la représentation analytique classique.

Une vibration sonore est le plus souvent représentée sur un système de coordonnées rectangulaires : y = i, x = t qui permet de fixer la variation de son intensité instantanée en fonction du temps ; ce système de représentation est fréquemment utilisé pour l’analyse des vibrations périodiques (fig. 1).

Fig. 1 – Représentation analytique classique

Une telle courbe contient implicitement tous les caractères physiques qui définissent le son représenté ; les échelles des intensités et des temps étant référencées, la période T définit la fréquence, donc la hauteur, l’analyse harmonique de la fonction I = f(t) nous renseigne sur le spectre, donc sur le timbre ; l’intensité sera fonction de l’intensité maximum et du coefficient de forme de la courbe représentative, plus exactement, elle sera la somme des intensités efficaces de chacun des termes de la série harmonique.

La phase j, le rang n, le nombre et l’intensité de chaque harmonique définissant le spectre, l’intensité physique du son sera donnée par la relation.

Même si on se borne à représenter un son périodique, l’interprétation physiologique du phénomène reste extrêmement délicate car il est nécessaire, à chaque instant, d’expliciter les indications contenues dans le graphique, telles que la fréquence, l’intensité et le timbre, ce qui n’est pas immédiat. En supposant que l’on puisse facilement interpréter l’échelle des temps, un entraînement préalable nous ferait associer, bientôt, à toute appréciation de la période T une notion de hauteur, mais il restera pratiquement impossible de déduire instantanément une notion de timbre et d’intensité physiologique par l’examen de la courbe.

Cette interprétation se complique encore si on considère, d’une part, que la sensation de timbre est indépendante de la phase des formants du spectre, (des courbes différentes pourront ainsi représenter des sensations sonores semblables), et, d’autre part, que l’intensité physiologique n’est pas une fonction simple de l’intensité efficace précédemment définie. En effet, les intensités efficaces de chaque harmonique doivent être affectées d’un coefficient qui tient compte de la non-linéarité de la réponse en fréquence de l’oreille, cette non-linéarité étant elle-même fonction du niveau (courbe de Fletcher).

En pratique, un phénomène sonore est rarement périodique même en restant dans les limites de la note telle qu’on la définit en musique. Si pendant un certain temps on peut y découvrir une pseudo-période (régime permanent du corps de la note) qui précise la hauteur, une analyse plus poussée nous montre que la forme du signal varie d’une pseudo-période à l’autre, cette variation étant due à l’évolution dynamique et spectrale de la note en fonction du temps (dans certains cas on enregistre, en outre, une modification périodique de la fréquence moyenne : vibrato).

Cette évolution est fonction du mode d’attaque de l’instrument, du mode d’entretien des vibrations et des conditions d’extinction du son. Le mode d’entretien ayant, justement, pour but d’ “entretenir” le plus longtemps et de la façon la plus homogène possible le régime permanent, c’est à l’attaque et à l’extinction que les variations de formes sont prédominantes. A l’attaque, le phénomène passe par des régimes transitoires et non périodiques avant de se stabiliser. Ainsi apparaissent des partiels étrangers à la série harmonique du son fondamental qui se superposent pendant un certain temps au corps de la note et peuvent, dans certains cas, se combiner, soit entre eux, soit avec les harmoniques pour former des sons différentiels.

A l’extinction, le phénomène se complique par la réaction de la salle d’écoute, la nature de la réverbération entraînant un amortissement plus ou moins rapide des différents composants du spectre (couleur sonore).

Une courbe I = f(t) telle que celle qui est représentée (fig. 1) contiendra toujours implicitement tous les renseignements concernant l’évolution des diverses caractéristiques du son mais on conçoit que son analyse, en vue d’une interprétation de la sensation physiologique soit pratiquement impossible.

              2.3. Représentation séparée de l’évolution des divers composants du spectre.

La visualisation des caractères dominants qui déterminent la sensation physiologique produite par un son nous est mieux représentée si on effectue préalablement la décomposition des termes de la série harmonique (cas d’une note à caractère périodique) et si on représente séparément les divers formants sur des axes de coordonnées différents.

Fig. 2 – Représentation séparée de l’évolution des divers composants du spectre

L’évolution du fondamental et des divers harmoniques nous renseignera plus immédiatement sur la variation de timbre qui s’opère sur la note au cours de son déroulement dans le temps (fig. 2).

Il convient de remarquer que la décomposition en série de Fourier n’est pas une pure abstraction mathématique mais qu’elle se justifie pleinement si on considère le mécanisme de l’audition, en effet, l’oreille procède d’abord à l’analyse des sons complexes, elle perçoit séparément les sons simples qui les composent à l’aide d’un nombre fini de résonateurs à bande suffisamment large pour recouvrir toute l’étendue du spectre audible (Helmholtz). La sensation affective est évidemment une synthèse des diverses excitations à l’image du phénomène mécanique initial mais chacun des constituants élémentaires n’en possède pas moins une réalité objective.

Nous avons vu que dans le cas général d’un phénomène sonore, chacun des formants subit une modulation d’intensité qui lui est propre, au cours de son évolution, autrement dit, chaque facteur tel que In qui définit l’amplitude du terme correspondant est lui-même une fonction du temps et le terme général de la série s’écrit alors :

Fig. 3 – Représentation simplifiée d’une note de hauteur fixe

Ce sont les fonctions telles que Gn (t) qui nous permettent d’apprécier les variations du niveau physiologique du phénomène.

Pn étant un coefficient propre à chaque terme tenant compte des courbes de Fletcher. Mais, si on se rappelle Pn est à la fois fonction de la fréquence, de l’intensité, donc de  Gn (t) et des individus, on conçoit que l’évaluation du niveau physiologique d’après les courbes physiques ne puisse être qu’une appréciation.

La représentation graphique des fonctions, telles que :

n’apporte aucune indication complémentaire sur l’évolution du son, un simple chiffre notant la valeur de la fréquence porté comme une indication paramétrique sur chaque courbe telle que Gn (t) nous renseignera suffisamment et une représentation commode d’une note de hauteur stable pourra être telle que la figure 3.

              2.4. Représentation tridimensionnelle de P. Schaeffer.

Pratiquement, même dans le cas d’une note simple et à fortiori pour les notes complexes utilisées en Musique Concrète, la hauteur n’est pas rigoureusement stable et les diverses composantes subissent des translations en fonction du temps qui peuvent être périodiques (vibrato d’une chanteuse), continues (glissando de guitare hawaïenne) ou quelconques (variations mélodiques d’une note complexe).

D’autre part, au-delà des limites de la note, si on désire représenter un événement sonore quelconque, on est obligé de suivre l’évolution du phénomène sur un système de trois coordonnées référençant, le niveau, la fréquence et le temps. Cette représentation permet de figurer également, les sons, non périodiques à spectres complexes continus ou discontinus et les bruits dont les composantes ne font plus partie d’une série harmonique.

La figure 4 représente, par exemple, une bande découpée dans un bruit blanc avec attaque et chute brusques. Ainsi, les sons à spectre continu seront représentés par des surfaces dont les directrices représenteront à chaque instant les courbes du niveau en fonction de la fréquence, les génératrices représentant les courbes de niveau en fonction du temps pour chaque valeur de fréquence.

Un bruit blanc qui contient statistiquement toutes les fréquences du spectre avec des amplitudes égales sera figuré par un plan parallèle au plan TOF coupant l’axe ON à la valeur N, définissant son niveau.

Fig. 4 – Bande découpée dans un bruit blanc avec attaque et chute brusques

Si l’axe ON mesure le niveau physiologique la représentation du bruit blanc, pour un niveau donné, sera une surface dont la directrice figurera la courbe issue du réseau de Fletcher pour le niveau considéré et dont la génératrice sera une droite parallèle à OT (fig. 5).

Fig. 5 – Impression physiologique produite par un bruit blanc

Les sons à spectres discontinus (dont les sons périodiques sont un cas particulier) seront représentés par des lignes sans épaisseur dont les projections sur les plans TOF et TON figureront respectivement les modifications de fréquence et de niveau des différents composants du spectre (fig. 6).

Fig. 6 – Note complexe

On voit que si ce procédé donne une représentation satisfaisante de l’évolution de chacun des paramètres déterminant l’impression physiologique produite par un phénomène sonore, il devient très vite difficile de noter dans une seule figure toutes ses fluctuations. On se bornera, dans la plupart des cas, à indiquer l’allure de l’évolution des principaux formants, une telle figure, même très schématisée, nous renseignera beaucoup plus efficacement sur les qualités physiologiques du son, que la rigueur mathématique indiscutable. que nous fournit là représentation classique de la figure 1, — toutefois, nous devons convenir que si cette dernière peut être obtenue immédiatement à l’aide d’un oscillographe cathodique par exemple, la représentation tridimensionnelle fait appel à des moyens d’analyse beaucoup plus délicats.

Une représentation analytique aussi approfondie qu’on le désire, compatible avec une figuration commode, sera obtenue par l’utilisation séparée d’autant de plans parallèles aux plans de coordonnées qu’il sera nécessaire. On pourra, par exemple, figurer le spectre complet du phénomène à un instant déterminé, ou suivre sur un autre graphique l’évolution en fréquence de chacun des formants.

            2.5. Notation symbolique.

La représentation tridimensionnelle ne s’adapte pas plus à l’écriture musicale que la notation musicale traditionnelle ne convient à la représentation d’objets sonores complexes, cependant, elle nous permet de dégager les paramètres essentiels d’identification de ces objets en vue de définir une, notation symbolique plus proche de nos habitudes musicales et surtout plus commode ; les objets complexes ne peuvent évidemment pas être représentés simplement mais il convient de dégager les caractères dominants permettant une identification suffisante et susceptibles d’être symbolisés par un nombre limité de signes conventionnels.

Fig. 7 – Notation symbolique de la note complexe représentée fig. 6. Le symbole figuré entre les deux portées et normalement utilisé pour désigner une croche, définit, ici, le caractère de l’attaque du son (attaque éolienne). Les lettres disposées au-dessus de la portée dynamique définissent conventionnellement le timbre. Cette notation peut comporter des indications symboliques de filtrage ou de réverbération artificielle.

P. Schaeffer expérimente actuellement un système de notation qui n’est d’ailleurs certainement pas définitif et sur lequel nous ne pouvons nous étendre ici. Ce système « utilise simultanément deux portées étalonnées dans le temps sur lesquelles sont figurées parallèlement des indications mélodiques et dynamiques, les caractères d’attaque, d’entretien et d’extinction sont représentés conventionnellement par des signes appropriés. La portée dynamique peut être affectée d’une clef dont le rôle est analogue à la clef de la portée » mélodique et qui référence l’échelle verticale de la représentation symbolique.

Cette notation interprète ainsi deux plans du trièdre de référence à l’exclusion du plan harmonique ou des timbres. Cette dernière notion est momentanément définie par un code où les grandes familles sont identifiées par des lettres que l’on dispose à l’origine de la notation de l’objet sonore considéré (fig. 7).

3.         Fabrication des objets sonores.

              3.1. Prélèvements.

Toute coupe convenable dans le déroulement d’une matière sonore enregistrée constitue un prélèvement style='font-size : 9.0pt ; font-family : Times'>(1) qui donne immédiatement naissance à un objet sonore. La matière de départ peut être le résultat brut d’une prise de son directe effectuée spécialement en vue de créer un objet précis ou la résultante d’un certain nombre d’opérations électroacoustiques simultanées (mixage de diverses sources sonores directes ou enregistrées, soumises à une réverbération artificielle, sélective ou non, ou à des filtrages électriques appropriés).

Lorsque l’objet choisi est suffisamment simple, on peut dissocier, au moins par la pensée, sa matière (notion harmonique) de sa forme (notion dynamique). Les instruments et procédés de Musique Concrète tendent à modifier l’un ou l’autre de ces caractères fondamentaux. P. Schaeffer appelle transmutation « toute manipulation dont l’effet porte essentiellement sur la matière de la structure sans altérer sensiblement la forme » et transformation « toute manipulation qui s’attache à changer la forme de la structure plutôt que sa matière ».

              3.2. Transmutations.

A. Filtrage et transposition totale. — Nous n’insisterons pas sur l’emploi des filtres électriques (passe-haut, passe-bas et passe-bande) qui permettent la suppression de bandes de fréquence et entraînent facilement des modifications de timbre, par contre, nous étudierons plus spécialement un des appareils de base utilisé en musique concrète : le phonogène, qui opère une transposition totale du spectre en utilisant à la lecture du matériau enregistré une vitesse de déroulement différente de celle qui fut utilisée pour son enregistrement.

B. Principe de fonctionnement du phonogène. — En enregistrant un signal sinusoïdal de fréquence/ sur une bande magnétique défilant à la vitesse V on provoque sur le rapport une induction rémanente

est la longueur d’onde du si mal enregistré.

Lorsque ce support défile devant une tête de lecture à la vitesse V’ on recueille aux bornes de la tête une tension :

Cette relation nous montre que l’amplitude et la fréquence de la tension sont proportionnelles à la vitesse de lecture V’. Les variations de défilement. à la lecture auront la même incidence sur l’amplitude de la tension de sortie que les variations de la fréquence du signal enregistré. La courbe de réponse de la tête étant normalement corrigée dans l’amplificateur de lecture, la tension de sortie sera donc finalement indépendante de la vitesse de défilement, par contre, la fréquence f du signal obtenu à la lecture correspondra à la fréquence du signal enregistré que si V = V’ dans la négative

Plus généralement, un signal complexe à la vitesse V, défini par la série de Fourier, engendrera en fonction de la vitesse de lecture, une tension de la forme

La fréquence de chaque terme étant multipliée par le facteur V / V’ on assiste à une translation du spectre sur l’axe des fréquences, c’est-à-dire à une transposition musicale du phénomène sonore enregistré. Nous appellerons rapport de transposition le

rapport  R = V / V

C. Transposition d’une note simple. La transposition d’une note musicale simple opérée à l’aide du phonogène diffère sensiblement de la transposition opérée directement, à l’aide de l’instrument, qui lui a donné naissance :

a) la transposition harmonique est accompagnée d’une transposition de la durée qui varie évidemment comme le rapport de transposition ;

b) le phonogène opère une translation rigoureuse du spectre alors que ce phénomène est beaucoup moins rigoureux dans le cas de la transposition directe. En effet, si, dans un instrument, le rapport des divers harmoniques est suffisamment constant d’une note à l’autre pour que l’oreille puisse reconnaître une homogénéité du timbre qui caractérise l’instrument, les amplitudes des divers composants sont  susceptibles de varier dans des proportions non négligeables, pour une même note, des fluctuations d’amplitude s’observent déjà en fonction de l’intensité des attaques ;

c) la transposition opérée par le phonogène s’effectue non seulement sur tous les composants qui caractérisent la série harmonique définissant les oscillations pseudo-périodiques mais sur tous les phénomènes qui caractérisent le mode d’attaque, le régime d’entretien et les conditions d’extinction de la note (durée des régimes transitoires, fréquence et forme des fluctuations dynamiques, fréquence des partiels).

Ainsi, la transposition dans le grave entraînera une augmentation de la durée d’extinction, donc de la réverbération apparente, inversement, un timbre transposé dans l’aigu sera plus sec et plus mat que le timbre de départ.

Ce sont les phénomènes transitoires propres à l’instrument (forme de l’attaque et variations dynamiques de l’entretien) qui autant que son spectre harmonique nous permettent son identification, l’expérience classique qui consiste à modifier convenablement à l’enregistrement les attaques et l’aspect dynamique des notes émises par un piano pour lui donner une “sonorité” d’orgue est, dans ce sens, suffisamment concluante ; on conçoit que la transposition des partiels issus des régimes transitoires donne naissance à un timbre substantiellement, différent de celui qui aurait. pu être obtenu par une transposition instrumentale directe.

D. Transposition d’une note complexe. — Par définition, la note de musique traditionnelle est un son de hauteur fixe d’une durée variant de quelques secondes au 1/10 de seconde émis normalement par un instrument de timbre -référencé que les luthiers ont rendu non pas le plus pur mais le plus agréable possible. Le plus souvent, l’intensité du son varie après son émission suivant une loi décroissante simple.

La note complexe utilisée en musique concrète est une généralisation de la note traditionnelle, elle s’étend à tout phénomène sonore dont on petit déterminer un début, un développement simple et une extinction. Elle peut être une superposition de notes simples (accord) ou le résultat de la  mise en résonance d’un corps sonore, donnant naissance à des phénomènes périodiques ou bien encore une note  artificielle obtenue par montage ou prélevée dans un complexe sonore quelconque. Physiquement, la note complexe est un. son qui. peut subir, au cours de son déroulement, des variations dynamiques, mélodiques et. spectrales et dont le spectre peut contenir une superposition de plusieurs séries harmoniques et de partiels étrangers à ces séries. La transposition de l’ensemble des composants donnera naissance à des combinaisons variées entraînant de profondes altérations du timbre de départ.

E. Transposition d’un bruit. — Ainsi, un objet sonore transposé s’éloigne d’autant plus du phénomène original que celui-ci s’éloigne lui-même du son périodique simple. Pour les sons musicaux, les modifications des caractéristiques du timbre seront d’autant plus importantes que les transitoires d’attaque et d’extinction prédomineront. On conçoit que pour les sons non périodiques (bruits) où les phénomènes transitoires sont seulement représentés, la transposition totale entraîne une véritable transmutation du son. Un tel signal transposé peut ainsi donner naissance à un phénomène sonore qui, à l’audition, ne rappelle en rien le son d’origine.

F. Transposition de la voix. — On pourrait songer à utiliser le phonogène pour opérer des transpositions sur les voix, mais indépendamment de l’accélération ou du ralentissement du débit d’élocution que l’on peut toujours — compenser par une modification appropriée du débit à l’enregistrement, on constate que l’intelligibilité décroît très vite en fonction du rapport de transposition, en particulier les voyelles deviennent totalement méconnaissables. Cela paraît surprenant a priori  puisque les voyelles correspondent au régime permanent (pseudo-périodique) de la voix et on a vu que, dans ce cas, l’altération du timbre, par transposition au phonogène, est minimum par rapport à l’altération provoquée par une transposition directe.

En fait, il convient de dissocier dans le spectre d’une voyelle les fréquences qui caractérisent la hauteur et le timbre de la voix qui la prononce, et les fréquences caractéristiques qui définissent cette voyelle, autrement dit le spectre particulier à chaque voyelle module à chaque instant le spectre de la voix qui l’émet mais ne suit pas son évolution dans la tessiture. Il est évident que le phonogène, en transposant le spectre caractéristique voyelles, entraîne leur déformation, on constate néanmoins une tolérance de l’ordre du 1/3 d’octave pour laquelle l’intelligibilité n’est pas sensiblement affectée.

G. Transposition des cellules. — Une cellule ne présente pas les caractères définis de la note complexe et peut être la superposition ou la juxtaposition de phénomènes élémentaires dont la complexité ou la densité permet difficilement une décomposition de l’ensemble en notes complexes ou non. Une cellule peut aussi être plus simplement une succession de notes dissociables mais dont l’évolution (rythmique, mélodique ou spectrale) possède un intérêt intrinsèque, le découpage temporel ayant été guidé par des considérations d’ordre musical.

La transposition de durée qui accompagne la transposition harmonique est d’un intérêt secondaire, voire inopportun, dans le cas de notes isolées, mais cette possibilité de changer l’échelle du temps, de contracter ou d’étirer un phénomène sonore dans des limites inusuelles peut donner naissance à des effets dramatiques intéressants (analogie au ralenti et à l’accéléré du cinéma). Sur le plan musical traditionnel, la transposition du temps permet d’extrapoler les possibilités des instrumentistes de même que la transposition harmonique extrapole celle des instruments.

Physiologiquement, la contraction dans le temps d’une cellule entraîne une intégration par l’oreille de certains phénomènes qu’elle ne peut plus dissocier temporellement. Dans certains cas, une cellule ainsi contractée peut devenir note complexe, les phénomènes composites disparaissant pour se substituer à un son bref d’apparence homogène et de hauteur mal définie. Pourtant, une succession de transpositions convenables dans le sens des vitesses croissantes permettra l’exécution d’un dessin mélodique.

Inversement, l’étirement dans le temps d’une note complexe fait apparaître de nouveaux phénomènes que l’oreille perçoit alors successivement ; ainsi,  indépendamment des limites entraînées par les courbes de réponse de l’appareil et de l’oreille, on assiste à une nouvelle borne inférieure de transposition ; on définirait symétriquement une borne supérieure déterminée par le seuil de sensibilité, temporelle de l’oreille.

H. Réalisation phonogène — Le phonogène à clavier (brevet Schaeffer, constructeur Tolana) comporte essentiellement un système d’entraînement à douze vitesses différentes d’une boucle fermée de bande magnétophonique composé de douze galets de diamètres convenables, le clavier permettant l’embrayage de la bande sur tel ou tel d’entre eux. Le rapport des douze vitesses correspond au rapport des fréquences de la gamme chromatique tempérée de Bach. Le moteur d’entraînement à deux vitesses double les possibilités de transposition immédiate qui couvrent ainsi deux octaves. En fait, il n’y a pas de limites mécaniques à la transposition : en s’adjoignant un magnétophone ordinaire pour effectuer des copies intermédiaires, il est possible d’enregistrer sur une boucle défilant à la vitesse inférieure (ou supérieure) des phénomènes issus d’une boucle, lue à la vitesse supérieure (ou inférieure), la nouvelle boucle enregistrée pourra ainsi être transposée de deux nouvelles octaves dans le sens choisi, et ainsi de suite.

Les circuits électriques de lecture et d’enregistrement ne diffèrent pas de ceux d’un magnétophone standard ; l’appareil comporte donc un amplificateur, une tête d’effacement (amovible), une tête qui, par commutation, sur l’amplificateur, sert alternativement à la lecture et à l’enregistrement. La bande étant préalablement effacée à l’aide de la tête d’effacement amovible, l’opération d’enregistrement permet d’isoler au moment voulu par l’opérateur tout fragment sonore préalablement choisi et convenablement repéré par lui. Ce fragment peut être immédiatement lu à 24 vitesses différentes modifiant ainsi son rythme, sa durée et son timbre. Par un dispositif annexe de poulies de renvoi, la bande peut être amenée à une longueur suffisante pour contenir les fragments de longueur maxima utilisés dans les manipulations.

Fig. 8 – Le Phonogène

Une variante de cet appareil (phonogène à coulisse) réalisée par les Établissements S. A. R. E. G. permet d’obtenir un défilement de la bande à des vitesses continûment variables et est susceptible d’être chargé indifféremment par des boucles fermées de longueur variable ou des bobines standard supportées par des flasques.

              3.3. Transformations.

A. Transformations par montage. — Des modifications dynamiques d’un objet sonore sont immédiatement obtenues par action directe sur le gain de l’amplificateur de lecture à l’aide du potentiomètre de réglage, mais la constante personnelle de l’opérateur ne permet que des modifications très limitées, surtout vis-à-vis des objets sonores courts. L’usage de la réverbération artificielle et l’inversion pure et simple des objets (inversion du sens de défilement de la bande) sont également des procédés d’application immédiate.

Les transformations par montage (découpage et collage de bandes magnétiques) sont plus délicates et souvent assez décevantes. Chaque objet sonore pouvant être décomposé en éléments a, b, c..., la permutation ou le retrait de certains d’entre eux donnent naissance à des formes artificielles dont la résonance des corps naturels ne fournit pas d’exemples. En fait, les formes dynamiques obtenues présentent de très grandes discontinuités aux points de juxtaposition. Il s’établit ainsi, à chacun de ces points, des régimes transitoires engendrés par les constantes de temps des circuits électroacoustiques de lecture et d’enregistrement et on assiste à la naissance de nouveaux partiels qui définissent, à chaque point de juxtaposition, des attaques artificielles. L’usage de la réverbération permet d’atténuer l’aspect hétérogène des objets ainsi manipulés (fig. 9).

Fig. 9

B. Le morphophone. — Cet appareil est essentiellement un magnétophone fonctionnant sur boucle fermée et possédant dix têtes lectrices, chaque tête attaquant un préamplificateur dont on peut modifier le gain et la courbe de réponse à l’aide de filtres simples. Les préamplificateurs débitent, en mélange, sur l’amplificateur de sortie (constructeur S. A. R. E. G.).

Une première utilisation de l’appareil est d’engendrer une réverbération artificielle de forme et de couleur variables puisque la durée de l’extinction de tout phénomène sonore sera prolongée suivant une loi qui dépendra des réglages des préamplificateurs de lecture. D’autre part, un élément de matière homogène de dynamique stable défilant successivement devant les têtes lectrices subira une modulation dynamique et accessoirement, si on le désire, des variations spectrales.

Toutefois, si les divers réglages de l’appareil permettent  de déterminer a priori l’aspect dynamique d’un objet sonore, ils ne peuvent recréer des attaques assimilables aux attaques instrumentales dont les durées peuvent être de l’ordre de 1/100 de seconde. Pour imprimer à l’objet des transitoires d’attaque préalablement fabriqués par un système auxiliaire, A. Moles a imaginé un dispositif qui consiste à faire précéder les têtes lectrices d’une tête d’effacement dont on peut faire varier l’efficacité suivant une loi conditionnée par ce système auxiliaire. Le dispositif actuellement à l’étude permettrait la substitution d’un transitoire initial par un transitoire déterminé. Le transitoire initial préalablement lu et détecté aurait pour effet de déclencher, au moment opportun, une modulation de l’oscillateur d’effacement suivant la loi d’attaque choisie. On serait ainsi maître de la loi d’émergence du phénomène sonore dans les limites de temps qui pourraient être de l’ordre des durées d’attaques instrumentales. pincées ou percutées.

C. Vers une transformation totale. — Le problème général de la transformation dynamique d’un phénomène S Gn (t) sin (n w t -jn)

consiste à substituer à la fonction G’n (t) une fonction différente   G’n (t).

Dissocier la fonction “forme” de la fonction “matière” reste le pont aux ânes de la musique concrète. S’il est relativement aisé de détacher la forme d’un phénomène, par détection de son enveloppe par exemple, pour l’imprimer à l’aide d’un modulateur à un autre phénomène, il est moins concevable que l’on puisse par une manipulation quelconque recueillir une matière dépouillée de sa forme. Toutefois, dans la mesure où les procédés de musique concrète sont susceptibles de livrer sur une boucle magnétique des matières dites homogènes, c’est-à-dire dont le timbre et le niveau sont suffisamment constants dans le temps, il est possible, théoriquement, d’imposer à ces matières des formes précises à l’aide de modulateurs de types classiques et les techniciens du Groupe s’orientent actuellement vers l’étude de “générateurs de formes dynamiques” qui, convenablement jumelés au phonogène, donneraient à ce dernier de nouvelles possibilités techniques.

4.          Composition des objets sonores

Les procédés de la composition musicale ne nous intéressent pas ici, seules les préoccupations techniques auxquelles ils conduisent seront exposées brièvement. Elles ne posent, d’ailleurs, que des problèmes relativement simples puisqu’il s’agit soit, de composer une ligne mélodique par juxtaposition d’objets sonores, soit de superposer ces objets pour composer des ensembles harmoniques. Les opérations classiques de montage par collage bout à bout d’éléments enregistrés sur bande magnétique satisfont très rigoureusement au premier cas, le découpage de la durée étant ramené à des mesures de longueur de bande qui peuvent être aussi précises qu’on le désire. Les opérations de superposition sont d’autre part résolues par un magnétophone à trois bandes défilant en synchronisme (constructeur Tolana) qui permet l’audition et le repiquage simultané d’objets sonores séparés matériellement.

L’ensemble de plusieurs bandes composées pour être diffusées simultanément et lues sur l’appareil à trois bandes est recopié soit sur une piste unique de bande magnétique standard, soit sur une bande large comportant plusieurs pistes, chacune de ces pistes représentant une voix d’orchestration. La différenciation de ces voix permet alors la projection spatiale. Pour limiter le nombre d’appareils utilisés, ce magnétophone à plusieurs pistes est du type à bande perforée, ce qui facilite les applications de la musique concrète au cinéma et à la télévision.

5.           Projection sonore.

              5.1. Reproduction ponctuelle.

La musique concrète, par essence même, n’existe qu’enregistrée ; elle ne peut être livrée à l’audition que par l’intermédiaire de chaînes électroacoustiques. Dans le cas de l’utilisation d’un canal unique la source ponctuelle de reproduction néglige notre possibilité d’un repérage spatial des diverses sources composites, cependant souhaitable, ne serait-ce que pour diminuer les effets de masques qui limitent les superpositions de timbres trop riches ou trop voisins. C’est néanmoins le cas de toute musique radiophonique, et la reproduction de la musique concrète ne pose pas de problème particulier par rapport à ceux d’une retransmission normale si ce n’est celui d’un cadrage et d’une décompression convenable de la dynamique en fonction de la salle d’écoute, de l’auditoire et du caractère de l’oeuvre.

              5.2. Relief statique.

Les magnétophones multipistes permettent la projection sonore des diverses parties d’une composition en des points différenciés de l’espace de reproduction. Les points de localisation spatiale ne sont d’ailleurs pas limités au nombre des pistes (ou des haut-parleurs correspondants). Divers expérimentateurs et plus récemment J. Bernhart et J.-W. Garrett ont mis au point des procédés utilisant deux pistes qui permettent le repérage de sources virtuelles sur une ligne joignant les deux haut-parleurs de reproduction disposés normalement à droite et à gauche de l’auditeur. D’autre part, la théorie des plans sonores et nos habitudes de l’écoute radiophonique nous ayant familiarisés avec une localisation subjective des sources dans le sens de la profondeur (ou plus exactement une notion de la proximité sans distinction précise de direction), les procédés stéréophoniques à deux voies restituent avec une approximation suffisante des phénomènes sonores situés dans un plan qui ne pourrait être convenablement défini que par un système à trois canaux.

Fig. 10 – Installation de projection spatiale

L’utilisation de quatre voies de reproduction permet de définir un volume à l’intérieur duquel il est théoriquement possible de créer autant de sources virtuelles qu’on le désire, par une répartition convenable des intensités d’enregistrement sur chacune des pistes. L’auditeur, par une disposition appropriée des quatre haut-parleurs de reproduction (fig. 10), perçoit alors des impressions auditives de toutes les directions de l’espace qui l’environne et se trouve placé au centre d’un volume d’informations sonores, ce qui est évidemment inhabituel dans les cas normaux de l’écoute musicale pour lesquels l’orchestre se situe, le plus souvent, dans un plan face au public.

Fig. 11

              5.3 Relief cinématique.

On sait qu’il suffit de modifier sur chaque piste la répartition des intensités d’enregistrement pour engendrer à la reproduction des déplacements de la source sonore. Il est également possible d’obtenir ces déplacements, directement à la reproduction, à partir d’une piste unique alimentant quatre voies de projection sonore pour lesquelles il a été prévu un dispositif commode de réglage de la répartition des gains des divers amplificateurs.

Projeter le son dans l’espace, et l’y déplacer au cours même de la reproduction, devait être une suite logique aux préoccupations du Groupe de Recherches de Musique Concrète. En outre, pour établir un contact direct avec le public, et restituer une présence humaine au cours de l’exécution des œuvres, P. Schaeffer a imaginé un dispositif qui permet à un opérateur-exécutant d’imprimer des trajectoires sonores à partir des gestes qu’il décrit directement devant l’auditoire. Pour ce faire, l’opérateur tient dans la main une bobine émettrice alimentée par un courant alternatif et se trouve placé à l’intérieur d’un volume défini par quatre bobines réceptrices réparties autour de lui, par exemple à sa droite, à sa gauche, au-dessus et devant lui (fig. 10). Ses mouvements engendrent aux bornes des bobines réceptrices des tensions induites variables qui convenablement amplifiées et redressées fournissent la  tension anodique à des étages modulateurs insérés dans chacun des quatre canaux d’amplification.

              5.4. Équipement de projection spatiale.

Le jumelage d’un magnétophone à cinq pistes et d’un système de commande cinématique à bobines lié à une chaîne de reproduction comportant quatre voies permet d’obtenir simultanément :

a) Une restitution de sources quelconques à l’intérieur d’un volume, la position statique ou les déplacements des diverses sources étant conditionnés par la répartition de l’intensité correspondant à chacune des sources localisées sur quatre pistes spécialisées de l’enregistrement.

b) Des trajectoires sonores commandées par les gestes d’un opérateur et exécutées sur une partie de la composition spécialement enregistrée sur la cinquième piste.

Chaque amplificateur de reproduction dispose de deux entrées indépendantes dont l’une est classique tandis que l’autre est contrôlée par un étage à gain variable (tube monté en modulateur-plaque) dont la tension anodique est fournie par les régulateurs du dispositif de commande à bobines (constructeur Raoult).

Afin de diminuer la distorsion spatiale introduite par les diverses réflexions sur les parois de la salle d’écoute, qui, en provoquant des sources secondaires, ne manqueraient pas d’engendrer des localisations diffuses, les haut-parleurs sont équipés de baffles focalisateurs (Conques Elipson) qui concentrent l’énergie rayonnée dans un cône utile de 60° et homogénéisent les courbes de réponse en fonction des diverses directions d’écoute.,

L’ensemble du dispositif décrit est simple dans son principe, en fait, son utilisation est délicate et les lois qui définissent la répartition des décibels en fonction des localisations à l’intérieur d’un volume nous sont encore mal connues. En outre, des localisations précises ne sont valables que pour une position déterminée de l’auditeur, on peut toutefois délimiter une zone d’écoute privilégiée suffisamment éloignée des sources sonores réelles à l’intérieur de laquelle les localisations et déplacements, sans être rigoureusement identiques, conservent néanmoins des caractères communs.

6.           Conclusion.

Les œuvres, déjà nombreuses, du répertoire de Musique Concrète sont, avant tout, des œuvres expérimentales, elles n’ont pas toutes bénéficié des mêmes possibilités techniques et chacune marque une étape des progrès réalisés. Toutefois, leur première audition peut susciter un vif intérêt, de l’étonnement, de l’indifférence ou une nette réprobation. Pour faciliter au lecteur un jugement objectif, nous lui proposons, en guise de conclusion, les deux remarques suivantes.

Les techniques de l’enregistrement ont ouvert aux musiciens divers secteurs de recherches et mis à leur disposition de nouveaux moyens d’expression. Les procédés de Musique Concrète se présentent techniquement comme une lutherie moderne puisqu’ils sont générateurs de sons, au même titre que les instruments d’orchestre. La palette du compositeur se trouve. Ainsi considérablement élargie mais, l’utilisation qu’il en fait est, avant tout, fonction de sa conception personnelle de la musique. Il est normal que la Musique Concrète ait d’abord attiré de jeunes compositeurs décidés à sortir des sentiers battus et il faut retenir que leur écriture, même exprimée en musique traditionnelle, s’adresse déjà à un public spécialisé. Il convient, pour le technicien, de dissocier l’aspect musical des œuvres qui lui sont présentées de la démarche scientifique qui a présidé à leur élaboration et dont nul esprit sincère ne peut mésestimer l’intérêt.

D’autre part, nos appareils actuels, pour admirables qu’ils soient sur le plan technique n’en sont pas moins encore difficilement malléables dans leur utilisation musicale. Nous sommes déjà loin du sillon fermé pratiqué sur disques des premières années qui ne livrait, à l’expérimentateur inlassablement face à d’uniques tourne-disques tournant à vitesse désespérément fixe, que dés matériaux cycliques, certes prometteurs, mais marqués d’une périodicité déconcertante. Cette technique a cependant donné naissance au déjà célèbre Concert de Bruits de P. Schaeffer, en 1948. Mais les procédés de Musique Concrète requièrent encore une longue patience de la part de ceux qui les utilisent et de nouveaux appareils, permettant l’exploration commode des diverses techniques de transmutation et de transformation de la matière sonore, restent à imaginer.

Les prélèvements engendrent des matériaux bruts qu’il est nécessaire d’affiner et il faut, actuellement, l’opiniâtreté et l’extrême habileté de spécialistes tels que Pierre Henry, musicien de talent et expérimentateur convaincu, pour les modeler et les amener à un état qui les rende dignes de figurer dans une composition. Notre jeune expérience a encore à s’enrichir avant que nous puissions donner aux compositeurs de toutes tendances un ensemble de moyens souples et d’application immédiate.

 

B i b l i o g r a p h i e    s o m m a i r e

 

[1] P. SCHAEFFER. — A la recherche d’une Musique Concrète. Appendice : Esquisse d’un solfège concret. Éditions du Seuil, 1952, 1998.

[2] P. SCHAEFFER. — Journal de la Musique Concrète. Revue Polyphonie numéro consacré à la musique mécanisée. Éditions Richard Masse.

[3] A. MOLES. — Étude et représentation de la note complexe en acoustique musicale. Annales des Télécommunications, tome VII, n° 11 ; nov. 1952.

[4] A. MOLES. — Les machines à musique. La Revue Musicale, numéro spécial consacré à la Décade de Musique Expérimentale. Éditions Richard Masse, 1954.

[5] J. BERNHART. — Deux applications de la notion de distorsion spatiale. L’Onde Électrique, n° 304, juillet 1952. Éditions Chiron.

[6] J. POULLIN. — Son et Espace. La Revue Musicale, numéro spécial consacré à la Décade de Musique Expérimentale. Éditions Richard Masse 1954.